4 avril > Essai Islande > Gísli Pálsson

La liberté, cela se vole. Comme le feu. Surtout quand on en est privé depuis sa naissance. Gísli Pálsson est tombé par hasard sur cette aventure incroyable qui a déjà fourni la matière à un roman historique - non traduit - de Maria Helleberg en 2008: celle d’un esclave de l’île de Sainte-Croix, dans les Antilles danoises au XVIIIe siècle, qui finit par s’émanciper en Islande après un procès retentissant.

Mais reprenons. Hans Jonathan est né en 1784 sur l’île de Sainte-Croix, dans les Caraïbes, qui dépend aujourd’hui de l’archipel américain des îles Vierges. Ce territoire a été racheté à la France par la Compagnie danoise des Indes orientales pour exploiter le sucre. L’enfant, mulâtre, est né esclave comme sa mère sur la plantation. Sa couleur de peau laisse supposer qu’il pourrait être le fils du gouverneur. Emmené à Copenhague par la veuve de ce dernier, le jeune homme est éduqué, parle plusieurs langues, s’éprend des idéaux de la Révolution française, se bat contre les Anglais et se déclare affranchi. Mais la propriétaire estime qu’il lui appartient toujours et lui intente un procès qu’elle gagne. La plaignante est même autorisée à le renvoyer à Sainte-Croix pour y être vendu. Hans Jonathan commence à saisir qu’il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark.

En 1802, il rompt ses chaînes. Il se réfugie en Islande qui compte 47 000 habitants pour 100 000 kilomètres carrés. Sur cette terre de volcans et de sagas, l’esclavage n’existe plus depuis le XIIe siècle. Dans un hameau d’une centaine d’habitants nommé Djúpivogur, il trouve des amis, un commerce, une épouse et surtout cette liberté tant recherchée. Ce pilier de la communauté devient guide de montagne et s’éteint à 43 ans. Il aurait plus de 600 descendants aujourd’hui.

Gísli Pálsson (université d’Islande) s’intéresse depuis longtemps aux fondements du racisme. Le destin d’Hans Jonathan lui a paru exemplaire. Et il l’est, à bien des égards. La vie de cet esclave caribéen qui devient paysan islandais se développe sur trois continents (Afrique, Amérique, Europe), à l’image du commerce triangulaire.

On peut lire l’ouvrage comme un document, un récit d’aventures ou une histoire édifiante. Tous résument la violence du monde colonial chez les barons de la canne à sucre avec ces femmes - dont Emilia Regina, la mère d’Hans Jonathan - considérées comme du bétail destiné à la reproduction. La justesse de ton de Gísli Pálsson se manifeste dans la précision de ce qu’il rapporte, non dans la dénonciation de ce que tout le monde condamne. Il rappelle ce que fut la réalité de l’exploitation de cet or blanc dans les Antilles. Il montre, avec des documents, la stupéfiante odyssée de cet homme prêt à tout pour briser les jougs de la servitude. Ce livre saisissant, classé parmi les livres de l’année 2017 par le quotidien The Times, nous interroge sur la différence, sur l’autre, sur ce que les philosophes nomment altérité. Il nous dit, simplement, qu’en volant sa liberté Hans Jonathan se donna une identité. Avec un passé désormais révélé. L. L.

Les dernières
actualités