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La loi sur la République numérique, qui a été définitivement votée en cette fin de septembre 2016, entend combattre les phénomènes très contemporains dits de « revenge porn ».

Il s’agit de compléter le Code pénal, qui sanctionne plus sévèrement que l’article 9 du Code civil – relatif au respect de la vie privée - la captation d’images ou de sons, effectuée sans autorisation dans un lieu privé : son article 226-1 prévoit ainsi qu’« est puni d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende le fait, au moyen d'un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui :
1° En captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel.
2° En fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé.

Il précise – et c’est là la difficulté - que « lorsque les actes mentionnés au présent article ont été accomplis au vu et au su des intéressés sans qu'ils s'y soient opposés, alors qu'ils étaient en mesure de le faire, le consentement de ceux-ci est présumé ».

Quant à l’article 226-2 du même code, il dispose qu’« est puni des mêmes peines le fait de conserver, porter ou laisser porter à la connaissance du public ou d'un tiers ou d'utiliser de quelque manière que ce soit tout enregistrement ou document obtenu à l'aide de l'un des actes prévus par l'article 226-1. »
        
L’ajout de la loi République numérique instaure un article 226-2-1 ainsi rédigé :

« Lorsque les délits prévus aux articles 226-1 et 226-2 portent sur des paroles ou des images présentant un caractère sexuel prises dans un lieu public ou privé, les peines sont portées à deux ans d’emprisonnement et à 60 000 euros d’amende.
« Est puni des mêmes peines le fait, en l’absence d’accord de la personne pour la diffusion, de porter à la connaissance du public ou d’un tiers tout enregistrement ou tout document portant sur des paroles ou des images présentant un caractère sexuel, obtenu, avec le consentement exprès ou présumé de la personne ou par elle-même, à l’aide de l’un des actes prévus à l’article 226-1 ».

Le député EELV Sergio Coronado, coauteur de l’amendement qui crée ce nouveau délit, a ainsi expliqué son initiative : «  en janvier 2016, dans le cadre des débats du projet de loi « République numérique », j’avais insisté sur la nécessité de prévoir expressément l’interdiction du « revenge porn » (ou porno-vengeance) dans notre code pénal. (…) trop souvent les magistrats considéraient que le fait d’avoir consenti à la prise d’une image valait consentement à sa diffusion.
La Chambre Criminelle de la Cour de Cassation vient de nous donner raison dans son arrêt. La Cour a ainsi refusé de condamner l’auteur de la diffusion d’image, au prétexte que la personne a donné son consentement lors de la prise de l’image.
Cet arrêt expose une nouvelle fois la nécessité de changer notre droit par l’adoption définitive de notre amendement. 
»

L’arrêt en question, rendu par la Cour de cassation, le 16 mars 2016, pose un vraie difficulté : il relève en effet que « le fait de porter à la connaissance du public ou d’un tiers, soit des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel, soit l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé, n’est punissable que si l’enregistrement ou le document qui les contient a été réalisé sans le consentement de la personne concernée ».

Or, selon les juges, « il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que Mme Y... a porté plainte et s’est constituée partie civile en raison de la diffusion sur internet, par M. X..., son ancien compagnon, d’une photographie prise par lui, à l’époque de leur vie commune, la représentant nue alors qu’elle était enceinte » 

Les magistrats de la Cour d’appel ont estimé qu’« avoir accepté d’être photographiée ne signifie pas, compte tenu du caractère intime de la photographie, qu’elle avait donné son accord pour que celle-ci soit diffusée ».

Et la Cour de cassation de casser cette décision en soulignant « qu’en se déterminant ainsi, alors que n’est pas pénalement réprimé le fait de diffuser, sans son accord, l’image d’une personne réalisée dans un lieu privé avec son consentement, la cour d’appel a méconnu les textes ». 

En clair, le droit applicable avant la loi République numérique ne prend pas en compte une réalité humaine relativement ancienne : un consentement donné pour la prise d’une image dans le cadre d’un jeu érotique ne signifie pas que l’on encourage la publication en ligne de ladite image et ce surtout une fois la rupture amoureuse actée.

Rappelons que Revenge Porn est aussi  le titre d’un document publié par les éditions du Moment, aujourd’hui en faillite, et qui a connu plusieurs déboires judiciaires.

Il s’agit d’un ouvrage signé par Nathalie Koah, évoquant longuement sa relation avec le footballeur d’origine camerounaise Samuel Eto'o. Le livre raconte  notamment la plainte, déposée en juillet 2014, par l’auteure pour « traite de personne, outrage privé à la pudeur, publications obscènes, proxénétisme, menaces sous conditions, chantage et déclarations mensongères ».  Au coeur de ce règlement de comptes, figurait encore la publication de photographies très dénudées de la plaignante, qui avait alors saisi les justices française et au camerounaise. Le joueur avait en outre rétorqué par une autre plainte déposée en mai 2014…

La sortie du livre, programmée pour le 17 février 2016 avait été logiquement contrecarrée par une ordonnance rendue en référé pour atteinte à la vie privée par le président du Tribunal de grande instance de Paris.

Cette interdiction a été confirmée le 26 février 2016. La Cour d’appel a en effet retenu que « la quasi-totalité de l’ouvrage porte une atteinte intolérable au respect de la vie privée du footballeur ».
Ajoutons que, en parallèle, le fichier pdf du texte était – et est toujours… – disponible en version piratée sur internet.

Un seul constat pour l’heure : le vieux tandem de la revanche amoureuse est manifestement revivifié tant par l’audace actuelle de l’édition que par internet ; et n’a sans doute pas fini d’intéresser le législateur et la jurisprudence.
 
 

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