Francfort

Juergen Boos, force tranquille

Juergen Boos, P-DG de la Foire du livre de Francfort. - Photo Frankfurter Buchmesse 2017 / Marc Jacquemin

Juergen Boos, force tranquille

Depuis treize ans à la tête de la Foire internationale du livre de Francfort, Juergen Boos sillonne infatigablement le globe pour faire rayonner la plus ancienne des manifestations dédiées au livre, intervenant discrètement dans les transformations qui bousculent l'industrie. Portrait. _ par Isabel Contreras

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Par Isabel Contreras,
Créé le 05.10.2018 à 19h03

Qui est Juergen Boos ? Inconnu du grand public, le discret et pragmatique P-DG de la Foire internationale du livre de Francfort est difficile à saisir. A Paris le 4 juillet pour participer à un forum organisé par Livres Hebdo, il arrivait directement de Hambourg. « J'étais au Japon en début de semaine, pour trois jours, précisait-il en soufflant sa fumée de cigarette, son paquet de gauloises à la main. La semaine suivante, « je serai à Francfort », ajoutait l'Allemand de 57 ans, avant de vérifier son agenda et de rectifier, l'air gêné : « Enfin, plutôt à New York. Je soutiens les prix créés par l'émirat d'Abu Dhabi... »

Juergen Boos- Photo OLIVIER DION

Juergen Boos passe sa vie dans les avions. Toujours accompagné d'au moins un membre de son équipe, il jongle entre les conférences, les formations et les réunions. S'il a animé récemment une rencontre avec Michel Houellebecq en Géorgie, invitée de la foire en 2018, quelques mois plus tôt, il s'entretenait en Espagne avec ses « amis de Planeta ». « J'ai voulu comprendre les raisons qui les avaient poussés à déménager leur siège social de Barcelone à Madrid après le référendum sur l'indépendance de la Catalogne », raconte-t-il.

« Repérer les tendances »

Actif sur les fronts culturel, économique et politique propres à son poste, le P-DG de la grande manifestation professionnelle de l'édition dégage pourtant une tranquillité contagieuse. « Il est toujours à l'écoute, ce qui peut parfois surprendre », assure Eleonora Di Blasio, chargée du développement de projets en nouvelles technologies à la Foire du livre de Francfort.

Sous un calme apparent, à mi-voix, le directeur de la Foire de Francfort est capable de dégainer des dizaines d'idées d'affilée. « Dans mon travail, le plus excitant, c'est d'être dans ce renouvellement constant. Il n'y a pas deux années qui se ressemblent », commente-t-il, sourire aux lèvres.

Nommé en 2005 par l'Association des éditeurs et des libraires allemands, il n'a pourtant pas été retenu pour son enthousiasme. Les coupures de presse de l'époque décrivaient un éditeur scientifique plutôt effacé, passé par John Wiley & Sons. « M. Boos est un inconnu du monde culturel allemand et son profil personnel s'oriente d'une manière claire vers la gestion économique », pouvait-on lire dans le quotidien espagnol El País. Mais ce « gestionnaire », marié à la galeriste Stefanie Boos et père d'un adolescent, a « sûrement été sous-estimé », affirme son ancienne collaboratrice Virginie Franz. « Il a fait entrer la foire dans le XXIe siècle en développant personnellement un nombre incalculable de projets à l'étranger. Sa capacité de travail est énorme », explique-t-elle. Elle cite en guise d'exemple l'impulsion donnée à l'IPR, la plateforme digitale d'échange de droits qui voit concourir des acheteurs de 185 pays en au moins 161 langues. Mais aussi le programme d'invitations tous frais payés à destination des petits éditeurs qui ne peuvent pas se permettre de participer à la foire.

Comprendre les nouveaux contenus

Dans le même esprit, Juergen Boos a poussé l'organisation de symposiums cross-média en Asie et en Amérique latine. Cet investissement à l'étranger est pour lui essentiel. « La manifestation s'est elle-même internationalisée, rappelle-t-il. Nous accueillons 60 % d'éditeurs étrangers, contre 40 % il y a quelques années. Nous nous sommes aussi ouverts à de nouveaux acteurs qui proposent d'autres contenus, comme Google et Netflix. Nous devons comprendre ces nouveaux contenus, repérer les nouvelles tendances ainsi que leurs modèles économiques afin de nous adapter. »

« Bâtir de la confiance »

Juergen Boos, qui se définit lui-même comme un « gros lecteur », s'appuie sur sa position politique pour mener à bien tous ses projets. Ses liens avec le Goethe Institute pour la promotion du livre et de la langue allemande l'amènent à côtoyer les ministres de la Culture d'une centaine de pays. Les bureaux de la foire à New York, Londres, Pékin, Djakarta, Moscou, Sao Paolo, New Delhi et Séoul lui servent aussi de bases pour ses contacts réguliers. « Mon but, c'est de bâtir de la confiance là où je vais », fait-il valoir. Anna Soler Pont, cofondatrice de l'agence Pontas, à Barcelone, corrobore cette vision. « Nous avons très bien travaillé ensemble lors de l'invitation d'honneur de la culture catalane en 2007, se souvient-elle. Pour ma plus grande satisfaction, le nombre de traductions de littérature catalane vers l'allemand et d'autres langues a augmenté depuis cet événement. Les relations avec la direction de la foire ont été très bonnes, ils ont été les premiers à comprendre les changements politiques en Catalogne. Juergen a de plus une personnalité assez exceptionnelle : il veut apprendre et être surpris sans arrêt. »

L'art de la diplomatie, Juergen Boos la pratique en coulisse. « Nous organisons un dîner où nous provoquons, par exemple, la rencontre des patrons de Penguin Random House et de Google. Cinq ans peuvent se passer sans qu'ils ne développent des projets en commun, mais le premier pas aura au moins été franchi », souligne-t-il. Dans un autre registre, il prend souvent la parole « au nom de la liberté d'expression ». Comme quand il a défendu, en 2015 l'invitation de Salman Rushdie à la Foire de Francfort, provoquant la colère des autorités iraniennes. Ou lors de la venue, en 2009, d'éditeurs chinois dissidents au moment de l'invitation d'honneur de l'empire du Milieu. Efficace, il organise aussi, tous les ans pendant la foire, un dîner réservé aux personnalités les plus importantes de l'édition. Des auteurs comme Paulo Coelho et de grands éditeurs sont conviés à ce rendez-vous VIP qui se tient dans une villa privée et qui se poursuit la nuit, autour d'un cocktail. « La force de Juergen, c'est de se montrer humain en toutes circonstances. Tout en étant respectueux, il bâtit des liens de proximité avec chaque individu, c'est son talent », note Virginie Franz.

En mouvement toujours, le directeur de la Foire internationale du livre de Francfort s'est tout de même autorisé « quelques jours de vacances pendant l'été ». Il a déserté les tarmacs pour les routes allemandes... à bord d'une moto vintage qu'il a conduite sans limitation de vitesse.

En dates

9 mai 1961

Naissance à Lörrach, Allemagne

1997-2005

Responsable marketing
chez Wiley-VCH (Wiley & Sons)

1er avril 2005

P-DG de la Foire internationale
du livre de Francfort

26 mai 2015

La Foire actionnaire
minoritaire de la plateforme IPR

Octobre 2015

Invitation de Salman
Rushdie à la Foire

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