LE LIVRE ET LA MAGIE

La prestidigitation ? Une affaire sérieuse - Photo Editions Eyrolles

LE LIVRE ET LA MAGIE

Oeuvres de l'esprit mais aussi objets dangereux ou animé : la protection par le droit d’auteur des plus originaux matériels de prestidigitation requiert une attention particulière des maisons d'édition.

Avis aux lecteurs : cet article est susceptible d'heurter la sensibilité sensible des amateurs de prestidigitation qui réfutent toutes sortes de "trucs". 

L'objet de magie détonne et étonne les amateurs de ventes aux enchères qui, au hasard d'une page d'un catalogue, aperçoivent les dessous d'une épée rétractable, de boites truquées ou d'une baguette magique ayant appartenu à un célèbre illusionniste - et ayant servi à ébahir un public crédule, en manque d'évasion dans ce monde bien trop rationnel.

L'objet de magie attire les férus d'illusionnisme, les collectionneurs de curiosités, comme les institutions culturelles - citons par exemple le Musée de la magie parisien qui expose une grande variété d’accessoires truqués. Il est également possible d’imaginer une personne qui se porte acquéreur d'un objet qu'a hanté toute sa vie le fait de ne pouvoir découvrir par lui seul les secrets du prestidigitateur, ou encore un enchérisseur désireux de faire disparaître son caniche de compagnie dans un haut-de-forme, pour le simple plaisir du geste.

La magie, ses objets et ses secrets sont une facette de l’édition.

Objet magi… (disparition)

En ce qu'il contient et confine l'illusion, l'objet de magie est l'allié matériel du magicien, qui ne peut feindre la prestidigitation que grâce à son jeu de scène et une manipulation précautionneuse de ses accessoires.

L'objet de magie, polymorphe, peut revêtir une grande diversité de formes, des plus communes aux plus étranges.

C’est ainsi que la vente aux enchères consacrée à la collection de Christian Fechner (prestidigitateur, collectionneur et fondateur de la Maison de la magie) organisée par Gros & Delettrez en 2004 comprenait des boîtes à secret, des cages pliantes à apparition, des baguettes magiques, des pistolets à disparition de foulard mais également un bocal à apparition de poissons, un sifflet à farine ou encore une cuillère transformant l’eau en encre.

L’on aurait tort d’exclure de cette liste non exhaustive les objets spirites et occultes qui prétendent faciliter le dialogue avec les esprits et l’au-delà du monde visible, fini et mortel.

Enfin, les objets de magie peuvent faire référence à tout ce qui fait partie de l’« expérience magique » et qui, des affiches publicitaires et gravures racoleuses des spectacles de magie aux traités d’illusionnisme, fait le succès de ces ventes on ne peut plus magiques.

La grande diversité de ces objets qui forment ce « marché de la magie » commande aux professionnels de l’édition d’étudier leurs spécificités et d’y appliquer la règlementation adaptée, qu’ils soient objets d’art, objets dangereux ou encore objets « animés »...

La magie de l’art : objet de magie et droit d’auteur

Si l’on parle spontanément d’« art de la magie », on qualifie moins aisément les objets manipulés par le prestidigitateur. En effet, les accessoires du magicien sont au carrefour de la technique et de l’esthétisme.

Le plus souvent imaginé par le prestidigitateur, quelquefois même façonné par lui, l’objet de magie revêt « tour à tour » les qualités d’objet technique, artisanal ou encore d’objet d’art.

Il est, par conséquent, susceptible de bénéficier d’une triple protection par le droit de la propriété intellectuelle, au titre du droit des brevets (invention technique), du droit des dessins et modèles (innovation esthétique) et du droit d’auteur (création originale et formalisée).

Les objets de magie susceptibles de revêtir la qualification d’objets d’art nous intéressent particulièrement ici. En effet, cette catégorie fait l’objet d’un traitement particulier lors des ventes aux enchères, tenant au respect des prérogatives morales et patrimoniales du droit d’auteur.

De ce fait, les éditeurs doivent s’interroger sur la qualification de ces accessoires truqués.

Il est nécessaire de rappeler, à ce titre, que le caractère fonctionnel d’un objet ne suffit pas à lui ôter toute qualité d’œuvre de l’esprit, sauf à ce que ce dernier soit purement technique, et sa forme dictée par sa fonction.

L’objet de magie bénéficiera d’une protection au titre du droit d’auteur s’il porte l’empreinte de la personnalité de son auteur, dont les choix arbitraires peuvent notamment porter sur l’aspect extérieur de l’accessoire et notamment son design, son ornementation, ou encore le matériau utilisé.

Dès lors que la plupart des magiciens portent une attention particulière à l’esthétique de l’objet de magie, qui fait partie intégrante du spectacle et participe à créer ces « grandes illusions », un certain nombre d’accessoires magiques est susceptible de porter la qualification d’objets d’art.

Ainsi, lorsque l’on admire le catalogue de la vente de la collection des magiciens Morax & Akyna, dispersée le 4 mars 2017 chez Ivoire Chartres, force est de constater que l’originalité est – dans tous les sens du terme – au rendez-vous. Notamment, le clou de la vente, un spectaculaire automate oriental baptisé Le Joueur d’échecs (estimé 10 000-15 000 euros), conçu par Sanas et Guy Bert en 1953 pour gagner « à tous les coups » au jeu d’échecs, qui constitue, à notre sens, une œuvre d’art au sens du droit d’auteur. 

A ces objets insolites s’ajoutent les traités d’illusionnisme, affiches des spectacles de magie et autres éventails publicitaires respectivement protégés par le droit d’auteur en tant qu’œuvres littéraires et plastiques, sous réserve de leur originalité de forme ou de fond.

Toutefois, il est plus difficile d’envisager que des objets de magie plus communs puissent revêtir une telle qualification, et l’on émettra plus de réserves sur la protection des multiples jeux de cartes truqués et les gobelets magiques, sauf à ce qu’ils fassent l’objet d’un traitement particulier par et pour le magicien qui les manipule.

L’on rappellera également que celui qui s’avise de se porter acquéreur d’un objet de magie pour en reproduire le tour associé devant un public ébahi et faire illusion de son originalité se devra de prendre garde aux droits de propriété intellectuelle rattachés au tour de magie, celui-ci ayant été reconnu à plusieurs reprises comme une œuvre de l’esprit dont l’originalité le protégeait contre toute appropriation non autorisée par son auteur ou ses ayants droit.

La mise aux enchères d’œuvres de magie

La protection par le droit d’auteur des plus originaux objets de magie a plusieurs conséquences pour les maisons d’édition.

En effet, la reproduction de ces « œuvres de magie » dans un livre doit alors faire l’objet d’une autorisation préalable de son auteur ou ses ayants droit, moyennant le versement d’une redevance par la maison de ventes. Toutefois, une exception légale prise au bénéfice des catalogues de vente judiciaire dispense les commissaires-priseurs judiciaires de respecter de telles obligations.

Par ailleurs, les professionnel, en particulier du marché  de l’art, se doivent de respecter le droit moral de l’auteur et sa personnalité telle qu’exprimée dans son œuvre de magie. On pourrait notamment considérer que la vente séparée, en plusieurs lots, de différents objets de magie formant un ensemble unique nécessaire à reproduire le tour de magie porte atteinte à l’esprit de l’œuvre.

Les éditeurs ne doivent donc pas se laisser hypnotiser par ces objets de magie et veiller à une application consciencieuse du droit d’auteur.

Objets dangereux, objets animés : la règlementation des ventes aux enchères des armes et des « êtres sensibles »

Outre les œuvres de l’esprit, les objets de magie auxquels les sociétés d’édition doivent porter une attention particulière renvoient à la catégorie des objets dangereux et des objets animés, qui font l’objet d’une règlementation et sont susceptibles de leur valoir de poursuites pour incitation ou apologie de délits et de crimes.

Car il n’est pas rare que des magiciens en quête de sensationnalisme fassent illusion du danger, de la mort et de la résurrection sur scène pour susciter de vives émotions chez le spectateur. 

L’on ne manquera pas de citer le tour historique du magicien américain au nom de scène Chung-Ling-Soo, intitulé L’Homme invulnérable, qui consistait à choisir un spectateur dans la salle qui lui tirait dessus sans jamais le tuer, grâce à un mécanisme spécial du pistolet… jusqu’à un jour de mars 1918, où il n’a pu défier la balle qui lui donna la mort.

C’est ainsi que pistolets, sabres et engins explosifs côtoient les foulards et les boîtes truquées dans les ventes aux enchères d’objets de magie.

Or, les ventes d’armes sont, en raison de leur dangerosité, soumises à certaines restrictions, voire tout bonnement interdites, notamment pour les armes de catégorie A.

Il est donc bien nécessaire que les éditeurs qui « font leurs armes » dans les livres de magie s’assurent de l’inoffensivité des trous présentés par leur magicien.

Autres « objets » insolites des spectacles de magie, les fameux lapins et colombes des magiciens qui apparaissent, disparaissent et se multiplient sur scène dans un élan magico-poétique.

Bien que dorénavant définis dans le Code civil comme étant des « êtres doués de sensibilités », les animaux sont soumis, au grand dam des associations de protection des animaux, au régime des biens meubles corporels et peuvent, en conséquence, être vendus aux enchères publiques.

A moins qu’il ne s’agisse de certaines espèces menacées, dont la mise en vente obéit à une règlementation stricte définie par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction du 3 mars 1973, dite CITES, le traitement de ces biens meubles vivants est simplement soumise à des normes sanitaires et de sécurité spécifiques est un sujet sensible, porteurs de plaintes en tout genre.

Ainsi, loin d’être de simples tours de passe-passe, les livres sur la magie recèlent de lots insolites ; qu’ils soient œuvres de l’esprit, objets dangereux ou animés, ils font l’objet d’une environnement juridique que tous les professionnels se doivent de respecter, pour que les objets et tours paraissent en toute légalité entre les mains des lecteurs…

18.05 2022

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