Chronique juridique

Le droit au secret et les lois de la République (2/2)

Le droit au secret et les lois de la République (2/2)

Qu'il soit "professionnel", "de l'instruction", "des affaires" ou encore "défense" : comment le droit français s'empare-t-il de la notion de secret ? 

(suite de la première partie) 

Puisque le secret des confesseurs est sous les projecteurs de l’actualité judiciaire, revenons sur un genre littéraire particulier que sont les manuels de confesseurs qui ont fleuri au XIXème siècle, succédant peu ou prou aux manuels d’inquisiteurs du Nouveau Monde. 

Les manuels de confesseurs, ouvrages réservés aux prêtres et aux diacres pour notamment les aider à « interroger les jeunes filles qui ne savent pas ou qui n’osent pas faire l’aveu de leurs péchés d’impur », offrent en fait la diabolique possibilité de se jouer de la censure ! Ils établissent un recensement des « différentes espèces de luxures consommées contre nature », comme la « pollution », la sodomie, la bestialité, et bien sûr la panoplie de péchés liés à la pratique du sexe (fornication, prostitution, inceste, etc.). Il s’agit de manuels précis ciblant chaque situation, qui donnent autant de prétextes aux détournements par les pornographes !

Ainsi le Manuel secret des confesseurs, rédigé par Monseigneur Bouvier (1783), évêque du Mans, fut maintes fois réédité avec entre autres des incitations à sonder les demoiselles pour savoir si elles se sont introduit « dans le vase le bec d’un poulet ou d’une poule ».

Quant à Roland Gagey libre-penseur et anticlérical, mais surtout libraire et éditeur français que la censure n’épargna pas, il en joue lui-même par cet avertissement d’une saveur extrême qu’il place en ouverture du volume intitulé Les Livres secrets des confesseurs : « Cet ouvrage n’est pas destiné aux enfants. Nous en avertissons très visiblement le libraire sur la couverture. Nous l’en avons en outre prévenu verbalement. Si l’un quelconque des exemplaires de cet ouvrage est trouvé entre les mains d’un mineur, on ne saura nous en faire grief. Je sais bien que des esprits chagrins ou intéressés nous diront que certains libraires ne s’arrêteront pas à une telle recommandation et céderont aisément à un goût trop vif du bénéfice. À cela, nous répondrons que c’est décrier trop facilement une corporation dont on ne peut suspecter la conscience. En outre, nous ne pensons pas qu’une brebis galeuse eût attendu la publication des Livres Secrets des Confesseurs pour se livrer à son petit trafic. Il existe assez de cochonneries autres que celle-ci, pour lui en donner toutes les possibilités. » 

Droit religieux et République 

Le droit canon, droit religieux sur lequel a longtemps reposé le droit français, réprouvait en vrac la fornication, le stupre (la défloration d’une vierge hors des liens du mariage), le concubinage, l’inceste, le rapt, la sodomie, le viol, la bestialité, la bigamie et l’adultère. Le Manuel secret des confesseurs allait jusqu’à réprimer la délectation morose ou contemplative.. On entendait par là les pensées et rêveries impudiques...

« Luxurieux point ne seras de corps ni de consentement », nous prévient le sixième précepte du Décalogue, tandis que le neuvième rappelle que « Œuvre de chair ne désireras qu’en mariage seulement ».
Autant dire que la position du missionnaire était de rigueur.

Au-delà de la rencontre imposée par le ministre de l’Intérieur Gerald Darmanin à Mgr de Moulins-Beaufort, le Président de la Confédération des Evêques de France, tout est en effet compliqué quand il s’agit de distinguer le droit religieux de la République.

Sous l’Ancien Régime, par exemple, tout ressemble en réalité à un gigantesque bazar sans dessus dessous : l’université parle de droit coutumier, mais y décèle des traces de droit romain et, dans le même temps, relève l’importance du droit canon. Antigone de Sophocle est cité, en une ligne, par la Faculté de droit comme exemple de l’opposition entre droit naturel et droit positif, alors que la justice divine y fourmille. Quant à Saint Augustin et Saint-Thomas d’Aquin, présentés comme les stars de la pensée idéaliste chrétienne, il est hâtivement précisé qu’ils ont pioché dans l’Antiquité pour construire leur conception du droit.

Une fois la République instaurée durablement instaurée, au Diable (et à son avocat) les théories juridiques canoniques ayant officiellement disparu. Et pourtant, Dieu (tout comme Satan) sait qu’elles sont bien présentes, cachées en embuscade dans les lois, dans les tribunaux, qu’elles pèsent dans la fameuse balance. Aucune référence n’est plus émise au caractère profondément conservateur et moraliste, pour ne pas dire chrétien, du droit tel qu’il s’applique.

Tribunal vs Sainte Chapelle 

L’impasse est en apparence totale sur les résidus de droit canon - parfois si épais qu’ils en sont durs à avaler pour tout citoyen athée - qu’abrite une justice supposée laïque et républicaine. Il existe pourtant des indices évidents, mais qui ne se découvrent qu’en franchissant d’autres portes que celles de l’université. L’entrée du palais de justice de Paris peut ainsi laisser pantois : voisinent côte à côte deux files et deux écriteaux, seulement séparés d’une barrière métallique, menant pourtant au même couloir : « Tribunal » et « Sainte Chapelle ». Le Japonais féru de vitraux finira par se promener dans les salles d’audience au cachet si historique. Et le justiciable doit contourner le célèbre lieu de culte pour se présenter en retard devant un juge courroucé qui le sermonne illico sur la ponctualité. Deux affiches, donc, mais au même programme, qui se moque bien de la loi de 1905 sur la séparation de l’église et de l’Etat.

Le jour de la Saint Yves (désigné à la fois comme patron des marins et des avocats !), l’amicale bretonne du barreau de Paris n’hésite d’ailleurs pas à assister en robes à la messe de l’église Montparnasse, puis à parader dans le quartier entre deux crêperies en perdition. Rien de surprenant lorsque l’on se penche sur l’histoire des costumes d’audience pour découvrir que ceux-ci sont directement inspirés des habits ecclésiastiques. À s’en vêtir, l’auxiliaire de justice ou le magistrat se rend vite compte qu’il est déguisé en curé que l’on n’a qu’à demi-défroqué.

Quant à trois départements appartenant à l’ « Alsace-Moselle », ils affichent clairement les couleurs puisqu’ils appliquent un droit distinct de celui du reste du pays, poussant l’originalité jusqu’à arborer des crucifix dans les salles d’audience de Colmar et alentours. Les cours de droit dispensés dans le reste du pays se contentent de rappeler que l’occupation allemande entre 1871 et 1918 a produit un droit local d’origine germanique, notamment en matière immobilière. Là encore, l’étudiant en droit apprendra seulement qu’il existe quelques spécificités exotiques – comme il en existe de bien plus laïques pour favoriser l’économie des DOM TOM - sans qu’il soit mis en garde contre ces tribunaux aux décorations d’oratoires.

Le blasphème 

Le droit canonique et le droit musulman sanctionnent toujours le blasphème. Il n’en est officiellement pas de même devant les juridictions laïques françaises. Mais depuis quelques années, la justice accueille de plus en plus favorablement ceux qui opposent Le Livre à tous les autres livres, ainsi qu’au cinéma, à la caricature de presse, à l’art contemporain, etc.

Les magistrats retiennent pour critère la conformité ou non des images litigieuses à l’iconographie religieuse traditionnelle : la représentation de la crucifixion – de l’affiche de Larry Flint à la couverture d’INRI - est ainsi devenue un véritable enjeu judiciaire. 

En pratique, les juridictions accueillent plus facilement les actions contre les éléments visibles par le plus grand nombre : les affiches de films, les publicités sont particulièrement visées, tout comme… les couvertures de livres. En 1995, la même A.G.R.I.F. avait même sévi judiciairement contre une couverture de magazine qui titrait : « Pourquoi Dieu n’aime pas les femmes »…

L’« affaire Rushdie » a permis au Tribunal de grande instance de Paris, en 1989, de débouter les plaignants, notamment au motif que « personne ne se trouve contraint de lire un livre »… Là encore, le coup n’est pas passé loin. Il en a été jugé presque de même en septembre 2002 en faveur de Michel Houellebecq. À cette occasion, l’écrivain Fernando Arrabal était venu témoigner en faveur de son ami et confrère. Il avait tenu à rappeler qu’il avait été condamné, sous Franco, pour avoir attenté au catholicisme. En début d’audience, il avait usé de sa modeste taille et de ses lunettes pour demander aux juges devant quel symbole religieux accroché au mur ils étaient assis. Le président l’avait rassuré en désignant Marianne… voilée comme il se doit.

Mais, peu à peu, certains juges se sont laissés séduire par ce mélange des genres : le 14 septembre 2000, la Cour de cassation revenait sur la décision de la Cour d’appel de Paris, rendue le 10 novembre 1998 au profit d’Albin Michel, éditeur d’INRI de Bettina Rheims et poursuivi par l’A.G.R.I.F. (encore elle ! ). Les attaques contre Ave Maria de Jean-Luc Godard (en 1984, entraînant le retrait de l’affiche du film), La Dernière Tentation du Christ (en 1988, aboutissant au rajout d’un avertissement en début de film) avaient attesté de cette alliance retrouvée entre la balance et le goupillon. 

En 2005, c’est l’épiscopat lui-même, via une association ad hoc, qui retrouve ses mauvaises habitudes, fustigeant la représentation de la Cène incarnée par des femmes et la présence d’un corps masculin assez chastement dénudé... La décision rendue par Jean-Claude Magendie, qui préside au plus haut rang le Tribunal de grande instance de paris a de quoi inquiéter. La sanction (une astreinte de 100 000 euros par infraction) est, au-delà d’un raisonnement juridique qui restaure le délit de blasphème en droit français, très dissuasive. 

La seule ironie de l’histoire est que la publicité litigieuse, conçue comme un clin d’œil aux théories de Dan Brown, a remis une nouvelle fois la Da Vinci Code en piste, pour la continuation de son plus grand succès. Les voies du seigneur sont impénétrables.
          

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