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Six mois après les Rencontres de Lyon, ça commence à bouger

Pendant les Rencontres de la librairie, à Lyon. Benoît Bougerol, alors président du SLF, s'adresse dans la salle à Francis Lang, directeur commercial d'Hachette Livre, à la tribune. - Photo OLIVIER DION

Six mois après les Rencontres de Lyon, ça commence à bouger

Le message est passé. Six mois après les Rencontres nationales de la librairie, la prise de conscience de la fragilité de la librairie commence à avoir des effets concrets. Alors que les libraires eux-mêmes se fédèrent pour développer des actions collectives, éditeurs et diffuseurs préparent de nouvelles mesures commerciales, que Livres Hebdo révèle en avant-première.

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Par Clarisse Normand,
Créé le 15.04.2015 à 19h12 ,
Mis à jour le 27.05.2015 à 10h42

Les Rencontres nationales de la librairie organisées les 15 et 16 mai 2011 (1) ont suscité un choc tel qu'il a irradié bien au-delà du secteur du livre, notamment du côté des pouvoirs publics (voir encadré p. 14) et du public. "Les nombreux articles de presse faisant état de nos difficultés ont suscité un intérêt chez nos clients, se félicite Frédérique Massot, à la tête de la librairie La Rose des vents à Dreux. Depuis, on sent chez certains une démarche plus politique dans leurs visites et leurs achats à la librairie ». Surtout, et c'en était l'enjeu, les échanges qui se sont tenus à Lyon et ont mis en évidence les problèmes économiques de la librairie indépendante ne sont pas restés lettre morte. Au contraire, la prise de conscience qui s'est faite lors des Rencontres a déclenché une vraie volonté d'action. Portés par la dynamique de l'événement, éditeurs, diffuseurs et libraires se sont mis au travail pour répondre aux difficultés du secteur.

OPTIMISME

"Depuis Lyon, nous avons eu beaucoup de réunions avec nos partenaires, observe Matthieu de Montchalin, président du Syndicat de la librairie française (SLF) et patron de L'Armitière à Rouen. La plupart d'entre eux préparent des mesures qui devraient entrer en application début 2012. Rien n'a été officiellement annoncé mais je suis confiant. Cela peut paraître long, mais beaucoup de nos fournisseurs sont liés à de grands groupes et doivent respecter des procédures. » Cet optimisme, beaucoup de libraires le partagent. "C'est la première fois qu'on a vraiment un espoir de faire bouger les choses, estime Maya Flandin (Vivement dimanche à Lyon). Déjà, dans mon quotidien, je sens de la part de mes fournisseurs une écoute plus attentive et surtout une volonté de m'aider. »

Dans la foulée de Lyon, quelques innovations ont d'ailleurs ouvert la voie à des évolutions. Pendant la manifestation, Hachette Livre a annoncé 4 mesures pour les librairies labellisées Lir, dont la principale concerne les crédits liés aux retours et leur paiement à 30 jours au lieu de 60. Par ailleurs, fin mai, L'Ecole des loisirs a décidé d'augmenter sa remise de base à 37 %, et la Générale du livre à 35 %. Toutefois, comme l'explique Guillaume Husson, délégué général du SLF, "ce n'est que si tous nos partenaires s'y mettent qu'il pourra y avoir un impact réel et mesurable sur la librairie. C'est d'autant plus vrai qu'il faut agir sur tous les curseurs, à commencer bien sûr par ceux concernant la trésorerie et la marge ». Conscients des besoins, plusieurs diffuseurs s'apprêtent à annoncer des mesures au cours des prochaines semaines (lire p. 14-15). Reste à savoir si cela sera jugé suffisant. Un bilan des avancées est d'ailleurs prévu au cours du printemps sous l'égide du SLF. En attendant, "les groupes qui annonceront des mesures significatives seront récompensés et privilégiés », lance Matthieu de Montchalin en guise d'avertissement.

S'ils ont besoin que leurs fournisseurs les soutiennent, les libraires n'entendent pas pour autant s'en remettre uniquement à eux. Requinqués et pleins d'énergie depuis les Rencontres, ils se mobilisent pour reprendre en main leur destinée. "Lyon nous a donné des ailes, constate Frédérique Massot. Depuis, on échange entre nous régulièrement et sans tabous. » Les libraires ont en effet pris conscience que c'est collectivement, en jouant la transparence entre eux, qu'ils pourront faire bouger les choses. "Plus que jamais, on a réalisé que l'union fait la force, observe Florence Veyrié (La Maison jaune à Neuville-sur-Saône). C'est à nous, avec le concours de nos associations et du syndicat, de créer quelque chose pour pouvoir dialoguer avec nos partenaires. » Pour Marion Baudoin, déléguée de Libraires en Rhône-Alpes, "Lyon a conforté l'intérêt de nos actions ».

"FAIRE DAVANTAGE JOUER LES RÉSEAUX"

L'impression est partagée par Odette Roquette au sein de Libraires indépendants en région Auvergne (Lira), qui constate que "depuis Lyon les libraires participent plus aux réunions de l'association et se montrent plus à l'écoute. Ils sont aussi plus vigilants, épluchent davantage leurs factures et hésitent moins à nous faire remonter leurs problèmes. Selon les cas, nous pouvons ensuite faire remonter les dossiers au SLF. Un réseau articulé est en train de se mettre en place". Ce que confirme Maya Flandin, en tant que coprésidente de Libraires en Rhône-Alpes : "Avant, chacun de nous cherchait à négocier individuellement avec ses partenaires. Depuis Lyon, nous faisons davantage jouer les réseaux professionnels. Le résultat n'en est que meilleur. Je ne citerai qu'un exemple. On s'est aperçus au cours de l'été que Dilisco avait diminué les remises de certains libraires. En faisant jouer les réseaux, nous avons obtenu qu'une réunion soit organisée en novembre avec ce diffuseur pour parler du problème. » De manière plus personnelle, Gilbert Varay (Libellis à Narbonne) témoigne aussi : "En faisant intervenir le SLF dans des négociations qui étaient bloquées, nous avons obtenu un point de remise supplémentaire chez Hachette. Ce qui nous a permis de passer de 30,5 % à 31,5 %."

Profitant de la dynamique ambiante, le Syndicat national de la librairie s'est attaqué au problème des offices forcés avec la mise en place, cet été, d'un dispositif d'indemnisation. Les libraires confrontés à des offices forcés sont invités à facturer les retours des ouvrages non commandés, à hauteur de 30 euros le colis. Dans le même temps, le SLF a engagé des discussions avec les sociétés informatiques (SSII) afin de mettre en place des outils permettant de faire remonter jusqu'aux libraires des informations sur leurs propres indicateurs et sur ceux du marché. Parallèlement, la profession réfléchit à des actions de mutualisation, notamment pour certaines dépenses. Localement, certains évoquent ainsi des pistes du côté des achats de sacs ou d'antivols.

Mais si les Rencontres ont rapproché les libraires entre eux et les ont incités à échanger et à agir davantage ensemble, elles ont aussi ouvert la voie à un nouveau dialogue avec leurs partenaires. "On n'a jamais autant discuté avec l'interprofession », observe Guillaume Husson, délégué permanent du SLF. Reste que, pour Stéphane Daumay, secrétaire général du groupement Siloë, "les rapports avec les diffuseurs et les éditeurs sont encore fortement basés sur la défiance. Peut-être que la nouvelle génération d'éditeurs qui arrive permettra de changer les choses. Elle semble réellement vouloir recréer des liens avec les libraires. Mais entre le libraire et l'éditeur, il y a une structure opaque : le diffuseur ».

CAPACITÉ DE NUISANCE

Pour Xavier Capodano (Le Genre urbain à Paris), « si les libraires veulent vraiment faire bouger les choses, ils doivent aller au combat et, au besoin, faire valoir leur capacité de nuisance qui est réelle. Nous n'avons pas le choix compte tenu de la disproportion du rapport de forces avec nos fournisseurs ». Plus nuancé, Olivier L'Hostis (L'Esperluète à Chartres) estime que "les libraires doivent réfléchir à de nouveaux modes de collaboration avec leurs partenaires, notamment en se positionnant comme force de proposition ». A cet égard, Maya Flandin ne manque pas d'idées : "Il faudrait simplifier et harmoniser les factures ; créditer immédiatement les retours ; retirer le plafond de 40 % pour les remises, et surtout insuffler de la flexibilité dans les conditions commerciales pour davantage tenir compte des profils très différents de librairies." Pour Xavier Moni, codirecteur de Comme un roman à Paris, "il faut surtout repenser le modèle économique et y ramener de la vertu. Pourquoi ne pas mieux rémunérer les libraires qui s'efforcent d'avoir des taux de retour bas. Tout le monde y gagnerait. Malheureusement, on sent nos partenaires, en particulier les grands groupes, plus préoccupés par les problématiques du numérique que par les difficultés de la librairie ». Et d'enfoncer le clou : "Mais aujourd'hui, l'économie qui existe et qui fait vivre le secteur, c'est le papier, et les ventes passent encore largement par la libraire. »

(1) Voir LH 866 du 20 mai 2011, p.12-17.

Ce que les diffuseurs préparent

 

De nouveaux dispositifs commerciaux, portés par les représentants, vont entrer en application.

 

Côte à côte pendant les Rencontres de la librairie, Francis Lang (Hachette Livre) et Bruno Caillet (Gallimard).- Photo OLIVIER DION

Vivement interpellés lors des Rencontres de Lyon, un certain nombre d'éditeurs et de diffuseurs s'apprêtent à annoncer des mesures en faveur de la librairie. Après L'Ecole des loisirs, Gallimard annonce aujourd'hui une nouvelle politique de remise qui sera appliquée par les représentants à partir de janvier 2012. Pour les ouvrages auto-diffusés (à savoir Gallimard Littérature, Gallimard Jeunesse, Gallimard Loisirs et Découvertes/Gallimard), la maison instaure une remise minimale de 35 % pour les librairies réalisant plus de 50 % de leur chiffre d'affaires global avec les livres. "Cette mesure concerne principalement le deuxième niveau, car c'est là qu'il y a les plus grandes difficultés », explique Bruno Caillet, directeur commercial de Gallimard. Parallèlement, l'éditeur, qui propose aux libraires des "marchés » permettant, sur la base d'objectifs quantitatifs et qualitatifs annuels, de mieux rémunérer le travail sur les collections de fond (poche, guides, "Pléiade"), entend augmenter leur nombre grâce à de nouveaux critères qualitatifs. "Un libraire jouant à la fois la carte des opérations promotionnelles et des marchés peut augmenter de 1 à 2 points sa remise sur les collections de fond », estime Bruno Caillet.

« JE NE TIRE PAS UN TRAIT »

Le processus est plus rapide pour ces maisons qui maîtrisent édition et diffusion. Mais chez les diffuseurs stricto sensu, les avancées, plus lentes, se dessinent aussi. Car dans la foulée des Rencontres, les éditeurs n'ont pas hésité à aiguillonner leur diffuseur. A Lyon déjà, Laurent Beccaria, à la tête des Arènes, avait lancé un pavé dans la mare en appelant à l'instauration d'une remise unique pour tous. "Aujourd'hui, il n'en est plus question car personne n'en veut, reconnaît-il. Mais je ne tire pas un trait dessus. » Bien que moins spectaculaires, d'autres dispositions devraient en revanche rapidement voir le jour.

Ainsi, Volumen travaille avec une vingtaine d'éditeurs littéraires à la mise en place d'un partenariat permettant de valoriser le qualitatif. Il s'agirait de proposer à des librairies ciblées 1 à 2 points de remises supplémentaires cofinancés par l'éditeur et le diffuseur.

Au CDE, les conditions commerciales sont aussi en train d'être révisées mais rien n'est encore défini, selon Mathias Echenay, son directeur général, qui reconnaît pourtant devoir arrêter des mesures d'ici à la mi-décembre. Certaines maisons diffusées par la structure, dont Les Arènes et Gallmeister, font pression et se disent prêtes à prendre en charge la moitié de l'augmentation des remises qui seraient accordées aux libraires. Au CDE, l'idée est étudiée avec prudence. "Notre mission est de gérer un ensemble d'éditeurs qui ont des moyens financiers différents, explique Mathias Echenay. Nous avons vocation à mutualiser, pas à diviser. Je réfléchis donc aussi à d'autres pistes. En particulier à une segmentation du deuxième niveau afin de créer une catégorie de librairies très professionnelles pour leur proposer des remises qualitatives particulières et une façon de travailler adaptée. »

LES REPRÉSENTANTS

Au sein de la structure de diffusion Flammarion, "tous les volets des CGV sont en train d'être examinés mais rien n'a été décidé », explique Pascale Buet. Consciente que c'est sur les petites et moyennes librairies que le gros des efforts doit être fait, elle veut communiquer "sur un dispositif complet et parfaitement lisible ». Il faut ainsi faire le bilan du système de soutien à la création, lancé pour expérimentation avec les offices de mai, qui pourrait inspirer certaines des nouvelles mesures. Mis en place pour les éditeurs diffusés dont les parutions n'ont pas accès à la presse à leur sortie, celui-ci consiste à octroyer aux libraires qui gardent les ouvrages durant six mois au moins des échéances de paiement à 180 jours. "Nous allons voir si en augmentant les échéances on diminue les retours et on aide les titres à trouver leur public », explique Pascale Buet.

Largement centrées sur le qualitatif, la plupart de ces mesures s'appuieront sur le travail des représentants. "Le représentant est au coeur du dispositif, confirme Bruno Caillet. Ce sera à lui de proposer les mesures appropriées à chaque libraire. » Une belle revalorisation de son rôle, alors qu'il n'y a pas si longtemps on évoquait sa disparition ! Pour leur permettre de faire face aux nouveaux enjeux, certains diffuseurs envisagent de leur proposer des formations tandis que d'autres, à commencer par Actes Sud, pensent à en augmenter le nombre. "C'est au quotidien qu'il faut aider la librairie, explique Jean-Paul Capitani, directeur du développement d'Actes Sud. C'est pour cela que la maison a créé sa propre diffusion en 1991 et accorde aujourd'hui des remises moyennes de 40,8 % pour le premier niveau et 39 % pour le deuxième ».

Conscients que les libraires attendent aussi davantage d'informations économiques et statistiques, les diffuseurs s'apprêtent à lancer de nouveaux outils. Chez Flammarion, Pascale Buet annonce pour novembre un nouveau site Web qui mettra à la disposition des libraires leur chiffre d'affaires avec des éléments de comparaison sur leur zone de chalandise, "lorsque ceux-ci existent », précise-t-elle. Et d'ajouter que pour les libraires non visités, des informations détaillées sur les nouveautés seront disponibles sur le site. Chez Gallimard aussi, Bruno Caillet annonce qu'une information régulière sera donnée aux libraires, dès 2012, sur leur activité (allers, réassorts, retours). Par ailleurs, une newsletter mensuelle est en test chez Gallimard Jeunesse, pour permettre à des libraires de premier niveau de recevoir une sélection du programme de nouveautés assortie des bons de commandes. "L'objectif est d'optimiser à terme, en accord avec les libraires concernés, les visites des représentants en leur libérant du temps pour parler davantage du fonds », explique le directeur commercial.

De son côté, Hachette Livre reste, comme nous l'a confirmé son directeur commercial Francis Lang, sur la ligne des quatre mesures annoncées juste avant les Rencontres (voir page 13).

TRAVAILLER ENSEMBLE

Quoi qu'il en soit, au-delà des dispositifs envisagés, la prise de conscience de la fragilité de la librairie qu'a suscitée le rendez-vous de Lyon pourrait bien déboucher sur une vraie transformation de la relation entre les éditeurs, leurs diffuseurs et les libraires. Pour Laurent Beccaria, "les Rencontres de Lyon ont remis les éditeurs dans le jeu ». Et ces derniers sont désormais nombreux à déclarer vouloir aider les libraires. Pour Oliver Gallmeister, des éditions du même nom, "l'éditeur doit reprendre la main sur sa politique commerciale et dans le même temps renforcer ses liens directs avec les libraires ». Chez Zulma, Laure Leroy estime pour sa part qu'un pas important a déjà été franchi. "Pour la première fois, éditeurs et diffuseurs travaillent ensemble dans la transparence pour aider la librairie indépendante. Il est important que les diffuseurs sortent de l'opacité et que les mentalités changent pour que d'autres avancées aient lieu. »

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