ÉDITION

Trois inédits dont on parle : Bukowski (13e Note), Perec (Seuil) et Thoreau (Finitude).- Photo OLIVIER DION

A la librairie Le Failler, à Rennes, Le journal d'un corps de Daniel Pennac est exposé avec les coups de coeur, en facing à l'entrée, à côté du Condottière, le "dernier" Georges Perec. Le Seuil vient en effet d'éditer un roman de jeunesse de l'auteur de La vie mode d'emploi (1). "Dès sa parution, nous avons eu de la demande sur ce titre, en raison de l'article dans Le Monde des livres, explique Rachel Guitton, libraire. J'en ai tout de suite vendu une vingtaine." Sur toute la France, 16 000 exemplaires sont déjà sortis en librairie. Les inédits d'auteurs disparus se multiplient en ce début d'année. Viennent d'arriver de nouveaux textes de Charles Bukowski (Shakespeare n'a jamais fait ça, 13e Note), Lawrence Durrell (Petite musique pour amoureux, Buchet-Chastel), Irène Némirovsky (Nonoche, Mouck) mais aussi Charles Dickens, George Sand, Graham Greene, Stefan Zweig, Robert Louis Stevenson...

Dans des malles

La publication posthume de manuscrits inédits de grands écrivains est un des ressorts traditionnels du monde du livre. "Il y a toujours eu ces découvertes "dans des malles". C'est un grand classique de l'édition, confirme Pascal Fouché, historien. On a publié après leur mort le dernier roman de Camus, des textes de Céline... Ces publications intéressent le public habituel des auteurs ainsi que la recherche universitaire. C'est aussi plus facile à vendre qu'un inconnu." Et en cette période où les ventes sont en chute (- 4 % en janvier), l'argument fait poids et la production de textes labellisés "inédits d'auteurs réputés" s'accélère.

Ce n'est cependant pas le jackpot assuré et la plupart des ventes plafonnent à quelques centaines d'exemplaires. Les éditeurs rêvent tous d'une success story comme celle de Suite française d'Irène Némirovsky (Denoël), prix Renaudot en 2004 à titre posthume, et plus de 600 000 ventes au compteur. Il y a eu aussi les beaux succès de textes jamais traduits, ceux de Stefan Zweig chez Grasset, Un soupçon légitime (presque 70 000 exemplaires vendus) et Le voyage dans le passé (330 000 ventes toutes éditions confondues), ou la mode Alexandre Dumas ouverte par Le Chevalier de Sainte-Hermine (Phébus), qui s'est traduite par une vague d'inédits plus ou moins heureux. Claude Schopp avait découvert l'oeuvre au terme d'une chasse au trésor, lancée à partir d'un indice glané dans une lettre de Dumas où celui-ci évoquait les dettes de Joséphine de Beauharnais...

Réelle ou quelque peu enjolivée, il y a toujours une belle histoire autour de la découverte des inédits, vieux manuscrits dormant dans des greniers poussiéreux ou dans des bibliothèques oubliées. Ces belles histoires font de beaux articles dans la presse, ce qui facilite la médiatisation du livre, surtout si l'auteur est fameux.

Les lecteurs passionnés n'hésitent pas. "Nous avons généralement affaire à des collectionneurs, qui ne lisent parfois même pas l'argument du livre. Ils veulent se plonger dans la lecture d'un auteur dont ils ne pensaient pas pouvoir encore découvrir des écrits", observe Delphine de Loisy chez Grangier à Dijon.

Certains petits éditeurs se sont fait une mission de retrouver des inédits. C'est le cas du Passager clandestin avec sa collection "Les transparents" ou du Sonneur avec sa "Petite collection" à six euros. "Les petits prix comme Le noyau d'abricot de Giono à 5 euros chez Grasset, surtout s'ils sont de beaux objets, passent en vente additionnelle", remarque Rachel Guitton, du Failler.

"Tout n'est pas à publier"

Finitude, qui débute l'édition intégrale du Journal de Thoreau, consacre depuis dix ans le coeur de son catalogue à des inédits. Ancienne libraire d'ancien, l'éditrice Emmanuelle Boizet a l'habitude de travailler à partir des revues des années 1930 à 1950. Pour les auteurs étrangers, il est fréquent de découvrir dans leurs oeuvres complètes des textes non encore traduits. Universitaires, héritiers mais aussi agents contactent les maisons d'édition pour proposer leur édition. Il y a aussi les oeuvres qui tombent tout entières dans le domaine public, laissant alors à l'éditeur intéressé une grande latitude de choix. "Tout n'est pas forcément à publier, précise Emmanuelle Boizet. Soit que l'auteur ne l'ait pas voulu, soit que ce soit une oeuvre pas aboutie, un banal travail alimentaire ou un ensemble de textes disparates sans grand intérêt... C'est parfois une décision difficile que celle de renoncer à "accrocher" un nom connu à son catalogue parce que le texte retrouvé ne servira pas la mémoire de l'auteur." Et combien de pièces de théâtre inachevées, de recueils de poésie mineurs, de nouvelles de jeunesse tâtonnantes pour un Toxique de Françoise Sagan ou des Cahiers de la guerre de Marguerite Duras ? "On sent très vite quand la publication est purement commerciale, estampillée "inédit" pour attirer le lecteur, raconte un libraire. Ce qui nous rassure, c'est que ça ne se vend pas. La qualité du texte fait la différence."

(1) Voir LH 898 du 24.2.2012, p.54.

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