Essai/France 27 mars Michaël Foessel

Peut-on lire le passé en faisant abstraction du présent, c'est-à-dire d'un passé dont on ignorerait le futur ? Evidemment non ! Michaël Foessel s'y est risqué. Il faut dire qu'il est philosophe, pas historien, et que ce type de défi ne lui fait pas peur. C'est aussi un homme de conviction, engagé à gauche, qui décèle des coïncidences surprenantes entre hier et aujourd'hui. Il sait aussi que les faits ne parlent jamais d'eux-mêmes mais seulement quand on les y invite.

Que dire alors de cette menace lorsqu'on compare la situation de l'Europe actuelle où les nationalismes s'affirment avec celle de 1938, lorsque tous ces pays s'agitaient sous l'œil d'Hitler ? Au premier regard, 1938 lui apparaît « comme un spectre ». C'est moins inquiétant qu'un miroir. La « contagion des dictatures » - la formule est de Léon Blum - fait son chemin. Le désenchantement aussi. Ainsi, la première question posée aux Français par le nouvel Institut français d'opinion publique (Ifop) en 1938 est « Approuvez-vous les accords de Munich ? » : 57 % répondent oui, 37 % non, et 6 % ne savent pas. Michaël Foessel lui non plus ne sait pas. Il a un doute sur le bégaiement de l'histoire, sur ce drame qui se répéterait, mais peut-être pas en comédie. « J'ai vu en 1938 des mots d'ordre, des réflexes de pensée, des éléments de langage qui structurent l'ordinaire de la politique française depuis longtemps. »

En 1938, dans Les grands cimetières sous la lune, Bernanos fustige la « colère des imbéciles ». On reproche aux pauvres de trop montrer leur pauvreté, et aux retraités leur misère. Les décrets-lois contre les étrangers se multiplient, la procédure de « déchéance de nationalité » est facilitée, les impôts augmentent et Daladier veut remettre la France au travail après les vacances du Front populaire. Pendant ce temps, Hitler réarme et Henri de Kérillis, ce député conservateur auquel Foessel rend hommage, pressent : « La France désarmée deviendrait la proie d'Hitler. Il installerait un Statthalter à Paris : il nous donnerait une bonne petite Constitution calculée pour exclure à jamais du pouvoir les Français qui ne l'admirent pas sans réserve ; il nous obligerait à expulser nos Juifs, il nous prendrait l'Alsace et la Lorraine. »

Récidiven'est pas un livre d'histoire. Et pourtant il en est question. Dans ce récit vif aux citations éloquentes, Michael Foessel a plongé dans l'année 1938 comme dans un grand bain un peu trouble. Son but, comprendre en quoi les années 1930 reviennent vers nous. Peut-être parce que nous ne les avons jamais quittées. Du moins dans les têtes. « Le détour par 1938 permet de voir en accéléré une démocratie qui prétend se défendre en empruntant les armes de ses adversaires les plus acharnés. » En filigrane, l'auteur d'Après la fin du monde(Seuil, 2012) avertit : une société qui abdique sur l'essentiel renvoie le probable à l'inéluctable.

Michaël Foessel
Récidive, 1938
PUF
Tirage: NC
Prix: 15 euros ; 192 p.
ISBN: 9782130817505

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