7 septembre > Roman Suisse > Anne Brécart

Depuis vingt ans, la romancière suisse Anne Brécart, professeure d’allemand et de philosophie à Genève, construit chez Zoé une œuvre délicate qui arpente les lisières entre la mémoire et l’oubli. Elle observe ce que le temps fait aux attachements - dans La femme provisoire (2015), une femme recevait la visite d’un garçon dont elle avait été une mère de substitution pendant quelques mois, trente ans plus tôt à Berlin. Elle explore ce qui n’est plus et ce qui reste, inaltéré : les émotions anciennes, les liens ressurgis de la nuit des temps.

Dans Cœurs silencieux, son sixième roman, la narratrice Hanna fait ainsi une expérience de retour du refoulé : cette femme d’une cinquantaine d’années, écrivaine, qui vient de se séparer de l’homme qui partageait sa vie depuis vingt-cinq ans et dont la mère est morte récemment, revient dans le village de son enfance où elle retrouve Jacob, son premier amour, un instituteur d’origine paysanne, arrivé là en 1974. Hanna avait alors 14 ans. Jacob, sept ans de plus. Partie "comme on s’arrache à un cauchemar, sans regrets", elle a pourtant quarante ans plus tard le sentiment de n’avoir "jamais quitté cette maison, ce village, avec ces odeurs de campagne et de forêt". Jacob lui confie le journal où sont consignés les deux ans de leur histoire et voudrait qu’elle écrive sur lui. "Quelque chose du grand mystère du désir et de l’amour est resté attaché à lui", constate-t-elle tandis qu’elle retrouve tout : les dérobades de ce garçon taiseux qui disparaissait sans crier gare, ses sortilèges, son mystère, "l’enchantement" en dépit de la "trahison", cette séduction sans parole à laquelle elle succombe à nouveau. Le silence est ici un personnage à part entière : celui "épais et ouateux" des tête-à-tête, celui qui monte dans une chambre "comme de l’eau", ou celui qui "remonte des profondeurs de la terre, ce silence que les arbres vont puiser dans l’obscurité du sol". Il accueille aussi l’explication de la rupture, des résolutions tardives et ambiguës. "C’est grâce à Jacob que j’ai découvert cet interstice entre le vrai et le faux qui n’est ni mensonge, ni réalité." L’espace où se tient la romancière.

Véronique Rossignol

18.08 2017

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