5 avril > Nouvelles Sri Lanka > Antonythasan Jesuthasan

Il en est des écrivains comme des pays, indissociables de leur histoire. Celle du Sri Lanka a été d’une violence inouïe, opposant les Tamouls et les Cinghalais, lesquels s’étaient arrogé tous les privilèges depuis le début des années 1970. Derrière la sérénité minérale des Bouddhas de Polonnârûva qui font l’attraction des touristes, le sang n’a cessé de couler: l’armée cinghalaise réprime sans merci les indépendantistes tamouls au nord-est de l’île, dont le mouvement le plus connu est LTTE (Liberation Tigers of Tamil Eelam), dits les "Tigres tamouls", qui massacrent à leur tour.

Antonythasan Jesuthasan, alias Shoba, fut l’un des leurs, avant de renoncer à l’action violente, comme il le racontait dans Shoba, itinéraire d’un réfugié (Le Livre de poche, 2017). Remarqué dans le rôle principal de Dheepan de Jacques Audiard, palme d’or à Cannes en 2015, l’acteur est aussi écrivain, comme le prouve ce recueil de nouvelles, Friday et Friday, qui sont toutes reliées par un prégnant filet d’hémoglobine et pulsent au rythme de l’angoisse de la répression policière et autres brutalités. Mais là où le récit susmentionné témoignait de manière linéaire de son parcours d’exilé, cette difficulté d’être quand on ne se sent jamais chez soi est ici narrée par un mélange de réalisme cru et de rêve halluciné. Dans le bureau du juge chargé de vérifier la validité de sa demande d’asile, on a des sueurs froides à l’idée d’être découvert avec des faux papiers. Les documents sont faux mais la mort qu’on fuit est vraie. Et c’est la vie de celle dont on a acheté l’acte de décès, la cousine putative tuée lors de représailles gouvernementales, que l’auteur nous relate dans toute son horreur ("Diana la ronde"). "Le Mouvement" avec une majuscule, cause au départ juste - la lutte pour l’égalité, la liberté de tout un peuple -, symbolise dans plusieurs histoires cette organisation à la hiérarchie ubuesque et à l’aveuglement sanguinaire. La nouvelle dont le titre est typographié en tamoul et qui signifie "tamoul" rend une manière d’hommage aux prostituées de par le monde: Laos, Thaïlande, Singapour, Paris… Même tarifé, l’amour console. "Friday" est le portrait d’un sage hindou à La Chapelle, le quartier tamoul de Paris, que la misère condamne mais que la fiction sauve. Sean J. Rose

23.03 2018

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