Architecture

Bibliothèques : construire réversible

Bibliothèque universitaire Jeanne-Chauvin à Malakoff. - Photo PHILIPPE RUAULT/CANAL ARCHITECTURE

Bibliothèques : construire réversible

Concepteur de la récente bibliothèque universitaire Jeanne-Chauvin, à Malakoff, l'architecte Patrick Rubin défend une architecture permettant de changer facilement la fonction d'un bâtiment. _ par Véronique Heurtematte

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Par Véronique Heurtematte,
Créé le 01.03.2019 à 16h50

Alors qu'il planche, en 2010, sur un concours pour la construction de résidences étudiantes, Patrick Rubin s'interroge sur la pertinence de créer des logements formatés sur le même modèle : 300 unités autonomes de 18 m2, avec 300 salles de bains et 300 cuisines équipées. L'architecte cofondateur de Canal Architecture, lance alors une enquête consacrée au micro-logement, « Le logement jeune n'est-il qu'un produit ? ». Il propose une solution alternative avec des cuisines et même des salles de bains collectives, des services mutualisés, sur de grands plateaux libres où les cloisons pourraient bouger facilement pour transformer les chambres étudiantes en logements familiaux ou en résidences pour personnes âgées. Le projet n'est pas retenu, mais il permet à l'agence de poser le principe d'une architecture réversible. Il s'agit de permettre, grâce à l'anticipation des systèmes constructifs, la réaffectation d'un bâtiment sans restructuration lourde.

La médiathèque l'Agora, à Metz, signée par Bernard Ropa & Associés Architectes s'inscrit dans la politique locale de développement durable de la ville.- Photo LUC BOEGLY

« Aujourd'hui, la rénovation d'un bâtiment de bureaux qui n'a pas été pensé pour être réversible peut atteindre un coût supérieur de 30 % à celui d'une construction neuve, explique Patrick Rubin. Par exemple, façades porteuses, murs de refend et noyaux centraux rendent très complexe la transformation d'un édifice, précise l'architecte, qui a formalisé sa réflexion dans l'ouvrage autoédité Construire réversible, paru en 2017. Concevoir réversible est à peine plus coûteux que de reproduire les modèles classiques monofonctionnels, mais on s'y retrouve sur le long terme. L'idéal, à l'avenir, serait que la transformation d'un immeuble ne nécessite plus de grues et d'ingénierie lourde mais fasse appel à une équipe d'intervention réduite, se déplaçant en camionnette, intervenant pour modifier la fonction d'un bâtiment aussi facilement qu'on remplace une machine à laver car, lors des études, tout aura été anticipé pour faire évoluer le bâtiment en détruisant le moins possible. »

Sans cloison et sans porte

La bibliothèque universitaire Jeanne-Chauvin, à Malakoff, inaugurée en décembre dernier, et signée par Canal Architecture, illustre bien ce concept. Dans le bâtiment de 2 500 m2 sur deux niveaux, les poteaux en béton du rez-de-chaussée portent la structure du premier étage. Le bois y est très présent et l'établissement bénéficie d'un dispositif de ventilation naturelle ainsi que d'un agencement favorisant la lumière naturelle. Dédié à la documentation universitaire, l'équipement, constitué de deux plateaux, sans escalier en son centre, pourra facilement évoluer vers d'autres fonctions.

Le recours systématique aux grands plateaux ne risque-t-il pas de gommer l'identité d'un lieu et d'entraver les réponses à ses besoins spécifiques ? « Penser qu'un bâtiment doit faire signe est une idée héritée du XIXe siècle, rétorque Patrick Rubin. Personnellement, je ne me place pas sur le terrain du geste architectural. On peut construire générique sans construire monotone, l'exemple haussmannien. A l'avenir, ce sont les composants intérieurs aux façades qui accompagneront les fonctions. La médiathèque que nous avons reconvertie à Brest, dans les 10 000 m2 des anciens ateliers des Capucins de l'arsenal, est principalement mise en scène par les agencements et les mobiliers, comme les gradins géants à l'entrée de la grande nef. Si on déplaçait ces grands meubles, on retrouverait un immense espace libre offert à toutes formes d'usages. Sur tous les plateaux de l'équipement, on peut circuler dans l'espace public, sans jamais pousser une porte. Atelier du labeur hier, médiathèque ludique aujourd'hui, le bâtiment pourrait facilement se transformer demain en une annexe universitaire ou en un grand magasin. »

Le Centre Pompidou, un bâtiment réversible

Patrick Rubin intervient actuellement sur un autre édifice à l'architecture réversible avant l'heure : l'emblématique Centre Pompidou, à Paris, signé par Renzo Piano et Richard Rogers en 1977. L'équipe de Canal Architecture y est chargée du réaménagement de la Bibliothèque publique d'information. « Beaubourg, avec ses plateaux libres, est un bâtiment précurseur, admire Patrick Rubin.C'est un équipement complètement réversible, ce que souhaitaient ses architectes et ingénieurs. Notre proposition de réaménagement de la BPI est un retour à l'esprit d'origine du bâtiment, c'est-à-dire sa flexibilité et ses prises de lumière sur la ville. Nous allons déposer les escalators intérieurs, ajoutés en 2000 lors d'un précédent réaménagement, et restituer ainsi la fluidité des déplacements du public sur les 12 000 m2de la surface de la bibliothèque. La déambulation se fera sans rupture sur l'ensemble des trois niveaux et toujours sans cloison et sans porte. »

L'Agora, une conception bioclimatique

La médiathèque l'Agora, à Metz, signée par Bernard Ropa & Associés Architectes, s'inscrit dans la politique locale de développement durable de la ville.- Photo LUC BOEGLY

L'Agora, la nouvelle médiathèque municipale ouverte à Metz en octobre dernier, s'inscrit dans la politique locale d'aménagement et de développement durable de la ville. L'édifice, qui regroupe la médiathèque et un centre social, signé par Ropa & Associés Architectes, a bénéficié d'une conception bioclimatique.

Le bâtiment de 2 300 m2 présente un volume compact tout en conservant un taux de vitrage élevé afin de favoriser les apports solaires. La structure en béton du bâtiment joue un rôle de protection acoustique et apporte de l'inertie. Le béton ciré et les espaces sans faux plafonds permettent de profiter au mieux de l'inertie apportée par les dalles en béton.

Le jardin pédagogique et les toitures végétalisées ont un effet régulateur en apportant de l'inertie et en protégeant des risques de surchauffe. Les espèces végétales mises en place au niveau des toitures-terrasses et des espaces plantés ont été choisies parmi les espèces locales, adaptées au terrain et au climat. Elles sont non invasives et présentent un faible besoin en eau. Les débords de toiture au rez-de-chaussée et au niveau 1 ont été dimensionnés de manière à protéger les différents espaces du rayonnement direct en été et à la mi-saison, tout en laissant pénétrer la lumière jusqu'au fond des pièces en hiver.

Des brise-soleil orientables et mobiles ont été installés au niveau 2 pour limiter les risques de surchauffe dans les locaux. Les apports de lumière naturelle sont optimisés par des vitrages dans la hauteur. D'importantes surfaces en bois viennent habiller la salle de spectacle par un bardage en bois Douglas. A l'intérieur, l'ensemble du premier étage a été traité avec un habillage bois au plafond et en façade permettant de traiter l'acoustique des locaux. Le coût total des travaux s'élève à 6,7 millions d'euros hors taxes. Le projet bénéficie de la certification HQE (Haute qualité environnementale).

Médiathèque multiprimée à Frontignan

La médiathèque Montaigne, à Frontignan (Hérault), a obtenu plusieurs distinctions pour ses qualités environnementales.- Photo PHOTOGRAPHIE LUC BOEGLY - 2014

Ouverte en mars 2015, la médiathèque Montaigne, à Frontignan (Hérault), collectionne les distinctions pour les qualités environnementales de sa construction. Le bâtiment, signé par les cabinets d'architecture Tautem et bmc2, a obtenu la certification Haute qualité environnementale, le label Bâtiment basse consommation effinergie, ainsi que la reconnaissance niveau Or en conception et en réalisation par Bâtiments durables méditerranéens. En 2017, elle a été lauréate du Trophée béton Pro, qui récompense les bâtiments pour la qualité de leurs constructions en béton.

Installée dans l'écoquartier les Pielles et gérée par la Communauté d'agglomération du Bassin de Thau, la médiathèque se déploie sur trois niveaux dans un édifice de 3 215 m2 élaboré sur une forme trapézoïdale aux façades porteuses constituées de doubles voiles de béton blanc. Ses planchers caisson, supportés par quelques rares points porteurs permettent de libérer le plan de chaque niveau pour une flexibilité d'aménagement maximale.

Cette conception s'inscrit dans les préoccupations de l'architecture réversible.

Lumière et transparences

La bibliothèque universitaire Edgar-Morin a reçu la certification Haute qualité environnementale.- Photo LUC BOEGLY

Signée, comme l'Agora de Metz, par Ropa & Associés Architectes, la bibliothèque universitaire Edgar-Morin, inaugurée en mars 2018 sur le campus de Villetaneuse de l'université Paris-13, répond elle aussi à une logique d'architecture réversible. Dans ce bâtiment de 6 477 m2, les espaces de consultation ne sont pas cloisonnés. L'aménagement intérieur est effectué par le mobilier, tables et rayonnages, ce qui permet une bonne adaptabilité des lieux et la possibilité de les réaménager avec seulement un minimum de modification du second œuvre. Les cloisons séparatrices entre les locaux de bureaux sont de type « légères » et peuvent être déplacées, dans une certaine mesure, en fonction de l'évolution de l'occupation.

Cette conception propose une fluidité de parcours pour les usagers en imaginant un cheminement continu dans les espaces de consultation et en organisant les collections dans une démarche de rationalisation des surfaces et des niveaux. L'unité du lieu a été créée grâce à l'espace central commun et au patio transformé en jardin largement planté, qui apporte vues et lumière, et joue sur les transparences.

La conception du bâtiment a été effectuée dans une problématique de haute qualité environnementale. L'accent a été mis sur l'enveloppe du bâtiment dans un souci d'économie d'énergie et de confort optimal des locaux. Le projet architectural s'intègre dans son environnement et respecte les exigences de développement durable, avec, notamment, une orientation optimisée du bâtiment, des protections solaires permettant de maîtriser les apports solaires en été. Le percement des façades favorise l'accès à l'éclairage naturel tout en limitant les déperditions thermiques. Toutes les baies sont constituées d'un double vitrage. L'ensemble de la toiture est végétalisé. Le bâtiment a reçu lacertification Haute qualité environnementale (HQE).

L'Autriche, pays modèle

Cyril Dion- Photo OLIVIER DION

Le bâtiment est un des secteurs clés à investir face aux enjeux écologiques. Construire des bâtiments passifs (qui produisent autant d'énergie qu'ils en consomment), les rendre modulaires (à plusieurs usages), isoler les bâtiments anciens est fondamental dans les années qui viennent. C'est ce qu'a réussi la région du Vorarlberg en Autriche dont nous pourrions nous inspirer. Dans ce pays, l'industrie du bâtiment représente 50 % des matières premières extraites, 50 % de la consommation énergétique et 30 % du volume de déchets et de la consommation d'eau. Les ratios sont un peu différents en France mais, surtout, les avancées sont moins probantes ! Cyril Dion

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