Propriété intellectuelle

Images, films, fichiers et textes : qui doit rendre les documents et qui peut les garder ? (1/3)

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Images, films, fichiers et textes : qui doit rendre les documents et qui peut les garder ? (1/3)

Jurisprudences nuancées, décisions de justice singulière, régime spécial du Code des usages en matière d’illustration photographique : le droit en matière de propriété intellectuelle concernant l'usage de documents est complexe.

Certes nous vivons dans un monde dématérialisé, mais les gens du livre et de l’art restent attachés au support matériel des œuvres, des manuscrits aux photographies de qualité, en passant par les dessins et autres documents non numériques. Malgré les développement du numérique, les conflits demeurent nombreux, comme un récent et retentissant arrêt de la Cour de cassation vient de le rappeler en dénouant le long contentieux entre Lagardère et Magnum. Les photographies La Cour de cassation vient, le 24 novembre dernier, de rendre une décision très importante, portant sur le sort des tirages des photographies de Magnum Photos reproduites dans Paris Match, entre 1949 et 1989, et que la célèbre agence réclamait à Lagardère Media News, éditeur de l’hebdomadaire. Des clichés utilisés dans Elle et Marie-Claire étaient également en cause.

En jeu, bien entendu, la revente de somptueuses images signées par les plus grands photographes du XXe siècle et dont certains appartiennent à notre mémoire collective. La bataille judiciaire avait donc une double valeur, financière et symbolique. Dans cette affaire qui tenait en haleine des auteurs majeurs (ou leurs ayants-droits), les hauts magistrats ont estimé que, « dès lors que la société (éditrice) avait financé les supports vierges et les frais techniques de développement, elle était la propriétaire originaire de ces supports et que la propriété intellectuelle est indépendante de la propriété de l’objet matériel, la Cour d’appel en a exactement déduit que la société Lagardère, propriétaire des tirages litigieux, était en droit d’en disposer ».

Cette décision est majeure mais singulière, en raison notamment de questions complexes liées à la prescription. Elle vient conforter un arrêt rendu par la même juridiction, le 28 octobre 2015. La Cour de cassation avait alors examiné le cas d’une société d’édition qui revendiquait la propriété matérielle de clichés photographiques qu’elle avait financés et était poursuivie par un photographe ayant œuvré durant une dizaine d’années avant de réclamer la restitution de ses négatifs. La Cour a considéré que cette société n’avait pas besoin de rapporter la preuve d’une clause contractuelle lui cédant expressément cette propriété, mais que le fait d’avoir financé les supports vierges et les frais techniques de développement suffisait à la rendre investie des droits sur ce matériel.

Jurisprudences nuancées

D’autres jurisprudences - toutes « d’espèce » c’est-à-dire liées à des faits et circonstances précis - sont bien plus nuancées. C’est ainsi que la Cour d’appel de Versailles a, le 19 juin 2014, condamné un éditeur qui n’avait pas restitué les négatifs de photographies. Elle a même considéré que la prescription acquisitive ne pouvait être invoquée. Quant au financement des supports, des frais techniques de développement, des pellicules, il ne suffit pas à opérer un transfert de propriété. Tandis que, le 7 janvier 2013, un Conseil de prud’hommes a estimé que l’employeur devenait propriétaire des supports des clichés de son salarié…

Ajoutons que le régime des originaux est prévu avec force détails dans le Code des usages en matière d’illustration photographique. Signé en 1979, remanié largement en 1993, il a été renégocié en 2017 entre entre le Syndicat national de l’édition et les principales organisations de photographes. Il distingue le sort de documents photographiques selon le support des images, numérique ou argentique. Ainsi, pour ce qui est de la « Garde des fichiers numériques », ce code indique que « L’éditeur pourra disposer des fichiers numériques qui lui auront été transmis, ou qu’il aura téléchargés, pour les besoins de l’exploitation de son projet éditorial et de l’archivage de son cata- logue, sans que cela l’autorise à constituer une base de données de fichiers numériques. L’éditeur est autorisé à transmettre les photographies à des tiers dans le seul cadre du projet pour lequel les fichiers lui ont été communiqués. L’éditeur peut constituer une base de données documentaire des livres et produits numériques de son catalogue utilisant des photographies ; cette faculté ne lui permet pas une nouvelle utilisation desdites photographies sans l’accord préalable du photographe ou de son représentant, lorsqu’il est nécessaire. Dans la mesure du possible, l’éditeur détruira, à la publication de l’ouvrage, les fichiers numériques qui lui ont été confiées, ou qu’il aura téléchargés

« Quant aux tirages argentiques, ils font l’objet de dispositions longues et détaillées, visant plusieurs délais de « garde », des « recommandations .aux éditeurs lors du retour des documents argentiques » , la destruction des originaux, etc. Les délais de réclamation ne sont donc pas les mêmes que ceux prévus par le CPI. L’éditeur qui fait référence au Code des usages devra y prendre garde. D’autant plus qu’il concerne une catégorie d’auteurs, s’il en est, encore plus attachée à ses droits. Rappelons enfin que le Code de usages ne lie guère que les entreprises, agences et auteurs adhérents des organisations signataires.

(à suivre)

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