6 mars > Histoire France

Emmanuel Le Roy Ladurie n’a pas la réputation d’avoir la langue dans sa poche. Le long entretien qu’il a accordé à Francine-Dominique Liechtenhan, avec qui il a travaillé sur les trois volumes du Siècle des Platter (Fayard, 1995-2005), nous en donne la preuve. Le grand historien né en 1929, dont la vue est aujourd’hui déclinante, s’y livre avec une bonhomie savoureuse.

Il revient sur ses origines familiales, le monde rural et son père Jacques, qui fut ministre de l’Agriculture et du Ravitaillement d’avril à septembre 1942 avant de rejoindre la Résistance. Puis - c’est l’essentiel de l’ouvrage - l’auteur de Montaillou, village occitan raconte sa formation, ses collègues, ses rencontres. D’abord et surtout Braudel, le patron, son maître qui règne sur les Annales comme un mandarin inflexible, le tonitruant Chaunu, brasseur de continents et d’époques, les trois beaux-frères Furet, Nora et Richet, qui démontent joyeusement la Révolution française, la "très sage Mona Ozouf", Duby, la star de la télévision, ou Foucault.

L’ancien administrateur général de la Bibliothèque nationale nous montre une Université française marquée par la politique et le Parti communiste, ceux qui y sont restés, ceux qui en sont sortis comme lui et ceux qui ne se sont jamais remis d’en être sortis. Tout gravite autour de la Sorbonne, du Collège de France et de l’Ecole des hautes études en sciences sociales. Les boutiques du savoir, comme les soldes, se faisaient alors à pied. On y produisait de lourdes thèses, ce qui faisait dire à Albert Soboul, lorsqu’il soutint la sienne sur Les sans-culottes parisiens en l’an II : "J’ai fait mille pages, c’est plus prudent."

Pour un historien, une autobiographie est aussi l’occasion de réfléchir sur sa discipline. Le Roy Ladurie nous expose donc sa vision de l’histoire, comment il la comprend, ce qu’elle apporte et ce qu’elle devrait être. Avec lui, le lecteur aura le sentiment de pénétrer les arcanes de l’Université où l’on se déteste avec aménité et où l’on se chamaille pour une note mal placée ou un mot de trop. Ce fut le cas avec Raymond Aron. "Un jour, je ne sais pourquoi, j’attribuai une réflexion dont il était l’auteur à Bernard-Henri Lévy ; plusieurs semaines furent nécessaires pour qu’il daigne enfin me pardonner."

L. L.

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