3 janvier > Roman France > Colombe Schneck

"Gilbert déjeune à la Closerie des Lilas, dîne à La Coupole, est invité à des vernissages de galeries d’art rue de Seine, lit Le Monde et Peter Handke, porte des chemises sans col taillées sur mesure chez Arnys, a voté pour François Mitterrand en 1974, part à Megève en vacances"

Ce Gilbert-là, Schneck de son nom, médecin parisien à qui tout semble sourire et qui sourit à chacun, a une histoire, un peu tue, terrible, celle des juifs en ce siècle, et une fille, Colombe, qui est son besoin de consolation, qu’il aime comme il convient, sans mesure, et qui le lui rend bien. Il mourra jeune encore, 58 ans, emportant cet amour-là et l’atroce théorie des voix enfuies autour de lui. Ces voix, la sienne aussi, Colombe (devenue écrivaine pour en percevoir l’écho encore assourdi) les traquera de livre en livre, de Val de Grâce (Stock, 2008) en Réparation (Grasset, 2012) jusqu’à ce bouleversant et infiniment délicat Les guerres de mon père, à la fois conclusion de sa quête d’archéologie familiale et manière de nouveau départ.

Mais d’abord, il faut en passer par là, par les convulsions d’un siècle qui jetteront à jamais une ombre sur ses joies d’enfant. Il faut faire revenir (car tous les livres de Colombe Schneck ne sont jamais qu’histoires de revenants) ce grand-père Max qui n’échappera aux nazis que pour trouver une mort plus atroce encore, sa femme Paulette, l’oncle de l’auteure, Pierre Pachet, magnifique écrivain qui ne cessera jamais d’appliquer à sa nièce une maïeutique sévère autant que bienveillante, ce père qui se refuse à se laisser saisir dans les rets de la mémoire. Il ne demandait rien et eut deux guerres en guise de réponse. L’Occupation bien sûr (passée pour l’essentiel dans la crainte et l’effroi, réfugié quelque part en Dordogne) et celle sans nom que fut l’Algérie. Gilbert Schneck fit partie de ces enfants qui, comme Bernard Frank, "apprirent de Vichy qu’ils étaient juifs". Ses trente mois passés comme médecin militaire de l’autre côté de la Méditerranée lui permirent de comprendre que l’on est toujours "le juif de quelqu’un". Une vie sera passée, un peu à côté de la vie. Qu’importe, sa fille est là pour en faire un tombeau. Olivier Mony

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