1er mars > Roman France > Marc Alexandre Oho Bambe

Il suffit d’un pas pour passer de vie à trépas, surtout en temps de guerre. "Diên Biên Phù. Joli nom pour un naufrage. Trois syllabes de sang, un son de claque et de défaite. Pour nous, les hommes", constate amèrement Alexandre. L’ancien soldat de la France coloniale n’a jamais fait un esclandre de cette douleur qui lui fend le cœur. Au contraire, il a plutôt fait semblant de vivre avec le poids de ce silence, si dense. Mais vingt ans plus tard, ce père de famille a besoin de retourner sur les lieux qui n’ont cessé de le tourmenter. Ils restent à jamais liés à un visage, celui de Maï Lan. "Cette fille est ma faille, mon alcool, ma parabole. Et son pays, mon gouffre néant ; j’y suis mort et m’y suis enterré, avec mes dernières illusions sur l’humanité, sur moi-même et sur ma propre patrie, "terre des droits de l’homme"."

Une guerre laisse des traces bien plus indélébiles qu’on ne l’imagine, "ça vous abîme l’âme". Ici, elle est aussi liée à un amour démesuré, salvateur, inoubliable. Aussi l’Indochine est-elle synonyme d’un "théâtre d’ombres, ballet de lumières sombres". Avant de sombrer dans le non-sens de sa vie en sursis, Alexandre revient fouler ce sol. Son rêve fou étant de retrouver Maï Lan, la femme qu’il a secrètement aimée. Tout lui revient, les abîmes d’une guerre dans laquelle il s’était enrôlé pour fuir un mariage arrangé. Or la réalité du terrain n’a rien d’une aventure. Il s’agit juste de l’Enfer pur. Thanatos rôde partout et transforme les hommes en lambeaux ou en bourreaux. Seul Diop semble résister avec dignité. Ce Peul plein de sagesse a intégré le régiment sénégalais. Plus qu’un ami, il devient le compagnon indispensable d’Alexandre. Diop et Maï Lan lui ont permis de rester debout, alors que le monde s’écroulait. "Certains choix, de vie ou de mort, nous engagent bien au-delà de nous-mêmes."

Quels chemins emprunter pour rester humain ? Marc Alexandre Oho Bambe a opté pour celui de la poésie. Elle est partie intégrante de ce Camerounais, né en 1976. Reconnu pour ses recueils, ses cours et ses articles, il nous éblouit avec ce roman. On sent le slameur dans l’ardeur d’une langue symphonique, dont le rythme incandescent transcende les sentiments contradictoires du héros.

"J’avais besoin de venir ici, à la recherche de quelque chose que j’avais perdu et que j’ai retrouvé en ce lieu : la vie." Alexandre marche sur des œufs, entrechoquant la fragilité du passé à l’agilité du présent. Ce chemin inattendu l’entraîne à la rencontre d’un pays qui, lui aussi, n’a pas fini de se reconstruire. C’est avec maestria que les mots de l’auteur dessinent sa philosophie : "Mieux vaut un faux espoir que pas d’espoir." Une quête de sens pour renouer avec la beauté de l’existence, qui sommeille parfois en soi.
K. E.

 

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