Droit

Le régime juridique des rééditions de textes anciens (1/3)

Le régime juridique des rééditions de textes anciens (1/3)

"L'examen de l'originalité doit être réalisé texte par texte et il appartient à l'éditeur de rapporter la preuve que les transcriptions des textes qu'il revendique sont différentes de celles existantes."

A priori, il apparaît antinomique de parler de « protection » de textes anciens, dès lors que la durée légale de protection des œuvres de l’esprit par le droit d’auteur est de 70 ans post-mortem auctoris et que celles-ci sont donc « tombées » dans le domaine public. En réalité, la propriété intellectuelle peut concerner, sous de multiples formes, les éditions modernes et contemporaines des textes anciens. Et d’autres techniques juridiques – de l’action en concurrence déloyale au droit des bases de données –  permettent bel et bien de protéger, avec certes moins d’efficacité que le droit d’auteur, certaines rééditions.
 
L’édition de textes classiques peut générer une nouvelle protection : transcription en français moderne, glossaire, notes, apparat critique, mise en page, maquette… sont autant de créations couvertes par le droit d’auteur. Rééditer, de nos jours, les Essais de Montaigne pour le grand public nécessite un important investissement.

Toutefois, seules les éditions « originales », au sens du droit d’auteur, peuvent bénéficier d’une protection par la propriété littéraire et artistique. Bien que la condition de l’originalité ne soit pas définie par le Code de la propriété intellectuelle, les juridictions l’assimilent à « l’empreinte de la personnalité de l’auteur ». 

Il s’agit donc de la marque de la sensibilité de l’auteur, de sa perception d’un sujet, des choix qu’il a effectués et qui ne lui étaient pas imposés par ledit sujet. C’est une sorte d’intervention de la subjectivité dans le traitement d'un thème. L’auteur a choisi de peindre le soleil en violet, d’écrire un chapitre sur deux en alexandrins, de transposer le petit chaperon rouge dans l’espace, etc. Tous ces partis-pris témoignent de l’originalité, au sens juridique du terme. 

L'originalité de l'œuvre

De même, une œuvre peut être originale tout en devant contribution à une autre œuvre. Il en est ainsi des traductions, adaptations, etc. À la différence de la nouveauté, notion objective qui s'apprécie chronologiquement – est nouvelle l'œuvre créée la première –, l'originalité est donc une notion purement subjective. Dès l'instant qu'une œuvre porte l'empreinte de la personnalité de son auteur, qu'elle fait appel à des choix personnels, elle est protégée par le droit d'auteur. 

A l’aune de cette acception juridique, la Cour d’appel de Paris a statué sur la protection d’éditions de textes du Moyen-Âge le 9 juin 2017, dans le cadre d’un litige entre deux éditeurs versés dans l’histoire littéraire et la réédition de textes anciens.

En l’occurrence, une maison d'édition, dont le catalogue est composé d'œuvres du Moyen-Âge et de la Renaissance, a intenté une action en contrefaçon après avoir découvert que 197 textes provenant de recueils, dont elle est l'éditeur, étaient repris sur un site internet. 

Or, les juges de première instance ont estimé que la société d’édition n'apportait pas la preuve que les textes litigieux, édités sans apparat critique, étaient encore protégés par le droit d'auteur ; étant précisé que la notion d’apparat critique renvoie à l’ensemble des notes fournies par l’auteur de l’édition pour justifier des choix opérés entre les versions des divers manuscrits et éditions anciennes, qu’il a comparées pour établir le texte de son édition.

La différence et son appréciation

L'éditeur a interjeté appel contre ce jugement, soutenant que les textes médiévaux en cause disposeraient d’un statut particulier : « ce sont des œuvres orales que les scribes ont coupées, modifiées, voire mal comprises ou développées car nombre de textes manuscrits ont été en partie perdus de sorte que l'œuvre transcrite va reposer sur des choix propres de l'éditeur reflétant sa personnalité quand bien même il effectuera aussi un travail scientifique pour retranscrire fidèlement les œuvres en cause ».`

Cependant, les magistrats d’appel ont coupé court à cette argumentation, soutenant que l'examen de l'originalité doit être réalisé texte par texte et qu'il appartient à l'éditeur de rapporter la preuve que les transcriptions des textes qu'il revendique sont différentes de celles existantes et porteraient l'empreinte de sa personnalité. 

Ils relèvent que la maison d’édition n'a réalisé aucun travail d'adaptation dans la langue française actuelle, son public étant celui d'érudits qui ne recherchent pas une traduction mais un texte intelligible pour eux grâce notamment aux commentaires, annotations, glossaire, critiques des éditions antérieures qui accompagnent le texte et que les spécialistes qualifient d'"apparat critique", « qui fait la richesse d'un recueil et qui n'est pas en cause pour apprécier l'originalité de l'œuvre ». 

De plus, la Cour d’appel retient que les analyses produites « émanent notamment d'auteurs qui sont liés contractuellement avec la société et présentent un caractère général sur le travail effectué par l'éditeur sans distinguer le texte et l'apparat critique » ; qu’en outre « ces comparaisons portent sur des éditions réalisées à des époques différentes, avec des connaissances ayant évolué, expliquant ainsi les divergences sans démontrer qu'elles sont le fruit de la créativité de leur auteur ».

En clair, il existe bel et bien un domaine public qu’il est difficile – et c’est souvent heureux – de privatiser, en tout cas par le biais de la propriété littéraire et artistique. 
 

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