Droit

Le régime juridique des rééditions de textes anciens (2/3)

Le régime juridique des rééditions de textes anciens (2/3)

Il n’est pas si rare que soient exhumés des manuscrits, même très anciens, jamais divulgués au public. L'œuvre posthume ne pourra, en principe, être divulguée au public par le propriétaire de son support que si son auteur avait manifesté, de son vivant, son intention de la diffuser.

(suite de la série Le régime juridique des rééditions de textes anciens)

Si la durée légale de protection des œuvres de l’esprit par le droit d’auteur est de 70 ans post-mortem auctoris, la propriété intellectuelle peut néanmoins concerner les rééditions modernes et contemporaines des textes anciens.
 
L’adaptation de textes anciens 
 
Les textes anciens peuvent être notamment protégés par le biais de leur adaptation.
L’article L.112-3 du Code de la propriété intellectuelle, consacré aux œuvres dites « dérivées », accorde une protection aux adaptations d’une œuvre préexistante, précisant que : « les auteurs de traductions, d'adaptations, transformations ou arrangements des œuvres de l'esprit jouissent de la protection instituée par le présent code sans préjudice des droits de l'auteur de l'œuvre originale. Il en est de même des auteurs d'anthologies ou de recueils d'œuvres ou de données diverses, tels que les bases de données, qui, par le choix ou la disposition des matières, constituent des créations intellectuelles. »

Sont donc dites « dérivées » les œuvres qui empruntent à une œuvre existante. Cet emprunt peut porter sur l’expression (c’est le cas, entre autres, des anthologies), sur la composition (les adaptations...), ou sur les deux à la fois (traductions...).

Dès lors que l’emprunt fait appel de façon substantielle à une œuvre préexistante, l’auteur et l’éditeur de l’œuvre dérivée se doivent d’en tenir compte juridiquement. Quelle que soit son importance, ils doivent bien souvent obtenir l’autorisation du titulaire des droits sur la première œuvre. Toutefois, lorsque l’œuvre première est tombée dans le domaine public, l’auteur de l’œuvre seconde est dispensé de demander l’autorisation du titulaire des droits. Malgré cela, l’auteur d’une œuvre dérivée devra veiller à respecter le droit moral de l’auteur de l’œuvre première. 

Copier, couper

Les œuvres dérivées sont protégeables en tant que telles : anthologies, adaptations, traductions, etc.. Devant la diversité des œuvres dérivées, il est parfois difficile de déterminer lesquelles sont véritablement protégeables par le droit d’auteur. Là encore – et la règle est valable pour tout ce qui concerne le droit d’auteur – c’est la condition d’originalité qui est déterminante. 
La jurisprudence a ainsi pu ajouter à l’énumération de l’article L. 112-3 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI), non exhaustive, des œuvres aussi diverses qu’une sélection de documents publicitaires, une mise à jour (notes ou feuillets ajoutés) ou une révision. Une adaptation d’une œuvre du domaine public peut donc être à son tour protégée. Des juges ont cependant estimé que la suppression des passages descriptifs d’un roman – considéré en tant qu’œuvre de départ – ne pouvait donner naissance à une œuvre dérivée originale.

Ainsi, l’adaptation d’une œuvre littéraire ancienne dans un autre médium artistique ou encore son intronisation dans une anthologie littéraire constituent des œuvres nouvelles protégeables par le droit d’auteur, sous réserve de leur originalité.

L’agencement en deux livres d’une traduction de saint Thomas n’a ainsi pu être reconnu comme original par les juges car il était imposé par la structure de l’œuvre de départ. En revanche, il ne fait ainsi guère de doute qu’une traduction est protégeable dès lors qu’elle ne consiste pas en une transcription brute – mot à mot – ni en un pur travail technique – tel qu’une machine pourrait le réaliser.

Il est parfois bon – en tout cas utile – de rappeler que les traducteurs bénéficient, aux termes du Code de la propriété intellectuelle et d’une jurisprudence désormais constante, d’un statut juridique très précis. L’éditeur qui, par méconnaissance ou négligence, choisit d’ignorer cet état de droit s’expose à de sérieux et coûteux déboires.

L’article L. 112-3 du CPI dispose expressément que « les auteurs de traductions (…), des œuvres de l’esprit jouissent de la protection instituée par le présent code sans préjudice des droits de l’auteur de l’œuvre originale ». Par conséquent, l’ensemble des œuvres classiques traduites ou « modernisées » sont protégées par le droit d’auteur du simple fait de leur traduction, et alors même que l’œuvre originaire daterait de l’Antiquité ou du Moyen-Âge. 

Le traducteur se doit toutefois, en théorie, de respecter le droit moral de l’auteur de l’œuvre originaire, droit imprescriptible. C’est ainsi qu’il a déjà été jugé que la publication d’une mauvaise traduction viole le droit moral et peut à ce titre être sanctionnée. S’agissant de textes anciens, le respect du droit moral de l’auteur originaire est un principe illusoire et impraticable ; on imagine difficilement le prétendu descendant de François Rabelais s’ériger en défendeur du droit moral de son aïeul face à une traduction libre de Pantagruel. Au mieux, les spécialistes de l’auteur décrieront une traduction infidèle, et le marché en fera son affaire.
 
La divulgation de textes anciens inédits 
 
Il n’est pas si rare que soient exhumés des manuscrits, même très anciens, jamais divulgués au public. La révélation, début août 2021 (à laquelle je suis lié comme avocat de Jean-Pierre Thibaudat qui les détenait depuis des années), de l'existence des milliers de pages manuscrites de Céline atteste de ces trésors qui peuvent à la fois constituer de nouveaux volumes parfois imposants et obliger à la réédition modifiée des œuvres déjà publiées mais qu'une version inédite ou très annotée doit remplacer.

L'œuvre posthume ne pourra, en principe, être divulguée au public par le propriétaire de son support que si son auteur avait manifesté, de son vivant, son intention de la diffuser.  En effet, si on présume d’ordinaire que l’auteur souhaitait voir son œuvre acquérir le plus grand rayonnement possible et qu’il désirait notamment que soit divulguée son œuvre posthume, celui-ci pourrait tout à fait avoir exprimé sa volonté de garder l’œuvre confidentielle.

Si quelqu’un s’oppose à la divulgation, il devra alors renverser la présomption et démontrer la volonté de l’auteur de ne pas être divulgué. À l’inverse, l’abus de divulgation devra être prouvé par le demandeur en justice. Il lui faudra démontrer que l’auteur n’entendait pas voir publiée telle œuvre restée inédite au jour de son décès. 

L’exemple classique reste celui de l’interdiction formulée par un auteur d’une divulgation de son œuvre érotique, interdiction qui s’impose à tous. Les raisons de pure morale (au sens commun du terme) sont en revanche à écarter. Un autre type d’abus possible réside dans l’irrespect manifesté à l’égard d’une œuvre. C’est le cas d’une édition bâclée (par exemple, une impression sur du mauvais papier, des ventes forcées par correspondance, un éditeur douteux quant au reste de ses publications). 

Cette volonté peut s’exprimer dans un contrat de publication signé de son vivant, dans un testament ou encore dans tout autre écrit délimitant le sort souhaité pour son œuvre. Bien entendu, lorsqu’il s’agit d’un écrit particulièrement ancien, il peut paraître difficilement concevable de retrouver de telles traces de l’intention de l’auteur telle qu’exprimée de son vivant. Il apparait dès lors nécessaire de se tourner vers les ayants droit de l’auteur, si ceux-ci sont identifiables.

Et, alors qu’un des principes fondateurs de la propriété intellectuelle est celui de la distinction entre la propriété corporelle et la propriété intellectuelle des œuvres, le législateur a prévu un régime d’exception pour les œuvres posthumes divulguées après la période de 70 ans post-mortem auctoris.

En effet, l’article L. 123-4 du Code de la propriété intellectuelle investit le propriétaire du support de l’écrit inédit d’un droit patrimonial spécifique, limité à une durée réduite de 25 ans. Celui-ci pourra dès lors publier l’écrit inédit et bénéficier des redevances afférentes à son exploitation.
 
 
 

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