Le 9 juin 2011, la Cour de cassation se penchait sur la divulgation de la correspondance amoureuse de René Char. Autres temps, mêmes mœurs, le tribunal de grande instance de Paris vient de fustiger, le 7 septembre dernier, PPDA pour avoir reproduit sans autorisation les lettres et textos d’une de ses ex, Agathe Borne. Certains commentateurs – en réalité, en première ligne, le défenseur du défendeur – se sont étonnés de cette décision, notamment en ce qu’elle sanctionne la reprise non autorisée d’une œuvre épistolaire. Rappelons donc qu’il existe, même chez les professionnels du livre les plus avertis, une croyance erronée mais persistante selon laquelle le destinataire de lettres peut autoriser leur publication. Or, l’article L. 111-3 du Code de la propriété intellectuelle énonce sans ambiguïté que « La propriété incorporelle (...) est indépendante de la propriété de l’objet matériel. L’acquéreur de cet objet n’est investi, du fait de cette acquisition, d’aucun des droits prévus par le présent code (...) ». Seul l’auteur des missives - ou ses ayants droits - est donc titulaire des droits de propriété littéraire et artistique et donc à même de décider de leur exploitation publique. A fortiori , lui seul peut en recueillir le fruit, c’est-à-dire percevoir des droits d’auteur. Des lettres inédites de Romain Rolland ont donné l’occasion à un tribunal de rappeler clairement cette règle : «  Attendu que si le destinataire d’une lettre missive peut transmettre la propriété de l’élément matériel qu’elle comporte, il ne s’ensuit pas qu’il ait le droit de disposer à son gré de l’élément intellectuel, c’est-à-dire de la pensée de l’auteur et de son expression ; que celui-ci peut seul en autoriser la publication, que la correspondance soit confidentielle ou non  ». L’édition d’une correspondance croisée ou multiple doit bien évidemment donner lieu à autant d’autorisations qu’il y a d’auteurs de lettres, de mails, de textos et autres sextos. De même, l’autorisation de consulter une correspondance, dans le cadre de la rédaction d’une thèse par exemple, ne vaut pas autorisation de publication. Certains chercheurs et leurs éditeurs s’y sont laissé prendre et ont été parfois lourdement condamnés. La Cour d’appel de Paris a ainsi déjà jugé, à propos de lettres du même Romaind Rolland à Stephan Zweig : «  S’il eût été préférable que la veuve réaffirmât   à l’auteur de la thèse, en 1969, son opposition à toute publication, ce qu’elle n’eût sans doute pas manqué de faire si elle avait sinon lu, du moins parcouru la thèse en litige, il n’en demeure pas moins que le professeur, même s’il a pu, en 1954, se méprendre sur la portée de l’autorisation accordée pour la rédaction de sa thèse, dactylographiée, avait l’obligation d’obtenir de la veuve, avant de faire éditer son œuvre et de lui assurer ainsi une large diffusion, un consentement écrit et non équivoque  ». Il faut donc absolument s’assurer non seulement que l’autorisation de publication émane bien   de l’auteur des lettres ou de ses héritiers, mais aussi s’enquérir de l’étendue exacte de cette autorisation. Le propriétaire matériel des lettres (ou du téléphone portable sur lequel arrivent les messages enflammés) pourra tout au plus exercer une sorte de droit d’accès, c’est-à-dire monnayer le droit de prendre sereinement connaissance du contenu des missives et d’en faire copie. La loi prévoit en effet qu’il ne pourra être exigé «  du propriétaire de l’objet matériel la mise à (...) disposition de cet objet pour l’exercice  » des droits. «  Néanmoins, en cas d’abus notoire du propriétaire empêchant l’exercice du droit de divulgation, le tribunal de grande instance peut prendre toute mesure appropriée  », c’est-à-dire ordonner notamment qu’il soit passé outre cette rétention. Enfin, la divulgation ne doit pas être préjudiciable à l‘auteur des lettres, à leur destinataire ou encore aux tiers qui y sont cités, que ce soit en termes de diffamation, d’injure ou, plus fréquemment, d’atteinte à la vie privée (ce dernier point ayant d’ailleurs été reproché par les juges à PPDA). Il a ainsi déjà été jugé, à propos de lettres de George Sand — tentons encore de remonter le niveau de nos exemples ! —, que «  leur auteur a créé une valeur qu’il peut mettre à profit, à son heure, pourvu qu’il ne compromette pas, par sa publication, le nom ou les intérêts du destinataire  » et que «  pour des raisons de moralité, il ne convient pas de livrer à la malignité publique les secrets des familles ou les appréciations émises par des individus quand elles ont un caractère strictement personnel et que leur divulgation est de nature à causer préjudic e ».
15.10 2013

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