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Thionville : la rançon du succès

Un bel édifice à l’architecture audacieuse toute en courbes et grandes baies vitrées, signée par l’agence Dominique Coulon & associés. - Photo Véronique Heurtematte

Thionville : la rançon du succès

Puzzle, pôle emblématique de la démarche "3e lieu", rassemblant une médiathèque et un centre culturel, est submergé par une fréquentation massive. Un défi qui concerne l’ensemble de ces établissements hybrides, dont l’offre va bien au-delà de la lecture publique.

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Par Véronique Heurtematte
Créé le 10.11.2016 à 00h33 ,
Mis à jour le 10.11.2016 à 09h34

En cette fin de matinée ensoleillée d’automne, l’ambiance est encore paisible à Puzzle, le nouvel équipement culturel de Thionville. Elaboré suivant le concept de "3e lieu", le bâtiment de 4 500 m2 rassemble de plain-pied une médiathèque, un centre culturel spécialisé dans les arts plastiques et plusieurs espaces dédiés à la pratique et à la culture numériques. Quelques usagers sont installés dès l’ouverture à 9 heures dans les fauteuils de l’espace presse situé en face de l’entrée. Le café, au milieu du forum central, compte déjà plusieurs clients attablés autour d’une boisson chaude et se prépare pour le service du midi. Un retraité a entendu parler des ordinateurs en accès libre dans la médiathèque, qui ouvrira à 11 h, et souhaite connaître les conditions d’utilisation.

9 heures. Le café au milieu du forum central compte déjà plusieurs clients attablés autour d’une boisson chaude et se prépare pour le service du midi.- Photo VÉRONIQUE HEURTEMATTE

Le calme avant la tempête ? Car depuis son ouverture le 30 septembre, le bel édifice à l’architecture audacieuse toute en courbes et grandes baies vitrées, signée par l’agence Dominique Coulon & associés, est littéralement pris d’assaut. La première semaine, Puzzle a accueilli 1 700 visiteurs par jour, tandis que la médiathèque enregistrait quotidiennement 125 nouveaux inscrits. Les jeunes, en particulier, notamment ceux qui fréquentent les deux collèges-lycées voisins et qui utilisent les bus de la gare routière située à deux pas, en ont fait leur quartier général. Si la plupart utilisent le lieu paisiblement, s’installant pour travailler, bavarder ou jouer aux cartes, certains, venus en petites bandes, colonisent les espaces, y compris la section pour les enfants, adoptant un comportement agité et bruyant. Même s’ils sont le fait d’une petite minorité, ces excès, associés à l’affluence massive, ont suffi à gripper la belle machine dès les premiers jours. L’équipe de 36 personnes s’est trouvée dépassée par cette situation inédite à laquelle elle n’était pas préparée. Résultat : l’équipement a dû réduire son fonctionnement. La rampe végétale menant en extérieur au toit terrasse a été fermée, l’offre de jeux vidéo en accès libre dans le forum a été suspendue, l’espace d’exposition, qui a subi des dégradations, n’est ouvert que pour des visites accompagnées et plus en accès libre.

Des moyens humains importants

L’équipe, éprouvée par la situation dans un premier temps, se veut résolument positive. "Ce succès montre que ce type de lieu est une absolue nécessité et devrait exister dans toutes les villes, estime Clémentine Kuntzinger, responsable de la médiathèque. Car les jeunes n’ont aucun endroit où aller quand ils ne sont pas en cours."

Sylvie Terrier, directrice de Puzzle, aborde cette expérience comme un véritable laboratoire des mutations qu’engendre un "3e lieu". "L’architecte a poussé très loin ce concept, c’est un bâtiment quasi expérimental, très ouvert, offrant de nombreuses possibilités, observe la directrice. Nous avons dit aux habitants que ce lieu était le leur : ils nous ont entendus. A nous de réfléchir aux nouveaux enjeux autour d’un tel équipement, qui est un outil magnifique, et d’élaborer des propositions, en particulier pour les jeunes qui viennent massivement ici."

L’expérience de Thionville met en lumière l’enjeu de la médiation dans un équipement de type "3e lieu", qui nécessite des moyens humains importants et une diversification des profils en associant des compétences de médiateurs, d’animateurs voire d’éducateurs à ceux des métiers des bibliothèques. En la matière, l’équipe de Puzzle compte pour l’instant les trois animateurs du centre culturel et une ancienne policière municipale. "L’apport de nouveaux métiers constitue un enrichissement du projet et s’inscrit complètement dans l’esprit "3e lieu", confirme la directrice. C’est indispensable d’avoir dans l’équipe des professionnels qui ont les compétences pour dialoguer avec les jeunes."

Reste que pour l’instant l’équipe est insuffisante pour proposer les animations et les activités, notamment autour du numérique, l’axe fort de Puzzle, inscrites dans le projet. Le maire, Pierre Cuny, le reconnaît sans détour : "Mon ambition est de faire de Puzzle un véritable "3e lieu", qui serait à la croisée de tout ce qui se fait en matière culturelle dans la ville, affirme l’élu. Pour l’instant, ce n’est pas le cas. On a vu dès l’ouverture que le nombre d’agents était insuffisant pour assurer les horaires et le fonctionnement tels qu’ils étaient prévus." La médiathèque de Puzzle est ouverte 38 heures par semaine du mardi au samedi et un dimanche par mois, ce qui la place largement au-dessus de la moyenne nationale pour une commune de cette taille.

Des règles de vie

Elaboré par l’ancien maire PS de Thionville, Bertrand Mertz, le projet de "3e lieu" a été pendant des années fortement critiqué par l’opposition, qui en hérite en 2014 quand elle accède à la tête de la municipalité. Le programme est alors remanié en profondeur, mais pas abandonné. "Nous étions opposés au fait que ce soit un équipement municipal, mais pas au projet lui-même, tient à préciser le maire. Thionville, 42 000 habitants, est une ville de centralité qui assume toutes les charges de cette responsabilité sans en avoir les moyens. Puzzle, comme d’autres équipements culturels de notre communauté d’agglomération (1), devrait être géré à l’échelon intercommunal." Sur les 17 millions d’euros HT qu’a coûté le programme, 8 millions sont supportés par la ville, de même que l’intégralité du budget de fonctionnement de 1,5 million d’euros. Or, 35 % des inscrits à Puzzle ne sont pas thionvillois.

Dans l’immédiat, les solutions sont recherchées du côté des partenariats avec les autres structures socioculturelles institutionnelles ou associatives de la ville, tels que la ludothèque qui pourrait venir s’installer ponctuellement à Puzzle, ou encore avec les centres sociaux qui disposeraient là d’espaces et d’équipements dont ils sont dépourvus et apporteraient en échange leurs forces vives. Le maire met également en avant le recours au bénévolat. "Il faut aider les familles à s’approprier le lieu et sensibiliser certains jeunes qui ne sont pas toujours très familiers de la culture. Nous allons établir des règles de vie. C’est un endroit où venir pour ce qu’il offre, pas juste parce qu’il y fait chaud."

(1) Portes de France-Thionville regroupant 13 communes et plus de 80 000 habitants.

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