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L'adaptation audiovisuelle des œuvres littéraires : pratiques contractuelles et contentieuses (IV/V)

Leonardo DiCaprio est 'The Great Gatsby' - Photo

L'adaptation audiovisuelle des œuvres littéraires : pratiques contractuelles et contentieuses (IV/V)

Première partie

Deuxième partie

Troisième partie 

 

Adaptation inadaptée : le droit moral à la rescousse

Outre cette rémunération légale versée à l’auteur de l’œuvre originaire, celui-ci n’a, en principe, que son droit moral pour pleurer… et contrôler l’adaptation de son œuvre sur le grand écran., sauf, comme je l’ai indiqué ci-avant, à ce que l’auteur soit partie prenante à l’écriture du film.

Une telle prérogative ne s’arrache qu’à l’occasion d’un rapport de force, au cours duquel, pour une fois, l’éditeur, en raison du succès de son auteur, pèsera lourd dans la négociation.

En outre, il convient de préciser que le Code de propriété intellectuelle prévoit que l’exercice de son droit moral se trouve paralysé jusqu’à ce que le réalisateur et le producteur s’accordent sur la version finale de l’œuvre audiovisuelle, spécificité légale qui se justifie par l’importance des sommes engagées dans la production d’un film.

C’est donc à l’achèvement de l’œuvre audiovisuelle que l’auteur de l’œuvre littéraire pourra faire valoir son droit moral, et notamment le droit au respect et à l’intégrité de son œuvre.

Le droit de l’auteur au respect de son œuvre peut en effet être facilement bafoué par une adaptation. Toute clause du contrat de cession des droits d’adaptation audiovisuelle par laquelle l’auteur laisse entière liberté d’action à l’adaptateur est illégale, car elle équivaudrait pour l’auteur à une renonciation à son droit moral, pourtant absolu, inaliénable et perpétuel.

 

Le principe du droit au respect de l’œuvre

Le CPI, en son article L. 121-1, prévoit un droit au respect de l’œuvre au rang des attributs moraux de l’auteur.

Le juste milieu entre la nécessaire déformation de l'œuvre due à son adaptation et son respect prévu par la loi est donc difficile à cerner. Le conflit peut germer sur les coupes faites dans l’intrigue, sur la transposition dans un autre décor que celui conçu par le romancier, etc. Le Dialogue des carmélites fait figure de cas d’école en la matière. Les magistrats de la Cour de cassation ont conclu, en 1966, à la liberté de l’adaptateur tout en rappelant la nécessité de ne pas dénaturer le livre… Le droit moral est perpétuel et ne connaît pas de domaine public. En 1966 également, la même juridiction s’est donc penchée, à la demande de la Société des Gens de Lettres, sur l’adaptation au cinéma par Roger Vadim des Liaisons dangereuses.

 

La loi du contrat

Les enjeux financiers de l’audiovisuel, ainsi que les conséquences financières énormes de tout litige, appellent à la prudence. L’aménagement contractuel préalable des difficultés éventuelles reste la meilleure solution.

Certes, le droit moral « est attaché»  à la personne de l’auteur et n’est donc en théorie pas cessible par contrat. Il reste cependant aménageable, ainsi que la Cour d’appel de Paris l’a souligné, en 1970, à l’occasion de l’adaptation de Fantomas avec Louis de Funès.

Il est donc fréquent de stipuler que « le producteur aura le droit d’apporter au roman toutes les modifications qu’il jugera utiles pour les besoins de l’adaptation cinématographique ». Mais, il est alors précisé que «dans le cas où ces modifications, additions ou suppressions ne recevraient pas l’accord de l’auteur, ce dernier aurait la faculté d’interdire au producteur ou ses ayants - droit de mentionner le nom de l’auteur et de l’éditeur dans la publicité et sur le générique, mais il ne pourra en aucun cas entraver la sortie et l’exploitation du film ».

Il est aussi fréquent que les auteurs demandent l’insertion de la mention « adaptation libre » de l’ouvrage cité, marqueur d’une certaine distance artistique avec l’œuvre audiovisuelle inspirée de son ouvrage.

Le choix d’Alain Delon pour interpréter à la télévision le héros d’extrême-gauche imaginé originellement par Jean-Claude Izzo suscite un débat très vif entre les initiés. Cette polémique n’est qu’une nouvelle illustration du conflit plus que classique, qui a toujours opposé le droit moral des écrivains à l’essence même de l’adaptation…

 

(à suivre)

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