Diffusion

Commercialisation : les diffuseurs de l'ombre

Rachel Viré-Krupa, représentante de Makassar, avec le responsable du rayon BD de la librairie du Bon Marché, à Paris. - Photo OLIVIER DION

Commercialisation : les diffuseurs de l'ombre

La concentration de la diffusion-distribution de livres a suscité le développement d'une myriade de structures indépendantes, aux tailles et aux positionnements variés, qui accueillent les petits et moyens éditeurs indépendants en manque de visibilité.

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Créé le 08.04.2019 à 18h11

Ils sont quarante, petits et moyens éditeurs indépendants, à partir en quête d'un nouveau diffuseur. Jusqu'alors diffusés par le CDE et distribués par la Sodis, ils sont invités à quitter d'ici 2020 cette branche de la diffusion Madrigall, dont le nombre de diffusés sera réduit de moitié. « Face à une trop grande diversité d'éditeurs, nous nous dispersons dans la manière dont on vend et soutient les titres », justifiait, dans Livres Hebdo la directrice du CDE Karima Gamgit qui insistait sur l'accompagnement mis en place pour aiguiller ces éditeurs dont la moitié aurait déjà trouvé un nouveau distributeur (1). Certains d'entre eux pourront rester dans le giron de Madrigall, en intégrant la Sofédis, une autre société de diffusion du groupe, également adossée à la distribution Sodis, ou tenteront de rejoindre d'autres diffuseurs-distributeurs rattachés à un groupe. Mais de nombreuses maisons tapent à la porte des diffuseurs indépendants. Des sociétés moins connues que les poids lourds Hachette, Interforum (Editis), CDE/Flammarion diffusion/Sofédis (Madrigall), MDS (Média Participations) ou Dilisco (Albin Michel via Magnard-Vuibert), mais spécialisées dans la défense et la valorisation des acteurs de l'édition indépendante.

Afflux de demandes

Les équipes d'Harmonia Mundi - 50 salariés - accueilleront ainsi, dès le 1er mai François Bourin, puis en juillet Courtes et Longues, les Nouvelles éditions Scala et Fage, qui rejoindront les 90 maisons diffusées et distribuées par l'entreprise arlésienne. D'autres éditeurs seraient en discussion avec la société qui prépare, d'ici la rentrée, le recrutement d'une équipe généraliste de 1er niveau pour accompagner son développement. Pollen, « la distribution de référence des éditeurs indépendants », d'après son slogan, distribuera quatre ou cinq des maisons issues de la diffusion-distribution CDE-Sodis, dont Le Croquant ou Le Palio qui a fait le choix de s'auto-diffuser. La société distribue environ 400 éditeurs pour le compte de diffuseurs extérieurs et de la CEDIF, son partenaire diffuseur privilégié. Le diffuseur CED, qui fête cette année ses 30 ans et accueille environ 200 éditeurs généralistes distribués par plusieurs structures telles Dilisco ou DNM, est aussi en discussion avec plusieurs éditeurs. Aux Belles Lettres qui s'appuient sur 16 représentants, son président Pierre Saiah, se désole de ne pas pouvoir faire face à l'afflux de demandes alors que la société diffuse et distribue déjà 140 éditeurs, sans compter la quarantaine d'éditeurs qu'elle distribue pour le CED.

Au-delà de ces structures généralistes et de taille intermédiaire, bien identifiées par les professionnels, une myriade de diffuseurs indépendants aux profils et tailles variés, généralement adossés à une structure de distribution intégrée, pourraient accueillir les nouveaux venus. Coté généraliste encore, Daudin distribution (20 salariés dont 7 représentants) s'est remis sur pied après de sérieuses difficultés économiques. Portée par une nouvelle directrice de la diffusion-distribution, Anne Clerc, la société, qui diffuse et distribue notamment à l'échelle nationale 120 maisons, a changé de nom en janvier, devenant « DOD & Cie ». Elle se positionne comme une pépinière pour les petits éditeurs, qu'elle propose d'accueillir d'abord en distribution pour les aider à se professionnaliser.

Engagés et militants

La majeure partie des diffuseurs indépendants œuvre dans des domaines spécialisés. Dans le secteur de la santé et du pratique, DG diffusion fait figure de chef de file avec ses 55 salariés et 22 millions d'euros de chiffre d'affaires, un catalogue de 80 éditeurs publiant 1 000 nouveautés par an et une couverture régulière de 1 500 points de vente. Les éditeurs versés dans l'image se tournent vers Makassar (cf. encadré p. 23), La diff (Pika, Nobi-Nobi, Carabas...), Interart (Galerie Patrick Seguin, Tate Publishing, Pericscope...) ou encore Serendip. Cette structure de diffusion-distribution lancée en 2013 commercialise les catalogues de 48 éditeurs - Hécatombe, Le diplodocus, Calicot, etc. - éditant dans le domaine de l'image, des beaux livres ou du cinéma. Elle distribue en outre le tout jeune diffuseur, Paon diffusion (cf. encadré p. 24). La société couvre, avec 5 représentants à mi-temps, 450 librairies majoritairement indépendantes, et revendique un fonctionnement éthique l'amenant à ne pas travailler avec Amazon.

Autre acteur engagé, Hobo, né en 2012 des décombres de Court-Circuit, diffuse une soixantaine d'éditeurs militants spécialisés dans la critique sociale - Alternatives libertaires, Nada Editions, Rue des cascades - distribués par Makassar. Les éditeurs religieux peuvent s'appuyer sur la Soddil (Al Bouraq, Les cavaliers de l'orage, Chama), Salvator ou encore ThéoDiff, (cf. encadré p. 25), fondé en janvier. De nombreux diffuseurs-distributeurs œuvrent à rendre visible les éditeurs régionaux, notamment La contre-allée, qui diffuse 17 maisons des Hauts de France, Coop Breizh (cf. encadré p. 25), Gisserot diffusion ou l'AFPU en Bretagne, Cairn, PLB éditions en Aquitaine, Les presses du réel en Bourgogne ou encore Geste en Poitou Charentes. Un tour d'horizon non exhaustif. Au total, alors qu'il n'y a pas de statistiques officielles dans ce domaine, Livres Hebdo estime à plus de 140 le nombre de diffuseurs et distributeurs francophones de livres en 2019, qui vivent pour la plupart dans l'ombre des principaux diffuseurs-distributeurs, portant une production souvent à la marge.

L'existence de ces diffuseurs de l'ombre ne date pas d'hier. « Dès les années quatre-vingt, avec le début de la concentration de la diffusion-distribution, on a vu l'apparition de petits diffuseurs ou de regroupements de petits éditeurs qui se créaient pour accéder au marché », rappelle Bertrand Legendre, directeur du master « Politique éditoriale » à l'université Paris-13-Villetaneuse. Mais l'accentuation de la concentration du secteur, mêlée à une hausse de la production que les librairies ont bien du mal à absorber, ont renforcé le besoin de visibilité des petits et moyens éditeurs indépendants. « Les difficultés d'accès aux points de vente sont de plus en plus fortes pour ces acteurs, d'autant que ceux qui avaient confié leur diffusion à des grands groupes ne sont souvent pas audibles puisque ces structures sont elles-mêmes saturées par la production de la maison mère », précise l'universitaire. D'où la montée en puissance de la surdiffusion et la création par certains groupes de taille moyenne tels Libella ou les Arènes, autrefois diffusés par de gros acteurs du marché, de leur propre structure de diffusion.

Du temps et de l'attention

Entre les demandes des très nombreuses maisons qui se créent et celles des éditeurs déjà pris en charge mais qui décident, ou sont contraints, de changer de prestataire, les acteurs de la diffusion et de la distribution indépendantes, quels que soient leur taille ou leur positionnement, font face à un afflux grandissant de demandes auxquelles ils ne peuvent plus toujours répondre. « Le besoin est criant, nous recevons entre trois et quatre demandes par jour, nous devons décliner beaucoup de propositions », constate Bruno Vaillant, président de Pollen. Outre des défis logistiques, l'entrée de nouveaux arrivants pose la question de la surcharge des forces de diffusion. « Nous défendons des titres exigeants qui ont besoin d'être portés et expliqués aux libraires : les représentants ont besoin de temps à consacrer à chaque livre », tranche Pierre Saiah, le directeur des Belles Lettres.

Du temps et de l'attention, c'est exactement ce que viennent chercher les éditeurs chez les diffuseurs et les distributeurs indépendants. « Chez notre distributeur, nous nous sentons parfois noyés au milieu d'autres, sans contact privilégié, et nous devenons un très petit acteur alors que chez Paon diffusion nous avons trouvé une forme de sur-mesure, nous sommes défendus en librairie », se félicite Andonia Dimitrijevic, la directrice de l'Âge d'homme, qui a confié une partie de ses nouveautés en littérature au petit diffuseur tout en continuant à être représentée par Interforum pour le reste de sa production. Les diffuseurs indépendants offrent surtout l'opportunité à des petits et moyens éditeurs d'accéder au marché et d'y être visibles. Les critères d'accès varient selon les sociétés mais ne sont évidemment pas aussi drastiques que chez les poids lourds du secteur puisqu'ils ne visent généralement pas un marché de masse. Ainsi si le potentiel de vente des titres proposés et la cohérence avec les autres catalogues sont observés à la loupe, les candidats ne sont pas forcément tenus d'avoir un chiffre d'affaires ou une production annuelle minimum. Face à des maisons qui ne sont pas toujours professionnalisées, certains indépendants proposent des contrats à prix fixe, qui permettent aux éditeurs de connaître exactement le coût de leur diffusion-distribution, et effectuent un travail de pédagogie à long terme pour les aider à se développer.

Marge étroite

De nombreux diffuseurs et distributeurs indépendants ont pourtant disparu ces dernières années, absorbés par des groupes ou en faillite. « La marge de la diffusion est très étroite, il faut du volume pour pouvoir en vivre, ce qui n'est justement pas toujours le cas des petites structures », rappelle Isabelle Gremillet, l'ancienne dirigeante de l'Oiseau indigo, diffuseur à destination des éditeurs du monde arabe et africain, qui a fermé ses portes à l'été 2018 après le naufrage de Bookwitty. In extenso, Calibre ou Le comptoir des indépendants ont également disparu. La difficulté principale de ces structures consiste à se faire une place dans des librairies déjà surchargées, et à assurer un maillage. « Avec la surproduction, il n'y a physiquement plus de place dans nos rayons et les libraires peuvent être réticents à faire entrer des titres avec peu de potentiel de ventes », souligne Amanda Spiegel, directrice de la librairie Folies d'Encre, à Montreuil, qui travaille avec divers petits diffuseurs « au nom de la diversité éditoriale ».

Ces derniers multiplient donc le travail sur le terrain, en allant à la rencontre des libraires. « Nous faisons beaucoup de pédagogie pour les convaincre de nous faire confiance »,explique Romain Mollica, le cogérant de Serendip. Face à leur fragilité et à l'enjeu de leur mission pour la diversité éditoriale, certains diffuseurs indépendants en appellent à des aides de leur région ou de l'Etat. « Nous sommes la courroie de transmission invisible mais si nous lâchons, les conséquences seront bien visibles »,prédit Daniel Le Teuff, directeur de Coop Breizh.

 

Makassar, pour la BD

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Fondé en 1995, le diffuseur-distributeur Makassar s'est d'abord adressé à des éditeurs indépendants de bande dessinée, souvent engagés, avant d'élargir son catalogue aux comics, aux mangas et plus récemment au livre pour la jeunesse. La société basée à Paris diffuse et distribue désormais une centaine d'éditeurs et couvre 600 librairies grâce à ses 7 représentants. Elle assure également la distribution du catalogue de Hobo diffusion, un diffuseur qui promeut « l'édition indépendante, engagée, libertaire et contre culturelle ».

Makassar qui met, selon son cogérant, Vincent Dodivers, un point d'honneur à « proposer les mêmes services que les grands », prend en charge des éditeurs de taille variée. « Nous pouvons aussi bien diffuser des mangas à 15-20 000 exemplaires que des tirages de tête à 300 exemplaires. Ce grand écart nous permet de nous en sortir financièrement », précise-t-il. L'entreprise qui compte notamment à son catalogue Les rêveurs - éditeur de Larcenet -, L'homme sans nom ou Urban Comics presse, réalise un chiffre d'affaires facturé de 4,9 millions d'euros, en progression.

« Nous faisons face à un nombre de demandes de plus en plus élevé, émanant de maisons qui se créent mais aussi d'éditeurs qui ne peuvent plus supporter la charge des gros diffuseurs distributeurs : nous n'avons pas de critère de taille ou de chiffre d'affaires, mais nous regardons le potentiel commercial de la production ». Pour simplifier la gestion des éditeurs, la société propose un tarif net qui « qui englobe tout et ne comporte pas, comme c'est souvent le cas, de frais annexes ». Plus de 90 % des éditeurs diffusés et distribués par Makassar, éditent « par loisir » et ont une autre activité professionnelle à côté. Ses gérants revendiquent une vision artisanale de leur métier, loin des grands groupes « qui fonctionnent de manière industrielle ».

Paon diffusion, pour l'art et la littérature

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Né sur les cendres de R-Diffusion, qui avait vocation à rendre accessible au plus grand nombre les ouvrages issus de la microédition, Paon diffusion s'est lancé fin 2017. " Au départ, nous visions une organisation sous forme de coopérative mais c'était trop délicat à mettre en place. Nous en gardons cependant une certaine horizontalité dans notre organisation ", explique Antoine Leprêtre, à la fois gérant et représentant. Les frais de déplacement des deux représentants de l'entreprise sont mutualisés et partagés par l'ensemble des diffusés. La société porte une petite vingtaine de maisons spécialisées dans la littérature et les beaux livres. Elle vient notamment d'accueillir les éditions autonomes, Grands Champs, Le feu sacré, ISBA-Besançon et prend en charge une partie du catalogue de L'âge d'homme. " Nous sommes aussi en contact avec des éditeurs du CDE ", précise le diffuseur.

Paon diffusion ne vise pas de tirages de masse. Il propose à ses éditeurs une " relation privilégiée " dans laquelle " personne n'est noyé au milieu d'autres ". La pédagogie tient une place importance. Beaucoup de ses diffusés étant semi-professionnels, la structure les aide à fournir " le matériel nécessaire à une bonne diffusion ", à commencer par des argumentaires. Le contrat signé comprend aussi la distribution puisque Paon diffusion s'appuie pour cela sur Serendip, avec lequel elle partage une certaine vision de l'édition artisanale. Pour se faire connaître des libraires, les représentants ont passé beaucoup de temps à battre le pavé pour aller à leur rencontre. " Nous leur proposons des conditions commerciales qui les incitent à prendre le risque de nous faire confiance : bonne remise et droits de retour bien plus ouverts que la moyenne ", assure Antoine Leprêtre qui, ne vivant pas encore de son activité de diffuseur, exerce aussi un autre métier à côté.

ThéoDiff, expert ès religion

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Née en janvier dans le giron de l'Alliance biblique française, une association interconfessionnelle dont la branche éditoriale, Biblio, édite de nombreuses versions de la Bible, ThéoDiff est une structure de diffusion dédiée aux éditeurs religieux. Biblio, distribuée par MDS, diffusait elle-même ses titres depuis plusieurs années et proposait ponctuellement à des éditeurs extérieurs tels Le Cerf ou Excelsis de diffuser certains de leurs ouvrages dans les réseaux spécialisés. Mais, « il y a peu, nous avons senti qu'il y avait des besoins dans ce secteur et nous nous sommes officiellement lancés en tant que diffuseur à part entière pour les éditeurs religieux », explique Jonathan Boulet, le directeur de ThéoDiff. Mame (Média Participations) un des plus gros acteurs du secteur religieux, est le premier client du jeune diffuseur. L'éditeur diffusé et distribué par les structures commerciales et logistiques de son groupe, Média diffusion et MDS, a souhaité faire appel à un outil de diffusion complémentaire et spécialisé pour affronter les difficultés du marché.

« Il est nécessaire d'être qualifié pour bien travailler les réseaux spécialisés : il faut une bonne connaissance des différents courants religieux, mais aussi des savoirs bibliques et théologiques », plaide le diffuseur. ThéoDiff dispose d'une équipe de trois représentants en métropole et deux dans les Dom-Tom, épaulés par un poste de service client. S'il intervient dans les librairies généralistes ainsi que les Fnac ou les Cultura, le diffuseur religieux a axé son activité sur les points de vente spécialisés, « l'équivalent des librairies de premier niveau pour nous », s'amuse Jonathan Boulet. ThéoDiff visite régulièrement 450 points de vente en métropole. Il est en discussion avec cinq éditeurs qui envisagent de faire appel à ses services. « Nous sommes en train de regarder la complémentarité des titres proposés pour réussir à bâtir un catalogue complet : l'objectif est que le représentant n'ait pas d'ouvrages qui se concurrencent et qu'il puisse offrir une large gamme, de la jeunesse, à la littérature ou à la catéchèse », explique Jonathan Boulet. Deux nouveaux représentants devraient être embauchés prochainement.

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