Rigueur

TVA : le pas en arrière

OLIVIER DION

TVA : le pas en arrière

L'annonce de la hausse de la TVA prend tout le monde de court, au moment où se met en place une réglementation du prix du livre numérique unanimement appréciée. Face à ces signaux contradictoires des pouvoirs publics, le président du SNE, Antoine Gallimard, s'inquiète des effets de la politique de rigueur sur le secteur.

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Par Hervé Hugueny,
avec Créé le 15.04.2015 à 19h12 ,
Mis à jour le 16.04.2015 à 02h43

Alors que Jacques Toubon ferraille à la Commission européenne pour défendre l'extension au numérique du taux réduit de TVA dont bénéficie le livre imprimé, le gouvernement français a annoncé en début de semaine qu'il augmentera ladite "taxe sur la valeur ajoutée" de 5,5 % à 7 %, à compter du 1er janvier prochain.

CONTRADICTION

Une mesure en contradiction avec le soin que les pouvoirs publics ont mis tout au long de l'année à soutenir les outils de régulation du marché du livre, en incluant sa composante numérique (voir p. 15). Ce qui explique la vivacité des réactions (voir p. 11) face à une mesure qui conduit logiquement à renchérir le prix du livre déjà confronté à la baisse du pouvoir d'achat. "Le Syndicat national de l'édition regrette vivement l'absence de concertation et de coordination préalable à l'annonce de la hausse du taux de TVA", s'indignait le SNE dans un communiqué publié le lendemain, en chiffrant l'effort demandé à la chaîne du livre : une soixantaine de millions d'euros. C'est à la fois beaucoup pour le secteur, souligne le syndicat, mais c'est finalement bien peu au vu de l'ampleur des déficits publics à combler.

Cette hausse, qui ramène la TVA sur le livre au taux qui prévalait jusqu'en 1989, écorne aussi la principale mesure d'aide des pouvoirs publics au livre : à 5,5 % le taux réduit représente une économie de prélèvement fiscal d'environ 600 millions d'euros par rapport à une application du taux de 19,6 %. Il contribue à contenir les prix et laisse un peu plus de marge aux différents acteurs.

30 CENTIMES POUR UN GRAND FORMAT

La répercussion de cette hausse est la question que tous se posent maintenant. En ce qui concerne son groupe, Antoine Gallimard prend la chose avec une certaine sérénité et prévoit de juger au cas par cas (voir ci-dessous). C'est aussi la position d'Hachette Livre : "Tout dépendra de la nature du livre et de son environnement concurrentiel", déclare-t-on au service de communication du groupe, qui "prend acte de la décision" sans formuler aucun avis à son propos.

Sur un livre de poche à 6,50 euros, le nouveau taux représenterait une augmentation de près de 10 centimes. Sur un grand format à 20 euros, 30 centimes, si l'éditeur choisit de la répercuter intégralement sur le consommateur. Il faudra alors prévoir des réétiquetages complets au 1er janvier prochain.

S'il la prend sur sa marge, cet effort touchera aussi les libraires, comme l'a immédiatement souligné le président du SLF (voir p. 11). Pour maintenir un prix public inchangé avec un niveau de taxe supérieur, l'éditeur baissera en effet d'un montant équivalent son prix net, sur lequel le taux de remise du libraire est calculé. L'effort se mesurerait au minimum en milliers d'euros pour les librairies moyennes, et en millions pour les grands réseaux - d'où la réaction très virulente du P-DG de la Fnac qui a vite fait ses comptes. Pour que la non-répercussion au lecteur soit sans douleur pour le libraire, il faudrait que l'éditeur augmente son taux de remise, ce qui n'est pas gagné...

Mais le pire n'est pas encore sûr, car cette mesure devra être votée dans le cadre d'une loi de finances rectificative, explique Marcel Rogemont, député PS, vice-président de la Commission des affaires culturelles à l'Assemblée nationale, très impliqué dans les discussions sur le prix du livre numérique. Résolument contre cette hausse, il se dit prêt à soutenir la chaîne du livre dans ce combat, qui devrait trouver aussi un écho au Sénat, où la majorité est maintenant à gauche. Le lobbying du livre trouvera donc des relais attentifs, mais qui devront passer par-dessus les appels à la raison et à l'effort collectif. "Compte tenu de la situation dramatique que nous allons traverser durablement, je pense que cette mesure horizontale s'impose et qu'il ne faut pas multiplier les dérogations", nous déclarait pour sa part Hervé Gaymard, député UMP tout aussi impliqué dans la vie du livre.

Antoine Gallimard : "Espérons que la rigueur ne pèsera pas trop sur la politique culturelle"

Tout en s'inquiétant des répercussions de la rigueur budgétaire sur le secteur du livre qui vit des heures difficiles, le président du Syndicat national de l'édition se réjouit de l'extension au numérique des règles qui le régissent.

"Ce sera à nous d'apporter la preuve à la Commission européenne que la loi sur le prix du livre numérique est utile. Ne pas utiliser la loi, ce serait laisser croire qu'on peut s'en passer, ce qui est très dangereux." ANTOINE GALLIMARD- Photo OLIVIER DION

Livres Hebdo - Le gouvernement a annoncé son intention d'appliquer une TVA à 7 % sur le livre. Les éditeurs vont-ils la répercuter entièrement ou réduire en partie leur marge ?

Antoine Gallimard - Le SNE ne fera pas de recommandation, il doit être parfaitement neutre en matière de tarification. Chaque éditeur agira en fonction des prix de marché et de la concurrence. Chez Gallimard, il est très probable que nous augmenterons un peu nos tarifs, en fonction des particularités de chaque segment de marché, au cas par cas, et pas systématiquement. Mais ce n'est pas une hausse considérable, le prix du livre ne s'en trouvera pas trop renchéri.

Pensez-vous que dans ce contexte de rigueur la baisse de la TVA sur le livre numérique pourra entrer en vigueur au 1er janvier prochain  ?

Le ministre de la Culture nous a assuré que nous pourrions appliquer le taux réduit sur le livre numérique et que, si jamais il y avait une condamnation de la Commission européenne, elle ne serait pas répercutée sur les éditeurs par l'Etat. J'ai été un des artisans de cette baisse, au nom de la réduction de distorsion de la fiscalité entre le livre papier et le numérique qui est aussi un bien culturel, et non un service contrairement à ce qu'affirme l'orthodoxie de la Commission européenne.

Cette baisse sera-t-elle répercutée intégralement par les éditeurs ?

Une TVA ajustée nous permettra d'arriver à des prix pour le numérique qui devraient être inférieurs de 30 à 35 % à ceux du papier, en respectant les différents acteurs de la chaîne de valeur, notamment les auteurs et les éditeurs. Le SNE recommandera de répercuter cette baisse, mais chaque éditeur sera libre d'en choisir les modalités. Chez Gallimard, nous l'appliquerons.

La loi sur le prix du livre numérique entrera en vigueur dans les prochains jours, quel sera son principal apport ?

Elle va sécuriser les relations entre éditeurs et vendeurs, et notamment avec les plus grands qui imposent des rapports de force. En Grande-Bretagne, Amazon fait un dumping terrible, il écrase tout sur son passage, y compris les plus grandes chaînes de distribution. La Fnac et les distributeurs spécialisés l'ont bien compris, et défendent aussi cette loi qui garantira un accès équitable de tous les revendeurs au livre numérique. Même les représentants de Google nous ont déclaré qu'ils sont pour ce texte ! D'autre part, l'absence de réglementation sur le numérique pourrait à terme remettre en cause celle du livre physique.

Etes-vous prêt à remplacer le contrat de mandat que vous venez de signer avec Amazon et Apple par des conditions générales de vente, comme dans le papier ?

C'est une clause que nous avons prévue, chez Gallimard. Nos conditions générales de vente ne sont pas encore prêtes, mais nous y travaillons de façon à pouvoir les appliquer en janvier prochain, en même temps que la TVA réduite. Et le remplacement du contrat de mandat aura aussi le mérite de clarifier les choses : actuellement pour les livres numériques Amazon indique qu'il applique un "prix éditeur", en laissant entendre que ce n'est pas le bon tarif, qui devrait être le sien.

Quel sera l'avantage des conditions générales de vente par rapport au contrat de mandat ?

Elles seront plus souples et plus ouvertes, et elles nous permettront de bien valoriser les critères qualitatifs, puisque tout le monde disposera des mêmes prix et de la même offre. Ces critères seront à préciser entre éditeurs et revendeurs, dans la commission des usages commerciaux. D'autre part, le contrat de mandat est fragilisé en raison de l'enquête de la Commission européenne - même si je ne vois pas en quoi il pourrait favoriser une quelconque entente sur les prix.

Mais la Commission européenne conteste aussi cette loi, que certains éditeurs trouvent de fait incertaine...

Il semble finalement qu'elle laissera au moins passer une période d'observation, en nous donnant le temps d'en montrer l'efficacité et l'utilité. Nous avons d'ailleurs été consultés dans ce sens par la Commission, au cours de l'été. Ce sera donc à nous d'apporter cette preuve. Ne pas utiliser la loi, ce serait laisser croire qu'on peut s'en passer, ce qui est très dangereux.

Avec l'arrivée de nouveaux entrants, l'évolution des ventes permet-elle de laisser supposer que le numérique sera un atout face à la chute du pouvoir d'achat ?

C'est encore bien trop tôt pour le savoir. Pour le moment, un grand succès, c'est entre 1 000 et 2 000 ventes... Et, aux Etats-Unis, on voit qu'il n'y a pas vraiment de création d'un nouveau marché, mais plutôt une substitution, notamment aux dépens du livre de poche. D'autre part, il faudra bien résoudre les problèmes de compatibilité de format et de facilité d'accès, c'est un souci que l'on partage avec les libraires.

La nouvelle branche éditoriale d'Amazon aux Etats-Unis a publié 122 nouveautés ; cette arrivée du marchand en ligne dans l'édition n'est-elle pas un risque pour le monde du livre ?

C'est dangereux pour l'équilibre du marché, et cela pose un problème d'égalité dans la présentation de l'offre : je ne vois pas comment Amazon pourrait présenter ses titres de façon neutre, à côté de ceux des éditeurs qu'il revend. Et c'est mal comprendre notre métier, nous sommes comme des galeristes, des artisans, notre spécificité, c'est la découverte d'auteurs. Ce genre d'initiatives ne peut que déboucher sur une production formatée, dans le pratique, le sentimental, les best-sellers. Le premier lecteur d'un auteur, c'est l'éditeur, qui pourra l'accompagner dans ses années d'improductivité. Gallimard a signé le contrat pour Belle du Seigneur avec Albert Cohen en 1922, et le roman a été publié en 1968. Je ne crois pas que M. Bezos aurait la même constance que Gaston Gallimard...

Le plan de rigueur gouvernemental et ses répercussions sur le pouvoir d'achat ne vont-ils pas fragiliser davantage le livre ?

Il faut espérer que cette rigueur ne pèsera pas trop sur la politique culturelle, le soutien à la création et à la librairie via le CNL. Mais un amendement de la loi de finances nous apparaît inquiétant : il plafonne les recettes de la taxe éditeur affectées au CNL, dont le surplus sera reversé au budget général.

La proposition de loi préparant le programme de numérisation des livres indisponibles du XXe siècle est déposée ; où en est le projet côté éditeurs, dans le cadre des investissements d'avenir ?

Il faudra choisir la société de gestion collective chargée de gérer les droits de ces oeuvres indisponibles, entre la Sofia et le CFC, toutes deux candidates. Il faudra créer aussi la société de projet, pour conduire la numérisation des titres, et leur commercialisation, en commençant par une première tranche pour éprouver la solution de ce programme. Mais ce ne sera pas forcément une structure ad hoc, il ne s'agit pas de lancer une grosse machine de guerre : c'est un emprunt, qu'il faudra rembourser, il est donc difficile pour les éditeurs de s'engager sans mesurer ce marché.

Prix du livre numérique : une loi de sécurité ?

Tous les éditeurs apprécient la loi sur le prix du livre numérique pour la sécurité qu'elle leur offre. Mais ils ne sont pas tous prêts à l'utiliser à la place des contrats de mandat, alors que les libraires les trouvent trop contraignants.

Photo OLIVIER DION

Occupé par divers problèmes de crise financière, le Premier ministre n'avait pas encore eu le temps, à l'heure où nous mettions sous presse, de signer les décrets d'application de la loi du 26 mai 2011 sur le prix du livre numérique. Mais ce n'est qu'une question de jours, tous les autres représentants du gouvernement concernés, dont le ministre de la Culture, ayant apposé leur paraphe. Et maintenant que le principe est acquis, l'application formelle de ce texte qui a suscité tellement de discussions apparaîtrait presque comme un non-événement. Le président du SNE doit même rappeler qu'il serait dangereux de ne pas utiliser cette réglementation (voir p. 12-14) dont la France doit prouver la nécessité face à Bruxelles.

UN DEUXIÈME FILET DE SÉCURITÉ

Car si tous les éditeurs s'en disent satisfaits, certains d'entre eux ne voient pas l'utilité de remplacer les contrats de mandat qui remplissent la même finalité que la loi. "Avec le contrat, les prix sont déjà sous la responsabilité de l'éditeur. La loi ne change rien formellement et sur le fond. Elle a une portée politique et sert à cadrer le débat", estimait fin octobre Francis Lang, directeur commercial d'Hachette Livre. Le groupe continuera donc à proposer ses contrats aux libraires et autres revendeurs à venir dans ce nouveau circuit.

"La loi est un deuxième filet de sécurité, si la Commission européenne décidait pour des raisons juridiques que le contrat de mandat n'est pas valable", anticipe Alexis Esménard, directeur du développement numérique d'Albin Michel. Le groupe, qui propose actuellement 1 500 ebooks et en rajoutera 500 à 600 d'ici à la fin de l'année, ne prévoit pas non plus de remplacer les contrats de mandat par des conditions générales de vente (CGV), ni maintenant ni à leur échéance.

Car à l'usage, ce contrat se révèle plein de qualités, vu du côté du mandant. "Pour qu'un tel accord soit juridiquement incontestable devant les autorités de la concurrence, le revendeur ne doit formuler aucune exigence, si minime soit-elle : il n'y a aucun déplacement possible du pouvoir de décision de l'éditeur", insistait Patrick Gambache, responsable du développement numérique du groupe La Martinière au moment des ultimes négociations avec Amazon. Ce qui fut bien pratique pour résister au cybermarchand américain, alors qu'il tentait de contraindre les éditeurs à adopter au moins une grille de prix en paliers. D'autre part, le champ de la loi, volontairement limité aux ebooks homothétiques du livre papier, ne couvre pas les livres enrichis que certains éditeurs, tel Albin Michel, commencent à proposer.

En revanche, Actes Sud passera aux CGV, sans y voir de grand bouleversement : "Les dispositions des contrats pourront passer dans les conditions générales de ventes, qui seront essentiellement d'ordre qualitatif, autour de la mise en avant des liens entre l'offre papier et numérique, la qualité du moteur de recherche, la défense de la politique d'auteur", explique Laetitia Ruaut, directrice commerciale de la maison. Actes Sud propose actuellement une centaine de livres numérisés, et en ajoutera 50 à 100 par mois à partir de 2012. Editis discutait de cette option entre contrat et CGV en début de semaine. Pour Flammarion, "les contrats de mandat négociés jusqu'ici resteront en vigueur jusqu'à leur terme", indique Teresa Cremisi, P-DG du groupe, qui remercie les pouvoirs publics d'avoir "pris à coeur la défense de la création, malgré les freins de la réglementation européenne".

Pour le ministère de la Culture, qui a sollicité l'avis de l'Autorité de la concurrence, réuni les professionnels du livre afin de produire un texte validé par tous, puis pour les députés et sénateurs qui se sont empoignés à propos de l'extraterritorialité de la loi et des droits numériques des auteurs, il y a en effet de quoi s'interroger sur le sens de ces efforts. Mais en son temps, la loi Lang, aujourd'hui si évidente, avait été promulguée dans un contexte bien moins consensuel, même parmi les éditeurs.

DÉMINER

Les efforts du ministère n'ont pas été vains pour déminer le terrain du côté de la Commission européenne. Celle-ci a laissé passer le délai du 26 octobre dernier sans émettre d'avis contre les décrets, alors qu'elle s'était montrée très critique sur la loi elle-même. Jugé comme un signe encourageant au ministère de la Culture, ce silence a dégagé le terrain pour une application rapide de la loi, et laisse espérer une suite relativement sereine, alors qu'une mise en demeure de la France était jugée inéluctable avant l'été. Satisfaite de la réponse très argumentée du Service du livre et de la lecture, la DG Entreprises considère qu'elle n'a plus rien à ajouter, et a passé le dossier à la DG Marché intérieur, dirigée par Michel Barnier, un commissaire français qui devrait être sensible à la nécessité de ce texte. Le seul risque juridique viendrait maintenant d'une mise en cause par un revendeur insatisfait de ne pouvoir user de la liberté tarifaire pour bousculer le marché - comme en 1981 avec la loi Lang.

Les libraires au contraire attendent l'application du texte avec impatience. Car dans le cadre du contrat de mandat, "le mandataire n'a aucune marge de manoeuvre, aucune autonomie dans sa politique commerciale", >rappelle Guillaume Husson, secrétaire général du Syndicat de la librairie française (SLF). "Maintenant qu'il existe un autre dispositif pour régler la question du prix, maintenir le contrat de mandat ne présente plus que des inconvénients pour les libraires, qui ne peuvent plus exercer leur métier, définir et présenter leur offre numérique comme ils l'entendent." Mais jusqu'à maintenant aucun éditeur n'a entrepris d'invoquer ce pouvoir pour intervenir dans la vente de ses ebooks chez un libraire. La maîtrise des prix suffit à leur bonheur.

15.04 2015

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