Sylvie Robert : "Il faut un texte fondateur"

Sylvie Robert - Photo Olivier Dion

Sylvie Robert : "Il faut un texte fondateur"

La sénatrice d’Ille-et-Vilaine Sylvie Robert (PS), qui a fait de la lecture publique son cheval de bataille depuis son rapport de juillet 2015 sur les horaires d’ouverture, détaille les enjeux de la présence des bibliothèques sur le territoire et juge utile que la France se dote d’une loi sur les bibliothèques.

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Par Véronique Heurtematte,
avec Créé le 09.06.2017 à 01h32

Sylvie Robert - Entrer dans un lieu culturel, ce n’est pas évident pour tout le monde. La bibliothèque est intéressante car elle est plus accessible que d’autres lieux de culture. C’est un objet suffisamment malléable pour qu’on puisse y attirer, y compris par des voies détournées, des publics qui n’auraient pas eu spontanément le réflexe de s’y rendre. A condition cependant de beaucoup travailler sur l’accueil. A la médiathèque Alexis-de-Tocqueville de Caen, par exemple, on trouve au rez-de-chaussée un café, un auditorium, un comptoir d’accueil où l’on peut se renseigner sur les activités, mais pas de livres, qui sont au premier étage. La question des inégalités sociales et territoriales est essentielle car elle touche à l’accès à la connaissance, à la formation, à l’apprentissage et derrière tout cela aux valeurs républicaines au sein desquelles on peut se retrouver.

Il y a en effet tout un travail à mener pour montrer aux élus ce qu’est une bibliothèque aujourd’hui et quel rôle elle peut jouer sur leur territoire. Certains l’ont bien compris, mais d’autres en sont restés à une image dépassée. Et avec une moyenne nationale de 17 % de la population ayant une carte de lecteur, la bibliothèque ne constitue peut-être pas, pour certains, un enjeu électoral. Pourtant, un équipement de lecture publique est souvent un élément structurant fort sur un territoire et un levier dans la mise en œuvre de l’intercommunalité. Créer un réseau de lecture publique, ça oblige les élus à s’asseoir autour de la même table et à se parler, ça construit de la territorialité. Je pense qu’il faudrait faire de la mutualisation des outils et des moyens de lecture publique un levier positif de l’intercommunalité. Même si cela ne passe pas par un transfert total de la compétence lecture publique à l’échelon intercommunal, car les maires sont très attachés à leur politique culturelle et à leurs équipements.

La question d’une éventuelle compensation par l’Etat des manques de certaines collectivités territoriales, pour atteindre un objectif d’égalité républicaine sur le territoire national, est une question très sensible. Je crois plutôt à la construction par l’Etat de dispositifs d’accompagnement qui peuvent constituer une vraie valeur ajoutée pour les collectivités territoriales. Cela doit être entre autres la mission des directions régionales des affaires culturelles, et c’est la raison pour laquelle j’y suis très attachée. Il faut trouver un juste équilibre entre la libre administration des collectivités territoriales et la nécessité de rendre plus efficiente une politique publique sur un territoire. A Quimper, le maire a supprimé la subvention du centre d’art contemporain, qui avait un label national et des financements de l’Etat. Malgré les lettres de la ministre de la Culture, le centre d’art a fermé. Fallait-il aller plus loin et comment ? La question reste entière.

Selon moi, oui. Une bibliothèque qui ferme devrait donner lieu à une réunion d’urgence sous l’égide du préfet avec la Drac, les villes et tous les partenaires du département. Je suis profondément décentralisatrice, je ne suis pas interventionniste, mais je crois beaucoup au dialogue.

C’est tout l’objet de la réflexion que nous menons actuellement dans le groupe de travail interprofessionnel que j’anime. Il existe une loi sur les archives, une loi sur les musées, mais il n’y a jamais eu de loi sur les bibliothèques. Le projet qui avait été écrit en 2002 n’a finalement pas été présenté au Parlement. Pour l’instant, je n’ai pas d’avis arrêté sur cette question. S’il y a une loi, ce sera pour valoriser et protéger. Il ne faut pas figer les choses, mais ce serait important d’avoir un texte fondateur pour qualifier ce qu’est une bibliothèque aujourd’hui et quelles sont ses missions. Cela permettrait de définir un socle de base qui pourrait ensuite être adapté en fonction des réalités des territoires. Aujourd’hui un tel texte n’existe pas, or je pense que cela sensibiliserait les élus, permettrait une meilleure compréhension des bibliothèques et une plus grande visibilité.

A mesure que l’on avance dans la réflexion, on s’aperçoit que des points importants pourraient être inscrits dans une loi : la question de la gouvernance territoriale, le statut des collections, la place et la reconnaissance des bénévoles, les grands principes d’un cadre lié au droit d’auteur pour les prêts numériques, les horaires d’ouverture. Il y a donc matière à légiférer !

Je crois que ce rapport a contribué à inscrire la question des horaires d’ouverture et plus généralement des missions des bibliothèques dans l’espace public. C’était nouveau et c’était mon but. Sur un sujet aussi sensible, je m’attendais à des réactions explosives mais l’accueil a été plutôt positif. Et ma recommandation sur la possibilité de recourir à la Dotation générale de décentralisation [DGD] pour subventionner des projets d’extension d’horaires a été suivie. Or l’argent, c’est le nerf de la guerre, cela permet de donner une impulsion. Les Drac reçoivent actuellement de nombreux dossiers de bibliothèques qui souhaitent recourir à la DGD pour élargir leurs horaires. Après, le message est passé. Mais ne lâchons rien ! Il faut encore et encore convaincre les élus que cette question de l’adaptation des horaires d’ouverture des bibliothèques est une vraie question de démocratie culturelle.

Le "3e lieu", dont on parle beaucoup pour qualifier les bibliothèques, c’est celui où l’on passe entre le travail et le domicile. Je comprends ce terme, même s’il ne recouvre pas la même réalité pour tout le monde, mais j’aimerais que l’on aille plus loin. La bibliothèque doit être un lieu de vie, où l’on se rend pour ce qu’il a à offrir, où l’on s’installe pour lire, consulter Internet, débattre, rencontrer d’autres personnes. Le "4e lieu", c’est dire que la bibliothèque est pleinement un équipement culturel du XXIe siècle, à l’écoute de ses usagers, de ses lecteurs.

09.06 2017

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