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Ventes de fêtes : petit Noël

La vitrine de la librairie Les Arpenteurs présente des beaux livres importés : photographie, graphisme... - Photo OLIVIER DION

Ventes de fêtes : petit Noël

Avec deux jours ouvrés de moins qu'en 2011, décembre n'a pas rattrapé une année médiocre. Les ventes se sont concentrées sur les trois derniers jours précédant Noël, limitant la casse. Une résistance que l'on retrouve au Royaume-Uni, mais moins aux Etats-Unis et en Allemagne.

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Par Clarisse Normand,
Hervé Hugueny,
Claude Combet,
Créé le 04.11.2014 à 17h36 ,
Mis à jour le 05.11.2014 à 09h46

L'année démarre mal. Virgin, qui figure parmi le top 5 des enseignes nationales, avec un chiffre d'affaires livre ayant encore atteint en 2011 plus de 80 millions d'euros, vient d'annoncer son dépôt de bilan (voir p. 55). Et le bilan des ventes de la fin de l'année 2012, qui représentent de 20 % à 30 % de l'activité annuelle des libraires, se révèle un peu décevant. Il est vrai que les effets calendaires, avec deux jours ouvrés en moins que l'an passé, n'ont pas joué favorablement sur les comparaisons. Pourtant, à l'exception de Virgin qui accuse un repli de ses ventes de livres de 20 % en décembre, il n'y a pas eu non plus de catastrophe.

"Pour Noël, nous mettons en valeur notre spécialité de beaux livres importés, en vitrine, sur des tables... Résultat, nous avons réalisé près de la moitié de notre activité en décembre avec ce rayon." PIERRE DELAFORGE, LIBRAIRIE LES ARPENTEURS, PARIS- Photo OLIVIER DION

Si l'enseigne Gibert-Joseph a fini le mois avec un recul de 4 %, le Furet du Nord annonce une très légère progression de 0,5 %. "Le commerce du livre est typiquement un commerce de crise", résume Bernard Courault (Point-Virgule à Aurillac) qui, dans le contexte actuel, se félicite d'avoir réussi à enregistrer une hausse mensuelle de 1 %. Avec un repli de 1,6 %, Olivier Place (La Hune, Paris 6e) se montre lui aussi satisfait. "Depuis le déménagement de la librairie en mai dernier, nous rattrapons un peu plus chaque mois le retard de notre activité", explique-t-il, reconnaissant qu'en quittant le boulevard Saint-Germain pour la rue Bonaparte le magasin s'est aussi éloigné du flux piétonnier.

Sur trois ou quatre jours. En fait, l'arrivée tardive des vacances scolaires, le 22 décembre, a favorisé une forte concentration des achats sur les trois ou quatre derniers jours avant Noël. "On a couru après le chiffre d'affaires jusqu'au 18 décembre pour finalement regagner l'activité manquante au cours des quelques jours suivants", observe Eric Lafraise, responsable livre chez Cultura. Pour Delphine Le Borgne (Livres in room à Saint-Pol-de-Léon, dans le Finistère), la faible activité du début de décembre pourrait aussi s'expliquer par un étalement des dépenses sur plusieurs mois. «C'est très bizarre, observe-t-elle. Cette année, nous avons fait des ventes pour les cadeaux de Noël dès la première quinzaine d'octobre. Il y a eu une seconde vague durant la deuxième partie de novembre. Et enfin, une troisième, dans les tout derniers jours avant Noël."

UN SAMEDI 22 DÉCEMBRE RECORD

Qu'il soit lié à un effet calendaire ou à une évolution dans les habitudes d'achats des cadeaux, le phénomène de concentration des ventes observé en décembre a en tout cas été l'un des éléments marquants du dernier mois de 2012. «On a explosé tous les records de fréquentation du magasin le samedi 22 décembre", annonce Jean-Pierre Delbert (Martin-Delbert à Agen) qui finit le mois avec un chiffre d'affaires "étale par rapport à l'an dernier". En province, beaucoup de librairies, comme Bookstore à Biarritz, ont même pu profiter d'une bonne tenue des ventes jusqu'au week-end du 5 janvier marquant la fin des vacances. "En consacrant un grand pan d'étagère à nos "Idées pour Noël", nous avons particulièrement mis en avant cette année nos conseils et cela a été payant pour l'ensemble de nos rayons", observe Kristel Bourg, cogérante du magasin biarrot.

A Paris, Pierre Delaforge et Valérie Michel-Villaz (Les Arpenteurs, 9e) ne peuvent que se féliciter d'avoir mis l'accent sur l'importation de beaux livres, en particulier de photos. «C'est une spécialisation que nous proposons toute l'année au sein de notre librairie qui reste généraliste, explique Pierre Delaforge. Mais, pour Noël, nous la développons et nous la mettons en valeur en vitrine, sur des tables... Résultat, nous avons réalisé près de la moitié de notre activité en décembre avec ce rayon." De son côté, Jean-Pierre Delbert salue l'impact qu'a eu le nouveau matériel de marchandisage proposé par le groupement Libraires ensemble à ses membres. "En plus du catalogue des fêtes, nous avons bénéficié d'un kit de PLV pour les vitrines, de marque-pages, de stickers... Résultat, nous avons encore mieux vendu la sélection du catalogue."

Parmi les différents rayons, la littérature a, d'une manière générale, plutôt bien tiré son épingle du jeu, grâce notamment aux prix littéraires de l'automne, à commencer par La vérité sur l'affaire Harry Quebert de Joël Dicker, prix du Roman de l'Académie française et prix du Goncourt des Lycéens. C'est bien ce dont témoigne le top 20 de nos meilleures ventes qui, pour la période du 10 au 23 décembre, place l'ouvrage en première position. Si le grand format en littérature n'a pas déçu, le poche fait en revanche l'objet de commentaires plus contrastés. Ainsi, Bernard Courault s'étonne d'avoir réalisé, pour ce type d'ouvrages, "si peu de paquets cadeaux".

Dans le secteur des beaux livres, les avis sont aussi partagés. Certes il n'y a pas eu de succès marquant parmi les beaux livres traditionnels, mais les catalogues d'exposition se sont bien vendus, en particulier ceux concernant Edward Hopper, Salvador Dali ou encore les arts de l'Islam.

A la Fnac, Elodie Perthuisot, directrice du livre, salue également les bonnes performances des livres de cuisine, qui profitent désormais, dans certains magasins de l'enseigne, d'une double exposition : en librairie et dans les nouveaux espaces consacrés à l'électroménager.

Annonçant un recul de 5 % de ses ventes au comptant en décembre, Matthieu de Montchalin (L'Armitière à Rouen) se dit «déçu de n'avoir pas fait mieux", malgré un contexte localement aggravé à Rouen par la fermeture du pont Mathilde (suite à un incendie survenu en octobre dernier), mais il salue, en tant que président du Syndicat de la librairie française (SLF), les efforts de la profession "pour mieux calibrer ses achats. D'après les premières remontées de terrain que j'ai eues, les retours devraient ainsi être maîtrisés en ce début d'année 2013». Même pronostic de la part de Mathias Echenay, directeur général du CDE, qui n'a enregistré que "très peu de réassort en décembre, les libraires ayant a priori cherché à vendre d'abord ce qu'ils avaient en stock".

VERS UN RECUL PLUS MARQUÉ

Globalement, et comparativement à de nombreux autres secteurs, le livre affiche, une fois encore, ses capacités de résistance. Pour autant, il n'aura pas réitéré sa performance de l'an passé. Après quatre mois consécutifs de baisse, les ventes avaient enregistré une hausse de 1 % en décembre 2011 (baromètre LivresHebdo/ I+C), ce qui avait permis de limiter le recul annuel du secteur à 1 %. Le retard accumulé au fil des mois en 2012 aura été plus difficile à rattraper. Ce qui laisse présager un recul plus marqué de l'activité.

Internet toujours en hausse, mais moins vite

Si elle a favorisé les achats en librairie presque jusqu'au soir du réveillon de Noël, la configuration particulière du calendrier 2012 n'a pas, en revanche, aidé les commandes sur Internet : en raison du week-end qui gelait un jour de distribution, il devenait risqué de passer des commandes après le jeudi 20 décembre. Les sites ont toutefois proposé des solutions alternatives à la poste, Amazon insistant tout particulièrement sur son service Premium, un forfait annuel de 49 € garantissant la livraison en un jour ouvré. Internet est donc resté le circuit de vente le plus dynamique, mais la fin d'année n'a pas modifié la tendance constatée les mois précédents : "La hausse annuelle pour 2012 s'établit à 13 %, légèrement en dessous de l'année d'avant, qui avait marqué un vrai ralentissement par rapport aux + 20 à + 25 % des années précédentes", rappelle Pascale Buet, directrice de la diffusion de Flammarion, qui estime la part de marché des ventes sur Internet à 10 % environ. L'analyse est partagée par Philippe Gadesaude, directeur général de Dilisco (filiale diffusion-distribution d'Albin Michel) et par la plupart des responsables commerciaux, avec des nuances en fonction du profil de leur offre : "Sur nos 50 meilleures ventes, la part d'Internet ne dépasse pas 7 %", calcule Arié Sberro, directeur commercial de Robert Laffont. Dans le groupe Hachette, la proportion "va de 10 à 20 %", indique Francis Lang, directeur commercial. Chez Gallimard, qui n'avait pas de grand best-seller cette année, "Internet n'a pas été si fort, sauf sur les ventes du fonds", relève Bruno Caillet. Mais cette emprise sur la "longue traîne" s'explique plus par une moindre exposition du fonds en librairie que par des performances particulières des sites Internet, selon Mathias Echenay, directeur général du CDE, filiale de Gallimard pour la diffusion des éditeurs tiers, où la part du Net atteint 12,5 % des ventes sur 2012.

Il n'existe toutefois plus de synthèse globale de ce canal : début 2012, Amazon avait exigé des panélistes GFK et Ipsos de fusionner les ventes Internet avec celles des grandes surfaces non spécialisées et des librairies de deuxième niveau, afin de masquer le ralentissement de sa progression. Amazon domine toutefois toujours largement ce réseau, avec une part de marché dépassant les 60 %, devant Fnac.com, les autres acteurs n'étant pas jugés significatifs, ou non identifiables en raison de la confusion de leurs approvisionnements avec leurs magasins physiques.

Royaume-Uni: le boycott d'Amazon profite à la librairie

Les ventes de Noël en Grande-Bretagne se sont faites sur fond de polémique autour d'Amazon et de son évasion fiscale. Indignés qu'Amazon ne paie quasiment pas d'impôt en Grande-Bretagne, sensibilisés par une campagne de boycott, les consommateurs britanniques ont choisi volontairement de soutenir la librairie indépendante et y ont fait leurs achats de Noël. "Ils ont compris la nécessité de nous utiliser ou de nous perdre", a déclaré au Bookseller Rachel Phipps, de la librairie Woodstock Bookshop, près d'Oxford. Sur les 52 librairies indépendantes interrogées par notre confrère, 25 points de vente (48 %) affichent des ventes en hausse pour la période des fêtes par rapport à l'année dernière, une hausse modeste - de 1 % à 2 % - pour une majorité d'entre eux, et de 10 % pour un plus petit nombre. Tandis que 12 librairies (23 %) ont réalisé des ventes stables, et 15 (29 %) de moins bonnes ventes. Mais, souligne le magazine, cela n'augure pas du comportement des consommateurs britanniques sur le long terme. De son côté, la grande librairie indépendante Foyles, forte de ses cinq points de vente et de son site, s'est déclarée satisfaite de la fin de l'année, malgré des ventes du 1er au 24 décembre en recul de 2 % (et de 3,7 % sans les ventes en ligne), "dans un contexte très concurrentiel".

Allemagne : des ventes décevantes

Selon notre confrère Buchreport, qui dresse son bilan annuel, la librairie traditionnelle a été particulièrement mal servie en cette fin d'année : en décembre, son chiffre d'affaires recule d'au moins 5 % par rapport à décembre 2011. Le lent démarrage des ventes au début de la période de l'Avent n'a pas pu être compensé par les achats précipités effectués juste avant les fêtes. La librairie finit ainsi l'année 2012 sur un recul global de 1,4 % par rapport à 2011, après deux années en négatif, - 3,3 % en 2010 et - 2,6 % en 2011, soit un recul cumulé de 7 % en trois ans. Les produits qui sont au coeur du métier sont particulièrement affectés : livres, livres audio, cartes, calendriers et vidéos. Seuls les produits hors livres s'en sortent bien.

De leur côté, les grands sites culturels annoncent des chiffres de vente record pour les fêtes, tout particulièrement réalisés avec les produits numériques. En Allemagne, le site Weltbild, deuxième acteur du marché après Amazon.de, plutôt discret sur ses chiffres de vente, annonce que sa nouvelle liseuse eBook Reader 4 est devenue le best-seller de la production. Elle s'est vendue à un nombre d'exemplaires "à six chiffres" en fin d'année, aussi bien sur le site que dans ses magasins. Le catalogue de livres numériques (310 000 titres disponibles) a tout aussi bien fonctionné à cette période. La direction évalue à 20 % sa part de marché sur le segment des ebooks.

USA : des libraires optimistes et en ligne

Aux Etats-Unis comme au Royaume-Uni, les fêtes ont été placées sous le signe de la librairie indépendante. "En dépit d'une dépression économique et de l'absence de titre phare comme la biographie de Steve Jobs l'an dernier, les libraires indépendants ayant participé à notre enquête se révèlent contre toute attente résolument optimistes", souligne notre confrère Publishers Weekly. "Nous faisons mieux que l'an dernier, alors que 2011 était une année record. Nous sommes très contents", a déclaré au magazine Dana Brigham, directrice et copropriétaire de Brookline Booksmith à Brookline (Massachusetts). Les ventes se sont concentrées sur les derniers jours de décembre. Pour Lise Baudoin, propriétaire de Books & Company à Oconomowoc (Wisconsin), les trois derniers jours ont été "énormes" avec, le samedi 22 décembre, les ventes les plus fortes de l'histoire de la librairie.

Mais ces bons résultats ne rattrapent pas une année 2012 difficile : Nielsen annonce une baisse de 9 % des ventes du livre papier en 2012. Publishers Weekly souligne que chaînes et indépendants continuent de fermer sur tout le territoire. D'autres libraires cherchent des alternatives comme un fonds d'auteurs et de titres locaux, des ouvrages autopubliés, ou, comme la librairie Hue-Man Bookstore de Harlem, un site "permettant d'offrir à [ses] clients une plus large sélection de titres", et un nouveau concept de salle de lecture pour organiser des événements.


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