Droit

Le régime juridique des rééditions de textes anciens (3/3)

Le régime juridique des rééditions de textes anciens (3/3)

Le propriétaire du support de l’œuvre posthume peut, à certaines conditions, la faire publier et bénéficier des redevances afférentes à son exploitation. Mais, la théorie de l’abus de droit vient sanctionner ceux qui attendent.

(suite de la série Le régime juridique des rééditions de textes anciens)
 
Pour terminer ce panorama sur le régime juridique des rééditions de textes anciens, évoquons la théorie de l’abus de droit, qui sanctionne les propriétaires d’œuvres inédites de mauvaise foi, ainsi que l’épineuse question des compilations de textes anciens. L’œuvre posthume ne peut être divulguée au public par le propriétaire de son support, que si son auteur avant manifesté, de son vivant son intention de la diffuser. Le propriétaire du support de l’œuvre posthume peut, à certaines conditions, la faire publier et bénéficier des redevances afférentes à son exploitation. Mais, la théorie de l’abus de droit vient sanctionner ceux qui attendent.

Toutefois, la théorie de l’abus de droit sanctionne ceux qui attendront l’expiration de la période légale de protection pour divulguer leurs trésors et bénéficier de quelque vingt-cinq ans de redevances. De plus, en 1990, la Cour d’appel de Paris a estimé que celui qui procède à la publication d’un inédit ne peut exiger la mention de son nom sur chaque reproduction de cet inédit.

La séparation pour éviter les amalgames

Il est toutefois nécessaire de prouver que l’écrit inédit exhumé constitue le support original de l’œuvre, et que la propriété du support ne soit pas contestée ou contestable. Les interrogations se font par ailleurs nombreuses face à la multiplication des différents états (ébauches, brouillons, etc.) d’un même texte, voire de ses copies manuscrites successives ; sans compter que, dans l’avenir, le cas des écrivains qui ne passent pas par une étape manuscrite entraînera de nouveaux conflits. Un arrêt de la Cour de cassation de 1993, rendu à propos d’un inédit de Jules Verne, a tranché en faveur du propriétaire du manuscrit original et non de celui de la copie.

L’article L. 123-4 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) précise que « Les œuvres posthumes doivent faire l’objet d’une publication séparée, sauf dans le cas où elles ne constituent qu’un fragment d’une œuvre précédemment publiée. Elles ne peuvent être jointes à des œuvres du même auteur précédemment publiées que si les ayants droit de l’auteur jouissent encore sur celles-ci du droit d’exploitation. » Une telle prohibition trouve son origine dans la peur de voir certains collectionneurs de manuscrits procéder à un amalgame trompeur entre les deux parties et s’arroger des droits sur des œuvres déjà tombées dans le domaine public.

La pratique invite les éditeurs prudents qui souhaitent réunir les inédits à obtenir l’accord aussi bien du propriétaire du manuscrit que des ayants droit de l’auteur. Car, en tout état de cause, ceux-ci conservent un droit moral sur l’ensemble de l’œuvre, droit qui ne connaît pas le domaine public puisqu’il est transmissible perpétuellement. Enfin, c’est ce même droit de divulgation qui empêche également la simple citation, sans autorisation expresse, de textes inédits.
 
Les compilations de textes anciens : une base de données protégeable ?
 
La loi du 1er juillet 1998, insérée au Code de la propriété intellectuelle dans un chapitre ad hoc, a instauré un mécanisme de protection renforcée en faveur des producteurs de bases de données. La loi française définit désormais la base de données comme un « recueil d’œuvres, de données ou d’autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique, et individuellement accessibles par des moyens électroniques ou par tout autre moyen ».

La grande innovation de la loi de 1998 consiste en l’instauration d’un droit juridiquement distinct de la concurrence déloyale et des agissements parasitaires, destiné à protéger le producteur de la base contre l’appropriation par un tiers des résultats obtenus de l’investissement déployé pour collecter et rassembler le contenu de la base et éviter un usage abusif par un concurrent ou un utilisateur.

Les dispositions de l’article L. 342-1 du CPI instaurent donc un droit permettant d’interdire l’extraction « par transfert permanent ou temporaire de la totalité ou d’une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu d’une base de données sur un autre support, par tout moyen et sous toute forme que ce soit ». L’article L. 342-1 prévoit également la faculté d’interdire « la réutilisation, par la mise à disposition du public de la totalité ou d’une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu de la base, quelle qu’en soit la forme ».
Le titulaire des droits est le « producteur » de la base, c’est-à-dire celui qui prend l’initiative et assume le risque d’effectuer l’investissement financier, matériel ou humain substantiel nécessaire à la constitution, à la vérification ou à la présentation du contenu d’une base de données (article L. 341-1 du CPI). C’est donc « l’investissement substantiel » qui constitue le critère de protection, par opposition aux critères classiques du droit de la propriété littéraire et artistique qui excluent toute référence à l’importance du travail ou de l’effort et s’attache au contraire à la créativité.

Ce droit dure quinze ans à compter du 1er janvier de l’année qui suit la date d’achèvement de la base de données. La référence dans l’alinéa premier du nouvel article L. 342-5 du Code de la propriété intellectuelle, à « l’achèvement » de la base comme point de départ des droits, ne manquera pas également d’entraîner quelques approximations et discussions sur les moyens de prouver une telle date.

Cependant, le législateur a prévu que « lorsqu’une base de données a fait l’objet d’une mise à la disposition du public avant l’expiration de la période prévue à l’alinéa précédent, les droits expirent quinze ans après le 1er janvier de l’année civile suivant celle de cette première mise à disposition ».

Par surcroît, en présence d’un « nouvel investissement substantiel », la protection expirera quinze ans après le 1er janvier de l’année civile suivant celle de ce nouvel investissement.

Durée élastique

La notion d’investissement substantiel – et le flou qui la caractérise – ne manque pas là encore de susciter d’âpres discussions jurisprudentielles, dont l’enjeu est le prolongement d’une première durée de protection relativement brève. Il pourrait être considéré, à l’aune de la définition légale d’une base de données, que la compilation de textes anciens sur une base de données accessible puisse être considérée comme une œuvre à part entière bénéficiant d’une protection par le droit d’auteur.

La bibliothèque numérique Gallica de la Bibliothèque Nationale de France, regroupant plus de six millions de documents et notamment des livres et manuscrits anciens, devrait, par conséquent, être protégée au titre du droit sui generis des bases de données.

Encore une fois, si ce n’est pas le texte ancien en tant que tel qui bénéficie d’une protection par le droit d’auteur, c’est le contenu de la base de données, et donc une sélection particulière, une mise en forme ou un formulaire d’extraction originaux qui seront protégés par le droit sui generis.

L’ancienneté d’un texte n’est pas un critère suffisant pour lui refuser toute protection. Une réédition originale ou une traduction en français moderne sont autant d’éléments conférant à l’œuvre classique une « nouvelle » originalité. 

Également, le droit moral de l’auteur, imprescriptible, peut protéger un manuscrit confidentiel de toute publication par son propriétaire. On l’aura compris : il paraît plus prudent, pour toute exploitation d’un manuscrit, même ancien, de vérifier au préalable si l’œuvre est véritablement disponible ou si elle bénéficie d’un nouveau (ou perpétuel) souffle protecteur.
 
 

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