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L'adaptation audiovisuelle des œuvres littéraires : pratiques contractuelles et contentieuses (III/V)

Leonardo DiCaprio est 'The Great Gatsby' - Photo

L'adaptation audiovisuelle des œuvres littéraires : pratiques contractuelles et contentieuses (III/V)

Première partie

Deuxième partie 

 

La négociation de l’adaptation audiovisuelle, une partie de campagne

Il s’agit alors pour l’auteur et/ou l’éditeur de négocier avec le producteur, souvent en position de force, les clauses du contrat de cession des droits d’adaptation audiovisuelle.

Bien que l’auteur ne soit pas pleinement partie au contrat, dès lors qu’il a déjà cédé les droits afférents à l’adaptation audiovisuelle de son œuvre, le contrat est souvent conclu « en présence de l’auteur ».

Les points fondamentaux de cette négociation concernent l’étendue des droits cédés, la rémunération de l’éditeur ou de l’auteur, la durée et le lieu de l’exploitation, ainsi que la teneur de la participation de l’auteur ou de l’éditeur au processus de réalisation de l’œuvre audiovisuelle.

Le contrat entre éditeur et producteur peut être très variable en raison de l’adaptation envisagée (téléfilm, long-métrage cinématographique, etc.). Il est généralement précédé d’une option exclusive payante d’une durée souvent renouvelable. Ce temps de réflexion permettra au producteur de rechercher le financement nécessaire à la production du film.

Ce premier contrat doit être accompagné de précisions suffisantes sur les modalités du contrat de production qui entrera en vigueur à la levée de l’option.

La question laisse souvent sans voix les gens de lettres, qui doivent négocier la cession de droits qui ne représentent qu’un des éléments d’un budget moyen par film de long-métrage de plusieurs millions d’euros.

Les montants dépendent en réalité aussi bien du type du livre (best-seller international ou premier roman resté dans l’ombre), de la part qui en est conservée par les adaptateurs et scénaristes (transposition fidèle ou filiation à une simple idée de départ), de l’importance du budget et de la nature du projet (de quelques dizaines de milliers d’euros pour un documentaire à parfois plus d’un million d’euros pour des films à grand spectacle), etc.

Des instances professionnelles, telles que la SCELF (Société civile de l’édition littéraire française), société de gestion collective, qui gère essentiellement les droits des éditeurs littéraires en cas d’adaptation audiovisuelle, peuvent aiguiller utilement leurs adhérents. La lecture de quelques revues spécialisées qui publient parfois des plans de financement ou encore la consultation du RPCA donnent aussi une idée plus précise à l’éditeur désarmé.

L’éditeur devra négocier, d’une part, un « pourcentage sur les recettes nettes part producteur » (dites plus simplement RNPP) et, d’autre part, un minimum garanti sur ce même pourcentage. Le pourcentage sera calculé dès le premier euro de recettes, mais son taux variera contractuellement à la hausse après « amortissement du coût du film ». RNPP et coût du film devront donc être définis dans de longues annexes au contrat.

La part producteur nette est généralement « égale à l’ensemble des recettes provenant de l’exploitation du film […] sous déduction des charges d’exploitation » qui seront énumérées de façon exhaustive: on y trouvera, notamment, « la commission de distribution », « le montant de la publicité de lancement faite au moment de la première sortie du film en exclusivité à Paris », le « prix des copies du film et du film annonce et de leur entretien », etc.

La part des recettes du film que reverse le producteur à l’éditeur augmente souvent sensiblement une fois le « coût du film » amorti.

Ce coût est d’ordinaire égal au total de toutes les dépenses relatives à la préparation, au tournage et à la post-production. Une longue liste détaillée de l’ensemble des frais sera donc annexée au contrat entre producteur et éditeur. Elle s’étendra, par exemple, jusqu’à des frais aussi divers que les salaires des producteurs, le budget alloué à la musique du film, la publicité faite en cours de production, le doublage et/ou sous-titrage, la taxe de vision pour l’obtention du visa d’exploitation, les agios entrant dans le cadre du financement de la production ou encore les dépenses relatives à la « copie standard », à la « copie échantillon », aux « copies de sécurité », aux « contretypes positifs et négatifs »… Les frais généraux y sont habituellement visés, mais sont expressément et forfaitairement évalués à environ 7 % des dépenses.

Quant aux exploitations particulières que le producteur pourrait envisager, telles que la cession des droits de remake, elles donneront lieu, au profit de l’éditeur, à des taux encore différents de ceux afférents à une exploitation normale du film.

Il est d’usage de prévoir que le producteur déléguera à l’éditeur « les recettes du film à provenir de son exploitation dans le monde entier, à concurrence des pourcentages alloués, par préférence et antériorité au producteur et à tous autres ». En vertu de cette délégation, et conformément aux dispositions du Code de l’industrie cinématographique, l’éditeur pourra donc encaisser directement auprès des tiers les recettes dites déléguées.

La publication au Registre public de la cinématographie et de l’audiovisuel du contrat liant le producteur à l’éditeur est à ce titre fondamentale. Seule cette publication, généralement à la charge du producteur, permet de rendre le contrat opposable aux tiers et de leur faire verser des royalties directement à l’éditeur.

L’éditeur prendra garde à négocier, au sein du contrat avec le producteur les droits d’utilisation d’images du film ou de son affiche et ce, dans le but d’illustrer la couverture d’une éventuelle réédition. Il veillera de même à se réserver la possibilité d’utiliser le nouveau titre éventuellement choisi par le producteur en remplacement de celui de l’œuvre d’origine. Le producteur devra alors garantir l’éditeur pour ces utilisations spécifiques contre toute revendication de la part tant des photographes de plateau que des dessinateurs, des acteurs, etc.

L’éditeur s’attachera à limiter la faculté pour le producteur de céder les droits de publication d’ouvrages de librairie tirés du film, qu’il s’agisse de novélisations du scénario comme d’albums richement illustrés de photographies de plateau.

Éditeur et producteur concluront donc une clause qui peut s’inspirer du modèle suivant: « La présente cession ne comporte pas le droit d’édition du roman titre de l’ouvrage, le droit de représentation dans tous les autres genres non cinématographiques, et notamment représentations théâtrales, éditions imprimées, produits multimédias, sauf un récit illustré d’après le film, genre dit film complet mais qui ne devra pas excéder 8000 mots. »

Enfin, l’éditeur ne devra pas oublier que l’auteur est aussi partie prenante à l’adaptation de son livre en œuvre audiovisuelle.

Quand bien même en droit pur l’éditeur serait-il seul habilité à signer avec le producteur audiovisuel, il aura tout avantage à informer l’écrivain des négociations. Celui-ci dispose en effet toujours de son droit moral, et en particulier du droit au respect de son œuvre, qui lui permet de s’opposer aux adaptations trop audacieuses. Il est donc souvent opportun de ménager les intérêts financiers de toutes les parties, en prévoyant pour l’auteur, dans le contrat à conclure avec le producteur, une porte de sortie qui n’empêche pas le tournage du film. C’est ainsi qu’il est fréquent de prévoir que « dans le cas où ces modifications, additions ou suppressions ne recevraient pas l’accord de l’auteur, ce dernier aurait la faculté d’interdire au producteur ou ses ayants droit de mentionner le nom de M. nom de l’auteur et des éditions nom de l’éditeur dans la publicité et sur le générique, mais il ne pourra en aucun cas entraver la sortie et l’exploitation du film ».

Par ailleurs, les clauses prévoyant la mention du livre et de son éditeur au générique du film et sur les affiches devront être soigneusement examinées. Il faudra notamment s’attarder sur la taille des caractères par rapport aux noms des autres intervenants (metteur en scène, producteur, etc.). C’est à ce prix que l’éditeur tirera pleinement profit d’une adaptation audiovisuelle.

L’exclusivité d’une adaptation audiovisuelle est un point essentiel, bien qu’il fasse rarement l’objet d’une négociation, le producteur n’étant – légitimement – pas enclin à financer la production d’une œuvre audiovisuelle en concurrence avec d’autres. Toutefois, il peut s’avérer intéressant de négocier l’étendue territoriale de l’exclusivité. Si traditionnellement le titulaire des droits cède ses droits « pour le monde entier », il peut souhaiter se réserver certains pays ou versions pour lesquels il envisage une autre production ou, au contraire, il refuse de voir son œuvre exploitée.

Pour ce qui est des droits cédés, il est important de préciser la nature de l’exploitation audiovisuelle d’une l’œuvre littéraire, qui peut être cinématographique, mais également vidéographique ou télévisuelle.

A chaque exploitation doit nécessairement correspondre une rémunération distincte, elle-même nécessairement proportionnelle aux recettes d’exploitation du film. En pratique, ce pourcentage oscille entre 0,1 et 10%.

Si l’éditeur s’est fait céder les droits, cette rémunération sera ensuite répartie entre l’éditeur et l’auteur de l’œuvre adaptée. Étant précisé que l’usage est celui d’une clé de répartition égalitaire « 50/50 » ou « 60/40 », prévue en principe dès le contrat d’édition.

 

(à suivre)

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