Chronique Juridique

Le droit à la parodie

Nouvelles aventures de Lapinot : Par Toutatis (L'Association) - Photo L'Association

Le droit à la parodie

Mi-juin, les libraires ont vu arriver des cartons d’un album de Lewis Tronheim intitulé Par Toutatis (publié par L’Association), représentant quelques similitudes avec un album d’Astérix, signé par Goscinny et Uderzo. Et de découvrir, en se penchant sur le livre, que celui-ci portait un auto-collant très juridique, avertissant que « Attention !!! Ceci n’est pas un album d’Astérix. Parodix ! »

Parodie, pastiche et caricature constituent trois exceptions notables aux droits de reproduction et de représentation.

Traditionnellement, on considère que la parodie ressortit au genre musical, le pastiche au genre littéraire et la caricature aux arts graphiques. Tous trois relèvent de l’imitation d’une œuvre.

La parodie, la caricature et le pastiche sont autorisés « compte tenu des lois du genre ». Les lois du genre ont été, au fil de nombreuses affaires, définies par la jurisprudence.

Le but visé par le pasticheur est primordial : il s’agit d’amuser sans chercher à nuire. L’intention délibérée de nuire rend donc, selon les tribunaux, la reproduction répréhensible. Seul le caractère bon enfant du pastiche ou de la caricature est admis. Et les tribunaux ont tendance à examiner l’état d’esprit de celui qui cherche à se moquer: déclarations préalables et postérieures qu’il aurait faites sur la victime de son pastiche ou de sa caricature, etc.

De plus, le lecteur doit être à même de comprendre qu’il a affaire à une caricature ou à un pastiche. L’auteur et l’éditeur devront donc veiller à empêcher toute possibilité de confusion dans l’esprit du public. Le risque de confusion s’appréciant toujours par rapport à un consommateur moyen, il ne faut donc pas considérer que des différences, grossières aux yeux de professionnels du livre, puissent exclure une condamnation. Un jugement, sanctionnant les similitudes entre Le Monde de Sophie et Le Monde d’Anne-Sophie, a ainsi relevé : « Attendu que l’acheteur a immédiatement l’impression d’être en présence de l’œuvre première; qu’il n’est pas suffisamment détrompé par la mention d’un autre éditeur que Le Seuil ni par la mention Les Jalons dont la célébrité n’est pas telle qu’il l’associe immédiatement aux pastiches qu’elle a réalisés dans le passé; qu’il lui faudrait pour ce faire que, suffisamment intrigué par le texte de la quatrième de couverture, ce qui n’est pas évident, il ouvre l’ouvrage, lise le texte de l’un ou l’autre des deux rabats intérieurs qui lui étaient jusque-là cachés, puis s’intéresse au texte même de l’ouvrage y compris les remerciements; que force est de constater qu’il ne s’agit pas là de la démarche habituelle de l’acheteur d’un roman à grand succès, attiré par la publicité autour de cet ouvrage et moyennement attentif sur son contenu »

La cour d’appel de Paris a, en bout de course, statué dans le même sens, le 17 janvier 2003, en considérant que « l’absence de distanciation comique dans le titre et la couverture par rapport à l’œuvre première n’évite pas le risque de confusion entre les deux œuvres pour le consommateur. (…) les inscriptions fantaisistes inscrites sur la première page ne sont pas suffisamment lisibles pour être vues dans leur fonction comique, et la mention de la société Les Jalons ne peut être associée immédiatement par l’ensemble du public aux pastiches précédemment réalisés par cette société ».

Les deux lois du genre à respecter sont donc l’intention d’amuser sans nuire et l’absence de confusion.

Des procès retentissants

Une poignée de procès retentissants a cependant mis au pas les trublions du monde de l’édition. Ils ont appris à leurs dépens que les parodies de best-sellers ou de collections célèbres figurent désormais en bonne place au rang des quelques livres interdits en France chaque année. Il faut rappeler que la couverture d’un livre ou d’une collection est fréquemment considérée par les juridictions comme une œuvre protégeable au sens du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI). La maquette bénéficie aujourd’hui d’une protection à l’instar du titre ou du contenu lui-même. En outre, dans l’hypothèse où une collection ne satisferait pas à la condition d’originalité exigée pour toute protection par le droit d’auteur stricto sensu, l’éditeur peut toujours invoquer le droit de la concurrence déloyale pour décourager les imitateurs qui cherchent à tourner sa production en dérision.

Or, comme toutes les exceptions à un principe juridique – en l’occurrence le monopole d’exploitation accordé en faveur d’une œuvre originale par le CPI à son auteur et à son éditeur –, la parodie, le pastiche ou la caricature sont interprétés restrictivement par les juridictions. Les éditions Gallimard ont obtenu en 1990 la condamnation des Mémoires d’Elena Ceaucescu, qui se moquait ouvertement de la « Bibliothèque de la Pléiade » en en contrefaisant la maquette.

Il ne faut pas oublier qu’en théorie aucune exception de parodie n’existe en matière de marque. C’est ainsi que le faux Que sais-je? de Karl Zéro, publié en 1991, avait été interdit à la demande des PUF. Les commentateurs spécialisés estiment toutefois que certaines brèches jurisprudentielles commencent prudemment à s’ouvrir sur ce point.

Cependant, en 2003, la cour d’appel de Paris a rendu une série d’arrêts où elle admet la possibilité de parodier des marques déposées. Le 30 avril, elle a ainsi donné raison aux initiateurs du site Jeboycottedanone.com, qui dénonçait la politique sociale du géant de l’agro-alimentaire. Les magistrats ont notamment relevé que « la référence à la marque visée était nécessaire pour expliquer le caractère politique ou polémique de la campagne, d’autant que les produits n’étaient nullement visés ni dénigrés ».

Bref, la parodie autorisée par le CPI est aujourd’hui difficilement publiable. En revanche, celle d’une marque, en pur droit sanctionnée, l’est de moins en moins par la jurisprudence. Est-ce là un exemple de « parodie de justice » ou un « renversement de tendances » ?

Mais il faut aussi évoquer le cas singulier des éditions du Léopard démasqué. Ayant déjà commis des pastiches de Harry Potter ou du Da Vinci Code, elles publient depuis plusieurs années des livres signés Gordon Zola et en particulier « Les aventures de Saint-Tin et son ami Lou » ; qui parodient les aventures de Tintin  avec des titres tels que Le Crado pince fort, La Lotus bleue, L’Affaire tourne au sale ou encore Le Vol des 714 porcineys.

Le 11 février 2011, la Cour d’appel de Paris s’est prononcée en faveur de l’exception de parodie et de Gordon Zola, dans une affaire que j’ai plaidée.

C’est en janvier 2009 qu’une une escouade de policiers et d’huissiers a fait irruption dans les locaux de l’imprimerie Laballery, où les premiers se sont emparés sous l’œil des seconds des fichiers informatiques des aventures de Saint-Tin et son ami Lou ». Trois jours plus tard, les stocks des cinq premiers titres de la collection, déjà imprimés et entreposés dans l’attente de rejoindre les tables des libraires, ont subi un sort analogue. La double saisie faisait suite à une requête de Moulinsart S.A., pour qui les ouvrages litigieux relevaient assurément de la contrefaçon.

Le 9 juillet 2009, les juges du tribunal de grande instance d’Evry n’ont pas retenu la contrefaçon, en justifiant la légalité de la parodie ; mais ils ont condamné Arconsil, qui abrite les éditions du Léopard démasqué, pour parasitisme, lui infligeant des dommages-intérêts à hauteur de 40 000 euros ! Ce qui a conduit Gordon Zola, directeur de la collection incriminée et auteur de deux de ses titres, à se demander ce qui pouvait bien distinguer « une parodie parasitaire d’une parodie non-parasitaire »…

Il y avait là une incohérence que les magistrats d’appel ont dû trancher, car, en pratique, elle remettait en cause l’exception de parodie prévue expressément par le Code de la propriété intellectuelle.

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