Mensonges et vérité. Inspiré de faits réels, L'imposture est une fresque historique, véritable immersion dans l'Angleterre des années 1860. Zadie Smith y met en scène Eliza Touchet, la cousine et gouvernante d'un célèbre romancier historique de l'époque, quelque peu oublié aujourd'hui, William Ainsworth. Eliza se prend de passion pour une affaire judiciaire qui agite alors tout le pays, l'affaire Tichborne. Un homme prétend être l'héritier d'une famille de baronnets, les Tichborne. Il ne parvient pas à convaincre la cour malgré de solides témoignages, et est finalement condamné à quatorze ans de prison.

« L'imposture » dont il est question ici est double. Elle est réelle, avec ce procès bien connu des Britanniques des années 1860-1870. Mais elle est aussi fictionnelle : le personnage dont s'empare Zadie Smith, Eliza Touchet, a certes existé dans l'histoire, mais n'a pas connu le destin que l'écrivaine lui prête. Ce jeu et cette ambivalence menés avec brio entre imaginaire et histoire donnent une tonalité toute particulière, comique, au premier roman historique de l'autrice de Sourires de loup (Gallimard, 2001).

Le récit débute sur un accident causé par le poids de livres ayant fait céder le plancher d'un étage d'une maison. « Si j'peux me permettre madame, ose l'ouvrier venu préparer le chantier de réparation, le seul poids de la littérature qu'vous avez là, ça met une pression terrible sur la maison. Une pression terrible. » Cet incipit annonce et illustre le déclin de l'auteur prolifique que fut William Ainsworth. Par opposition à ce personnage grotesque, pathétique et vulgaire, Eliza apparaît comme une héroïne, une figure féminine furieusement inspirante. « Mais ç'avait été plus fort qu'elle, elle voulait vivre ! Bien qu'elle ait toujours su, depuis sa plus tendre enfance, que ce désir n'était pas une aspiration correcte pour une femme, que ce n'était même pas pieux. Elle voulait vivre. Elle voulait faire des expériences selon ses termes, et défendre celle des autres, qu'ils soient pauvres, oubliés, avilis ou méprisés ! [...] Eliza Touchet avait vécu pour une idée : la liberté. » Abolitionniste et femme de caractère, elle adopte finalement un rôle qui prend du relief au fil des pages, et finit par s'engager elle-même dans l'écriture d'un livre.

Poursuivant son exploration du passé de l'Angleterre et de son histoire coloniale, Zadie Smith parle ici d'une époque certes révolue mais qui résonne avec l'actualité. Elle renvoie à l'hypocrisie d'une puissance européenne particulièrement active dans l'esclavagisme et le colonialisme qui a du mal à assumer son héritage et à entendre certaines vérités qui la déshonorent. Le déni et les contrevérités, la légitimité de la parole selon le degré de pouvoir que l'on possède en fonction de son origine sociale ou raciale, sont des considérations qui persistent aujourd'hui à l'heure de la popularité des fake news et du trumpisme. Mais L'imposture est aussi une réflexion sur la littérature, un roman historique sur le roman historique, que Zadie Smith conduit avec beaucoup d'humour et de finesse.