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Céline et le droit (2/4)

Céline et le droit (2/4)

La découverte des manuscrits inédits de Céline a récemment bouleversé le monde de la littérature. Mais celui-ci n’est jamais bien loin de celui du droit quand il s’agit d’oeuvres posthumes qu’il faut choisir de divulguer ou de versions inconnues de textes déjà édités. 
 

[suite du premier chapitre]

Le sort des manuscrits inédits d’oeuvres publiées
 
Parmi la masse énorme d’archives que mon client, Jean-Pierre Thibaudat, a déchiffré, figurent le manuscrit de Mort à crédit ou encore celui de Guignol’s Band, qui apportent donc des éléments nouveaux. L’exercice post mortem du droit de divulgation a donné lieu à quelques-unes des plus retentissantes affaires juridico-littéraires.

L’article L. 121-3 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) envisage en effet les « cas d’abus notoire dans l’usage ou le non-usage du droit de divulgation de la part des représentants de l’auteur décédé ».

La Cour d’appel de Paris a ainsi sanctionné, le 24 novembre 1992, la publication des cours de Roland Barthes. Les séminaires de Jacques Lacan ont été examinés par le tribunal de grande instance de Paris, le 11 décembre 1985.

Plus récemment, le 24 octobre 2000, la Cour de cassation a mis un terme à l’affaire Antonin Artaud. Les hauts magistrats ont rejeté les demandes du neveu du créateur visant à interdire aux éditions Gallimard la publication du vingt-sixième tome de ses œuvres complètes. Ils ont estimé que « le droit de divulgation post mortem n’est pas absolu et doit s’exercer au service de l’œuvre, en accord avec la personnalité et la volonté de l’auteur telle que révélée et exprimée de son vivant; (…) en l’espèce, l’édition des œuvres complètes d’Antonin Artaud, voulue par l’auteur et entreprise avec l’assentiment de ses héritiers, s’est poursuivie depuis la mort du poète, conformément à sa volonté de communiquer avec le public et dans le respect de son droit moral, pour la propagation d’une pensée qu’il estimait avoir mission de délivrer ».

À son tour, le 24 janvier 2001, la cour d’appel de Toulouse a débouté les ayants droit d’un écrivain espagnol, qui tentaient de s’opposer à la sortie en France d’un roman dont l’auteur avait de son vivant autorisé la traduction. Récemment, la Cour de cassation a estimé qu’à défaut d’avoir clairement exprimé sa volonté, l’explorateur François Balsan n’avait pas souhaité voir divulguer ses écrits après sa mort.

Passions

Les inédits sont souvent des fonds de tiroir et parfois de réels chefs-d’œuvre que l’on croyait disparus à tout jamais. Tous suscitent de grandes passions, littéraires, financières ou scientifiques, qui peuvent même prendre un tour judiciaire. Le droit sur les œuvres posthumes est en effet complexe mais d’une rigueur implacable tant prévue par le CPI, que rappelée sans cesse par la jurisprudence.

Aux termes de l’article L. 123-4 du Code de la Propriété Intellectuelle, « le droit d’exploitation des œuvres posthumes appartient aux ayants droit de l’auteur si l’œuvre est divulguée au cours de la période [de protection, c’est-à-dire généralement pendant au moins soixante-dix ans à compter de la mort de l’auteur]. Si la divulgation est effectuée à l’expiration de cette période, il appartient aux propriétaires de l’œuvre, par succession ou à d’autres titres, de l’œuvre, qui effectuent ou font effectuer la publication ».

Pour l’écrivain qui n’est pas encore tombé dans le domaine public, seuls ses ayants droit percevront des redevances; en revanche, pour ce qui est du manuscrit caché et publié après la période légale de protection, les droits patrimoniaux reviendront au propriétaire matériel de l’inédit. Il s’agit là d’une exception au principe d’indépendance des propriétés incorporelle et matérielle.

Dans ce second cas, « la durée du droit exclusif est de vingt-cinq années à compter du 1er janvier de l’année civile suivant celle de la publication ». Mais l’abus de droit sanctionne ceux qui attendront l’expiration de la période légale de protection pour divulguer leurs trésors et bénéficier de quelque vingt-cinq ans de redevances. De plus, en 1990, la cour d’appel de Paris a estimé que celui qui procède à la publication d’un inédit ne peut exiger la mention de son nom sur chaque reproduction de cet inédit.

Versions

Les interrogations se font par ailleurs nombreuses face à la multiplication des différents états (ébauches, brouillons, etc.) d’un même texte, voire de ses copies manuscrites successives; sans compter que, dans l’avenir, le cas des écrivains qui ne passent pas par une étape manuscrite (créant directement sur leur antique Underwood ou sur leur Mac) entraînera de nouveaux conflits. Un arrêt de la Cour de cassation de 1993, rendu à propos d’un inédit de Jules Verne, a tranché en faveur du propriétaire du manuscrit original et non de celui de la copie.

Par ailleurs, le tribunal de grande instance de Paris a de nouveau jugé, en 1989, que les bibliothèques sont bel et bien elles aussi titulaires des droits sur les manuscrits inédits dont elles sont propriétaires. Un décret du 20 février 1809 – toujours officiellement en vigueur – le précisait bien avant l’adoption de la législation actuelle, qui profite désormais à tous les « conservateurs », qu’il s’agisse d’établissements de consultation et de recherche comme de bibliophiles.

L’article L. 123-4 du CPI précise : « Les œuvres posthumes doivent faire l’objet d’une publication séparée, sauf dans le cas où elles ne constituent qu’un fragment d’une œuvre précédemment publiée. Elles ne peuvent être jointes à des œuvres du même auteur précédemment publiées que si les ayants droit de l’auteur jouissent encore sur celles-ci du droit d’exploitation. » Une telle prohibition trouve son origine dans la peur de voir certains collectionneurs de manuscrits procéder à un amalgame trompeur entre les deux parties et s’arroger des droits sur des œuvres déjà tombées dans le domaine public.

La pratique invite les éditeurs prudents qui souhaitent réunir les inédits à obtenir l’accord aussi bien du propriétaire du manuscrit que des ayants droit de l’auteur. Car, en tout état de cause, ceux-ci conservent un droit moral sur l’ensemble de l’œuvre, droit qui ne connaît pas le domaine public puisqu’il est transmissible perpétuellement.

Enfin, c’est ce même droit de divulgation qui empêche également la simple citation, sans autorisation expresse, de textes inédits.
 
 
 

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