Prix littéraire

Qui aura le Goncourt ?

Sur la table des Goncourt chez Drouant, après l’ultime délibération de 2015. - Photo Olivier Dion

Qui aura le Goncourt ?

La majorité des 16 critiques littéraires interrogés par Livres Hebdo prédit la victoire de Véronique Olmi avec Bakhita (Albin Michel) le 6 novembre chez Drouant. Mais ils préféreraient voir les Goncourt consacrer Eric Vuillard pour L’ordre du jour (Actes Sud).

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Par Isabel Contreras,
Créé le 06.11.2017 à 11h23

Populaire. C’est l’adjectif qui revient le plus souvent, dans les pronostics des 16 critiques littéraires interrogés par Livres Hebdo, à propos de Bakhita, de Véronique Olmi (Albin Michel). Mais "populaire dans le plus beau sens du terme", souligne Mohammed Aïssaoui, journaliste au Figaro littéraire. Une "biographie poignante, romanesque" pour Nicolas Carreau, animateur de "La voix est livre" sur Europe 1. A "l’écriture accessible", précise Alain Jean-Robert à l’AFP.

Bakhita déjà bien installé dans les meilleures ventes

Pour la majorité des journalistes, "l’histoire vraie d’esclave revenue des pires souffrances" de Véronique Olmi devrait emporter le prix Goncourt 2017 le 6 novembre chez Drouant, devant les romans de Yannick Haenel, d’Eric Vuillard et d’Alice Zeniter. Après le succès de Leïla Slimani en 2016 pour Chanson douce (Gallimard, près de 500 000 ventes selon GFK), l’académie Goncourt pourrait miser à nouveau sur un livre déjà bien installé dans les listes de meilleures ventes comme c’est le cas de Bakhita, mais aussi de L’art de perdre, d’Alice Zeniter (Flammarion), vendu à près de 35 000 exemplaires d’après GFK depuis sa parution le 16 août. Cette dernière séduit aussi les critiques avec "son grand texte de mémoire collective" qui raconte l’histoire "injustement méconnue" des harkis. Sa victoire permettrait à Flammarion de remonter sur le podium que la maison a occupé en 2010, lorsque Michel Houellebecq a été couronné pour La carte et le territoire.

Quand on interroge nos 16 critiques sur qui "devrait avoir" le plus prestigieux prix littéraire français, ils placent en revanche Eric Vuillard en tête du classement. Dans L’ordre du jour, l’écrivain explique la montée du régime nazi par le jeu des intérêts financiers. Les journalistes pointent la forme littéraire singulière de ce récit qui "interroge les frontières de la littérature". Toutefois, comme le signale Augustin Trapenard (Canal+), le roman d’Eric Vuillard est publié chez Actes Sud, "soudain plus proche que jamais de l’institution et du pouvoir", ce qui "ne lui portera pas chance", estime-t-il.

Yannick Haenel pourrait aussi créer la surprise lundi chez Drouant. Les critiques mettent en avant la forme innovante et moderne de Tiens ferme ta couronne (Gallimard).

En tout cas, ils ont vu juste en 2016 en prédisant la victoire de Leïla Slimani, après avoir en 2015 en souhaité celle de Mathias Enard. Verdict le 6 novembre.

Le pronostic des critiques littéraires

 

16 critiques littéraires énoncent leur pronostic pour le Goncourt 2017 et justifient leur choix.

 

Mohammed Aïssaoui, Le Figaro littéraire

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Mohammed Aïssaoui- Photo OLIVIER DION

Qui l’aura ? On parle beaucoup de Véronique Olmi et de Bakhita qui décrocherait la prestigieuse récompense. Mais je me méfie toujours des favoris et une surprise n’est jamais à exclure. Cela dit, le roman a tout pour séduire le jury. Une belle histoire, une écriture pleine de conviction et la meilleure vente de cette rentrée littéraire parmi ces quatre finalistes. C’est un livre populaire dans le plus beau sens du terme, ce qui n’est pas pour déplaire à l’académie Goncourt.

Qui devrait l’avoir ? Yannick Haenel. J’ai simplement été subjugué par Tiens ferme ta couronne. J’ai rarement lu un roman aussi fort ces dernières années. Il résonne toujours en moi des semaines après l’avoir lu. Insensé, foutraque, génial. Du lâcher-prise et une tenue du récit qui force l’admiration - il dit quelque chose de notre monde. Oui, Yannick Haenel mérite un grand prix si les grands prix couronnaient (toujours) un grand écrivain…
 

Sabine Audrerie, La Croix

Qui l’aura ? Je l’ignore.

Qui devrait l’avoir ? Cette dernière sélection conserve quatre bons livres, on peut donc se réjouir a priori d’un bon Goncourt 2017. Mes faveurs littéraires mettraient plus volontiers en avant le très beau roman de Yannick Haenel, et plus encore la densité éclairante d’Eric Vuillard, qui prend à son habitude l’Histoire pour sujet. L’ordre du jour place le lecteur dans ses coulisses, revenant sur les rencontres cruciales qui ont favorisé la montée du nazisme en Europe et l’Anschluss en 1938. Le récompenser serait saluer la puissance littéraire singulière de cet écrivain qui fait éclore une réflexion profonde sur la sédimentation des faits et même, en creux, sur notre rapport contemporain à l’actualité.


Jean Birnbaum, Le Monde

Qui l’aura ?L’art de perdre d’Alice Zeniter.

Qui devrait l’avoir ?L’art de perdre, pour au moins trois raisons. D’abord, à 31 ans, Zeniter s’est déjà fortement manifestée par son talent et par son courage (face aux attaques misogynes et racistes, notamment). Ensuite, son roman affronte notre inconscient "algérien" avec une sensibilité aussi rigoureuse que loyale. Enfin, Zeniter a déjà été couronnée par le prix littéraire du Monde, et je ne saurais envisager un seul instant que notre rédaction n’ait pas fait le bon choix.


Nicolas Carreau, Europe 1

Qui l’aura ? Véronique Olmi l’aura. Elle propose une biographie poignante, romanesque, bien faite. Elle emporte déjà l’adhésion du public. Le thème ne suscite ni polémique ni débat. Une bonne histoire, un style travaillé. Pour le Goncourt, ce serait récompenser à la fois une écrivaine dotée d’une belle œuvre, une exigence littéraire et un succès populaire.

Qui devrait l’avoir ? Yannick Haenel. Son roman est poétique, inventif, inattendu, audacieux. Et c’est aussi le plus moderne de la sélection, dans sa forme. Trop pour le Goncourt ?


Nathalie Crom, Télérama

Qui l’aura ? Je l’ignore.

Qui devrait l’avoir ? C’est un dilemme de devoir choisir entre le romanesque humaniste et si incarné d’Alice Zeniter, la fantaisie hautement spirituelle de Yannick Haenel, l’intelligence et la précision du geste littéraire d’Eric Vuillard… A vrai dire, je n’y parviens pas. C’est plutôt bon signe, non ? Le signe que cette sélection finale est d’une belle qualité, et qu’elle reflète - ce n’est pas le cas tous les ans, me semble-t-il… - la vraie diversité des talents d’aujourd’hui.


Olivia de Lamberterie, Elle

Qui l’aura ? Véronique Olmi.

Qui devrait l’avoir ? Si j’étais jurée Goncourt, je le donnerais à Alice Zeniter, pour son roman brillant et populaire à la fois.

 

Marie-Laure Delorme- Photo ERIC DESSONS

Marie-Laure Delorme, Le JDD

Qui l’aura ? Le roman Bakhita de Véronique Olmi est donné gagnant depuis la fin août. Mais après un Goncourt "facile" en 2016, puisque le succès était déjà là, on peut espérer un choix plus audacieux.

Qui devrait l’avoir ? Dans L’art de perdre, Alice Zeniter raconte l’Algérie, du côté des perdants, sur trois générations. Un roman ambitieux, sur les zones grises et silencieuses, qui est un pur hommage à la fiction.


Alain Jean-Robert, AFP

Qui l’aura ? La logique voudrait qu’Alice Zeniter obtienne le Goncourt mais c’est Véronique Olmi qui devrait l’emporter. Bakhita est déjà l’un des romans les plus populaires de la rentrée, il plaît beaucoup aux libraires, pourquoi ne plairait-il pas aussi au jury Goncourt ?

Qui devrait l’avoir ? J’ai adoré L’art de perdre d’Alice Zeniter, c’est le grand roman de la rentrée. Mais je serais heureux qu’Eric Vuillard remporte le prix. L’ordre du jour, malgré sa brièveté, est l’un des livres les plus saisissants de l’année.

Nelly Kaprièlian- Photo J.F. PAGA/GRASSET


Nelly Kaprièlian, Les Inrockuptibles

Qui l’aura ? Alice Zeniter, car des quatre sélectionnés, son roman est le seul à avoir une vraie ampleur, faisant un travail de mémoire important en France : raconter l’histoire injustement méconnue des harkis. Bref, un bon roman, mais pas assez littéraire.

Qui devrait l’avoir ? Eric Reinhardt pour son virtuose La chambre des époux, vertigineux tour de force littéraire, bien au-dessus d’Olmi, Vuillard ou Zeniter. Il serait grand temps que Reinhardt reçoive enfin un prix conséquent. Tout comme Yannick Haenel, c’est un véritable écrivain.


Jean-Claude Lebrun, L’Humanité

Qui l’aura ? Le palmarès du Goncourt affiche souvent un roman naturaliste. Le cru 2017 pourrait s’inscrire parmi les exceptions. Pourquoi pas Bakhita de Véronique Olmi ? Ce récit du martyre d’une esclave soudanaise, devenue religieuse, canonisée, fait confluer l’historique, le religieux et le romanesque.

Qui devrait l’avoir ? En résonance avec notre modernité, L’ordre du jour d’Eric Vuillard, qui éclaire d’innovante façon les liens du nazisme avec le pouvoir de l’argent, pourrait constituer une autre option très actuelle.


Bernard Lehut, RTL

Qui l’aura ?Bakhita de Véronique Olmi. Un destin édifiant et bouleversant. Un roman tout public. L’assurance d’un Goncourt populaire. Un prix mérité pour l’ensemble de l’œuvre de Véronique Olmi et pour ce livre où l’auteure de Bord de mer élargit avec succès sa palette.

Qui devrait l’avoir ? Marc Dugain. Un écrivain majeur, plébiscité par les lecteurs et pourtant jamais récompensé par les prix d’automne. N’a figuré sur aucune des listes de la rentrée alors que Ils vont tuer Robert Kennedy est l’un de ses meilleurs romans. Incompréhensible !


Grégoire Leménager, L’Obs

Qui l’aura ? Véronique Olmi. Parce que l’académie Goncourt, ayant récompensé douze romancières en cent treize ans, a trop de raisons de se jeter sur le livre d’une femme qui parle d’une femme, sans en plus tenir compte d’un style pesant qui empile des images faciles.

Qui devrait l’avoir ? Eric Vuillard. Parce qu’avec son style incisif et son sens du détail, c’est l’un des meilleurs écrivains de sa génération : notamment lorsqu’il s’agit de gratter la grande et criminelle histoire de la bêtise occidentale.


Ilana Moryoussef, France Inter

Qui l’aura ? Véronique Olmi. Son livre a tout pour devenir un succès populaire : un personnage de femme, un destin, une écriture accessible. L’auteure en parle avec conviction. Bakhita sera un très bon cadeau de Noël.

Qui devrait l’avoir ? Alice Zeniter car, même si son roman n’est pas parfait, elle s’est attaquée à un sujet majeur, dont la fiction ne s’était pas encore emparée. L’art de perdre est un livre important. Et Zeniter une romancière qui construit une œuvre. Je suis convaincue que le prix Goncourt lui donnerait de la force pour aller encore plus loin. Disons que c’est le pari de la jeunesse.


Marianne Payot, L’Express

Qui l’aura ? Alice Zeniter. Elle est jeune, talentueuse et publie avec L’art de perdre (quel beau titre !) un roman familial réunissant tous les atouts d’un bon Goncourt : un récit grand public, qui brasse la grande histoire et rend sa dignité, sans manichéisme aucun, aux perdants de ladite histoire, en l’occurrence les harkis de l’Algérie française.

Qui devrait l’avoir ? Jean-Marie Blas de Roblès. Pour à peu près les mêmes raisons, l’âge en moins. Avec Dans l’épaisseur de la chair (Zulma), il rend hommage, dans une langue superbe, à d’autres perdants de l’histoire, les pieds-noirs.
 

Augustin Trapenard- Photo OLIVIER DION

Augustin Trapenard, Canal+

Qui l’aura ? Alice Zeniter, dont le roman bénéficie déjà d’un beau succès critique et populaire, et qui met des mots sur une histoire qui en est avare. L’art de perdre est un grand texte de mémoire collective, de narration et de langage qui donne voix et qui fait résonner nombre d’interrogations actuelles. Ce serait un fort beau Goncourt !

Qui devrait l’avoir ? J’ai un faible pour Eric Vuillard, dont l’œuvre interroge depuis toujours les frontières de la littérature - entre roman, récit, histoire et fiction. Gageons que sa maison d’édition Actes Sud - soudain plus proche que jamais de l’"institution" et du "pouvoir" - ne lui portera pas chance, mais, parmi les finalistes, il est celui dont l’œuvre est à mon sens la plus importante.


Pierre Vavasseur, Le Parisien

Qui l’aura ? Véronique Olmi, parce que cette histoire vraie d’esclave, revenue des pires souffrances mais habitée par le pardon et l’innocence, appuie sur tous les boutons propres à faire vibrer notre époque : salut aux meurtris du monde, hommage à leur capacité de résilience.

Qui devrait l’avoir ? Yannick Haenel, avec ce roman qui danse en permanence sur un volcan, son inventivité acidulée et cette capacité à produire jusqu’au bout de la comédie dans le drame. Un vrai récit moderne.

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