FOIRE DE PÉKIN

Un amour de Chine

Le nouveau centre de congrès de Pékin. - Photo FABRICE PIAULT/LH

Un amour de Chine

Pékin est devenu incontournable pour les éditeurs français, où une bonne vingtaine étaient présents du 31 août au 4 septembre. L'accélération de la professionnalisation des maisons publiques chinoises et des très dynamiques "ateliers" privés leur permet de développer une activité régulière au sein de la future première puissance mondiale.

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Par Fabrice Piault,
Créé le 11.09.2015 à 14h33

A l'entrée, mercredi 31 août, on frôle l'émeute. Les organisateurs avaient annoncé la fermeture aux visiteurs de la 18e Foire internationale du livre de Pékin dès 12 h 30 pour la visite d'un des principaux dirigeants du pays. Mais les vigiles en interdisent l'accès après 12 heures, y compris aux exposants. La colère monte parmi la soixantaine d'éditeurs chinois bloqués avec une quinzaine de Néerlandais... pourtant invités d'honneur cette année. Des policiers casqués sont appelés à la rescousse des vigiles effrayés, avant que les organisateurs ne finissent par céder à leur pression, les laissant entrer au compte-gouttes.

Plus tard, dans l'après-midi, les halls du nouveau centre de congrès proche de l'aéroport, où la foire se tient jusqu'au 4 septembre pour la première fois, sont à nouveau successivement fermés au rythme de la visite du dignitaire. La propension à promener les dirigeants dans des manifestations vidées de leurs participants n'est pas nouvelle en Chine. Elle oblige pourtant les éditeurs à annuler des rendez-vous importants, et détonne dans un pays dont l'édition s'est complètement transformée en dix ans.

Photo FABRICE PIAULT/LH

"Leur demande s'est sophistiquée"

Car en dépit de sa conception peu ouverte, la Foire de Pékin, avec 2 000 exposants de 60 pays sur 53 000 m2, s'impose toujours plus chaque année comme un rendez-vous incontournable pour l'édition internationale. "Je suis stupéfaite par la rapidité des changements et la professionnalisation des éditeurs chinois, s'extasie Sherri Aldis, directrice des droits étrangers du Chêne, qui était déjà venue en 2005 et 2007. Leur compréhension du marché international et des droits étrangers a énormément progressé, et leur demande s'est sophistiquée."

De fait, les cessions de droits français en Chine ne cessent de croître (voir graphiques ci-contre). Cette année, plus de vingt représentants et agents de l'édition française ont gagné Pékin, contre une quinzaine auparavant. Sur la durée, ils sont même une quarantaine à venir régulièrement car, tandis que les agents comme Sally Mak (Casterman), Dong Xinxin (Hemma, Ballon), Daisy Lee (Dargaud-Dupuis-Le Lombard), Juan Wu (L'Ecole des loisirs) ou la multicarte Solène Demigneux sont présents quasiment chaque année, de nombreux responsables de droits participent à la Foire tous les deux ou trois ans. Sur 90 m2 très fournis, le stand français à Pékin est le plus important et le plus dynamique de ceux organisés à l'étranger par le Bureau international de l'édition française, après ceux de Francfort, Londres et Bologne.

Avec 62 % des 744 titres cédés en 2010, l'édition jeunesse reste le moteur de l'activité des Français en Chine, qui se déploie avec les grandes maisons publiques comme avec les "ateliers culturels" privés. Ce secteur reste "une valeur sûre", dit Nicolas Idier, attaché culturel à l'ambassade de France, qui a d'ailleurs convié l'éditrice Françoise Prêtre (La Souris qui raconte) à la Foire de Pékin. Et de noter que le dessinateur Serge Bloch a été invité par son éditeur chinois, Yilin, tandis qu'un séminaire sur Claude Ponti, également organisé par son éditeur, a expliqué "pourquoi Ponti est facile à comprendre".

"Nos illustrations plaisent ; nous vendont des séries d'albums et nos documents commencent à intéresser aussi, constate Aurélia Hardy, directrice des droits chez Auzou, à Pékin pour la deuxième fois après un premier séjour il y a deux ans. Il ne faut pas mettre les éditeurs chinois dans des cases : ils sont en réalité très ouverts." Le développement de son activité en Chine, et plus largement en Asie, l'a incitée à installer un bureau d'Auzou à Pékin via l'agence Dakai, de Solène Domigneux, qui lui affecte une agente à plein-temps, Giulia Scandone.

En bande dessinée, un secteur qui intéresse également beaucoup les Chinois même s'ils y ont peu d'expérience, c'est encore surtout la BD pour la jeunesse qui "suscite un intérêt renouvelé", fait valoir Sophie Castille, directrice des droits étrangers du pôle images de Média-Participations (Dargaud, Dupuis, Le Lombard, Kana), qui en est à son cinquième séjour à Pékin depuis 2000. Mais outre L'élève Ducobu et Yakari, elle vend très bien les droits des quelques auteurs chinois publiés par Kana, et enregistre "un début d'intérêt pour la BD numérique même si subsistent des carences techniques pour la couleur ainsi que pour quelques romans graphiques".

Au Chêne, Sherri Aldis remarque "un intérêt croissant des éditeurs chinois pour l'art de vivre à la française", notamment pour les livres sur la dégustation du vin et les livres d'art grand public. China Photographic a acquis les droits du fameux A table avec Monet. My little Paris a été vendu à Citic Press après les enchères de quatre éditeurs chinois - "une première pour moi, qui souligne la sophistication croissante du marché", pointe la directrice des droits.

Le Clézio à Shanghai

Si la littérature contemporaine est plus difficile à implanter en Chine, Jean-Marie Le Clézio y a fait en août un séjour remarqué pour la Foire du livre de Shanghai, une manifestation grand public qui attire quelque 300 000 visiteurs. Invité par son éditeur, l'atelier privé Shanghai 99, et par des universitaires, le prix Nobel 2008 a signé près de 1 200 livres, et les conférences et débats auxquels il a participé ont fait salle comble, signale Peng Lun, directeur éditorial adjoint de Shanghai 99. Dans un autre domaine, Pierre Dukan sera en octobre en Chine pour le lancement parallèle de Je ne sais pas maigrir (Shanghai 99/People's literature, 50 000 exemplaires) et de la version chinoise de son site de coaching. "C'est la première fois qu'un ouvrage de diététique non asiatique est publié en Chine", indique Solène Domigneux, qui représente le diététicien.

Atout non négligeable pour les responsables de droits, "les services culturels de l'ambassade de France à Pékin sont particulièrement dynamiques", observe Sherri Aldis. Cette année, ils fêtent les vingt ans du programme Fu Leil, qui soutient la traduction de 60 à 70 titres par an. "Notre priorité est de promouvoir la nouvelle pensée française, en sociologie, en écologie et en économie comme en histoire de l'art", explique Nicolas Idier, qui annonce une tournée de François Cusset et Frédéric Gros sur "la nouvelle scène intellectuelle française".

Pionnière

Si elle séduit d'abord les responsables de droits, la Chine commence aussi à attirer les éditeurs eux-mêmes. Pionnière, Hélène Wadowski, directrice de Flammarion jeunesse-Père Castor, a rencontré quatre traducteurs grâce à l'Institut français, et surtout enchaîné avec Bénédicte Roux, directrice littéraire du segment des 0-10 ans, 35 rendez-vous. "Je n'ai pas trouvé chez les Chinois d'albums de fabrication originale comme ceux qu'ils réalisent pour les Occidentaux, mais j'ai trouvé des romans contemporains dans le milieu chinois ainsi que des histoires traditionnelles", se réjouit-elle, se félicitant d'avoir rencontré des partenaires "avec une vraie démarche internationale, des catalogues ou même des cédéroms en anglais".

Pour les éditeurs chinois, qui se dotent de plus en plus de services de droits, la démarche d'Hélène Wadowski reste cependant trop rare. Jiang Lei, chargée dans le groupe Phoenix - par ailleurs associé à Hachette dans une joint-venture - de vendre des droits en France, estime faire "un travail ardu. Il est difficile et coûteux de trouver des traducteurs du chinois en français, explique-t-elle, et les Français marquent peu d'intérêt".

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