15 janvier > Philosophie Grèce - France

"Fascinant et imposant", "d’une puissance et d’une douceur extrêmes - un être oxymorique", se rappelle Jacques Neyme, des éditions Encre marine, qui avait fait sa connaissance deux ans et demi avant sa disparition en 2010. Kostas Axelos, l’éditeur de textes de haut vol imprimés à l’encre bleu marine l’avait en vérité connu bien avant, à travers ses livres. A 20 ans, en 1968, il découvre le philosophe grec, exilé en France, par son Marx, penseur de la technique (Minuit, 1961). Aujourd’hui, c’est chez lui que réapparaît cette somme sur "un Marx non marxiste" en même temps qu’Une pensée à l’horizon de l’errance : dix dialogues méditatifs, des entretiens choisis parmi ceux, nombreux, accordés par le philosophe polyglotte.

Vers la pensée planétaire (1964), Le jeu du monde (1969), Systématique ouverte (1984), Métamorphoses (1991), Ce qui advient (2009)… Si, à présent, le penseur postmarxiste et proche de la philosophie heideggerienne, né à Athènes en 1924, n’est plus autant lu, il faut rappeler la figure majeure qu’il fut. Traducteur et passeur de Heidegger ou de Lukács, Kostas Axelos dirige aux éditions de Minuit pendant plus de quarante ans la collection "Arguments" et la revue éponyme où se croisaient Edgar Morin, Deleuze, Barthes… Sa vie eut son pesant de romanesque. Issu de la grande bourgeoisie athénienne, il s’engage dans la résistance à l’âge de 17 ans auprès des communistes, est fait prisonnier et condamné à mort, réussit à s’évader à la nage de l’île où on le tenait captif. Une fois en exil, le voilà exclu du Parti communiste avec lequel il était en désaccord, puis à nouveau condamné à mort par contumace par le régime nationaliste grec…

Aux deux parutions précitées s’ajoute L’exil est la patrie de la pensée aux éditions Rue d’Ulm. L’homme et l’œuvre nous y sont présentés avec érudition et clarté : inédits d’Axelos, essais éclairant des facettes de sa réflexion sur l’ère technicienne ou la forme fragmentaire. Philosophe de l’"itinérance", penseur de l’errance et du planétaire, Axelos propose une vision non systématique. Décadence à laquelle est voué le monde capitaliste, malaise d’une civilisation où Dieu est mort, que peut encore la philosophie face à l’effondrement du grand récit de l’Histoire et à la fin des idéologies ? Aux analyses dogmatiques, aux grands schémas totalisants, il préfère des "réponses énigmatiques". Imbu de la pensée du présocratique Héraclite ou du devenir innocent d’un Nietzsche, Axelos emprunte parfois la voie du fragment, ou la fulgurance poétique, pour exprimer l’"impensé"… C’est l’itinérance de la pensée qui devient le propre de la pensée. Le monde ne se réduit à rien d’autre que le jeu dont il est le théâtre et l’acteur. Voilà qui, dans un contexte hyper technologique et globalisé, nous parle plus que jamais. Rien de triste, non, juste une belle sérénité tragique face à un destin sans destination dans un espace et un temps infiniment ouverts. Sean J. Rose

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