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La reproduction d'extraits de paroles de chanson (2/2)

La reproduction d'extraits de paroles de chanson (2/2)

Les décisions de justice qui ont encadré strictement l'utilisation des paroles de Jean Ferrat remet en cause le droit de citation.

[suite de la première partie]
 
La question primordiale tranchée par la Cour d’appel de Versailles le 19 novembre 2019 et qui se démarque tant de l’arrêt « parisien » portait là encore sur la possibilité de citer légalement les chansons de Jean Ferrat.

Précisons que l’affaire de cette autre biographie de Jean Ferrat a été jugée d’abord en première instance, puis en appel, avant que la Cour de cassation ne revoye le tout et ne renvoye le litige pour être examiné au fond par la Cour d’appel de Versailles… 

Le contentieux portait sur soixante extraits de chansons. Et l’arrêt de Versailles est sévère pour la maison d’édition.
En effet, pour ce qui est du droit moral, l'atteinte « est constituée tout d'abord par le fait que les textes de  plusieurs chansons ont été dissociés des musiques créées spécifiquement par lui pour ces textes, sans la moindre autorisation. » 

Les demandeurs ajoutaient en particulier qu’« une chanson dont la musique a été écrite sous des paroles originales conçues pour la circonstance représente un ensemble non séparable, le texte et la musique ne peuvent être utilisés séparément sans l'accord des deux auteurs ou de l'éditeur. Ils estiment donc que scinder paroles et musiques d'une chanson représente déjà une mutilation de celle-ci et en concluent que la société intimée ne pouvait dissocier les paroles et la musique des chansons de Jean F. sans l'autorisation expresse de M. M., en charge de son droit moral.  » 

Unis pour la vie

C’est ainsi que « qu'une chanson dont la musique a été écrite sous des paroles originales conçues spécifiquement pour elle représente un ensemble non séparable ; que les paroles et la musique ne relèvent pas alors d'un genre distinct ». 
Or, « Jean Ferrat a créé une composition musicale spécifique au regard de chacun des textes concernés » et « le texte et la musique constituent la chanson elle-même et ne sont pas dissociables en ce que la mélodie, l'harmonie et le rythme ont été créés spécialement en fonction du texte ».

De plus, la décision fait état « d'un véritable patchwork d'extraits de toutes sortes (…), la partie extraite ne (rendant) pas compte de l'intégralité et de la qualité artistique de l’oeuvre citée, qui est donc déformée et dénaturée. » 
Par conséquent, « l'extrait est tiré de son contexte » et « ne représente qu'un aspect de la pensée de l'auteur, découpé de l'oeuvre et constituant un reflet incomplet de celle-ci ». 

Enfin, s'agissant de l'atteinte à l'esprit des oeuvres, l’arrêt mentionne « l’incorporation à un ouvrage biographique, principe au surplus refusé par Jean Ferrat », car il était « notoire » que celui-ci « détestait les biographies, ayant refusé de collaborer avec des auteurs de biographie et souhaitant que seule son oeuvre soit publique et étudiée ». 

Pour ce qui concerne la possibilité de circonvenir le droit patrimonial par l’exception de courte citation, les magistrats retiennent que, « s'agissant d'une exception, cette disposition doit être interprétée strictement » .

Justifications nécessaires

Aux termes de la loi, « chaque citation doit être justifiée par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de l'oeuvre dans laquelle elle est incorporée ». 

Ils soulignent que « la société ne peut donc invoquer, de manière générale, la qualité prétendue de l'ouvrage et son objet pour justifier les citations », à charge pour elle de démontrer, pour chaque citation, que celle-ci est justifiée par le « caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information » du propos du biographe la concernant. 

Et « cette exigence ne confère pas à la cour un pouvoir d'appréciation sur la pertinence du passage au sein duquel l'oeuvre est citée mais lui permet de s'assurer que les conditions de l'exception sont, pour chaque citation, réunies ». Las, en l'espèce, « ces citations ne font l'objet, dans l'oeuvre, d'aucune critique ou polémique ; qu'elles ne sont pas introduites afin d'éclairer un propos ou d'approfondir une analyse à visée pédagogique ». En outre, « tirées d'oeuvres publiées, elles n'apportent aucune information particulière ». 

Et ils en concluent qu’aucun des extraits cités ne s'inscrit, donc, dans des propos « critiques, polémiques, pédagogiques, scientifiques ou d'information ». 

Se posait aussi aux juges la question du droit à agir, alors que Jean Ferrat est l’auteur de paroles sur une musique composée par d’autres.

Les juges relèvent notamment que « les paroles des chansons considérées avaient été écrites à partir de poèmes préexistants, en collaboration étroite avec leurs auteurs, et que la contribution de Jean Ferrat était indivisible de la leur, de sorte » que les coauteurs et les ayants droit de deux autres « devaient être appelés en la cause » sauf à agir sur le terrain du droit moral.

Les circonstances de cette affaire sont certes étonnantes, mais la conclusion en est très critiquable.

Cet arrêt de la Cour d’appel de Versailles avait laissé supposer qu’il fallait procéder à des demandes d’autorisation et ne plus pouvoir recourir au droit de citation.

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