Droit

L’écrivain en justicier à ses risques et grands périls

Jean-Marie Rouart - Photo © F. Mantovani/Gallimard

L’écrivain en justicier à ses risques et grands périls

Les rapports entre écrivains et justice ressemblent de plus en plus à une mise en abîme. La littérature ne peut déjà presque plus s’inspirer des faits divers, sous peine d’être elle-même poursuivie. Il suffit de se rappeler de l'affaire Omar Raddad qui avait entraîné Jean-Marie Rouart dans une procédure judiciaire coûteuse.

L’académicien Jean-Marie Rouart vient de livrer Mes Révoltes (Gallimard), labellisé par ironie comme un « roman », alors qu’il s’agit en quelque sorte de mémoires.

Il y raconte pourquoi il a « éprouvé le besoin de remettre si souvent en cause (la) reconnaissance sociale, jusqu'à s'exposer au tumulte des contestations et des condamnations judiciaires ? »

Et de revenir longuement sur « l’affaire », celle d’Omar Raddad.

Les écrivains ont en effet toujours été tentés de prendre position dans les grandes affaires judiciaires. Mais la lourdeur des sanctions infligées à Jean-Marie Rouart rappelle que les tribunaux, même depuis J’accuse, n’apprécient pas que les gens de lettres se muent en justiciers.

Il y a déjà vingt ans, le 19 février 2002 précisément, Jean-Marie Rouart a été très sévèrement condamné par la fameuse 17e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris. La cour d’appel a ensuite confirmé ce jugement par un arrêt rendu le 10 octobre 2002.

Le romancier et ancien directeur du Figaro littéraire était poursuivi pour diffamation par la famille de Ghislaine Marchal, assassinée en 1991 à Mougins. C’est sur les lieux du crime qu’avait été trouvée la désormais célèbre inscription: « Omar m’a tuer ».

Pour mémoire, Omar Raddad a été condamné en 1994 à dix-huit ans de réclusion criminelle. Mais le 25 juin 2001, sur la base d’expertises d’ADN, la commission de révision des condamnations pénales a décidé de saisir la Chambre criminelle de la Cour de cassation.

Complot et combat

Dès le lendemain, Jean-Marie Rouart publiait dans Le Figaro un éditorial titré : « Omar, l’espoir enfin ». L’écrivain s’était déjà lancé avec fougue dans la défense du « jardinier marocain ». Peu avant cet éditorial, il avait rédigé une nouvelle préface de son livre intitulé Omar, la construction d’un coupable.

Dans ces deux écrits, Jean-Marie Rouart évoquait un « complot » fomenté à l’encontre d’Omar Raddad.

Devant le tribunal, Jean-Marie Rouart a reconnu qu’il « avait exprimé son opinion avec force, dans un esprit de combat ».

Plusieurs personnalités du monde des lettres et de l’édition – dont Jean d’Ormesson, Philippe Tesson, Bernard de Fallois et Thierry Pfister – sont venues témoigner de sa bonne foi. La croisade de l’académicien en faveur d’Omar Raddad ne pouvait être guidée par aucun intérêt personnel. Dans la préface de son livre, il admet d’ailleurs que « c’est un ouvrage écrit dans la hâte et dans la passion. L’indignation me brûlait ».

Le tribunal a précisé que « M. Jean-Marie Rouart, convaincu de l’innocence d’un homme condamné pour un homicide volontaire, avait tout à fait la possibilité de faire connaître cette opinion et les éléments la fondant ». Les juges relèvent qu’« il n’est pas établi par ailleurs qu’il ait été guidé par une animosité personnelle à l’égard des parties civiles ».

Mais ils ont écarté le « ton de polémiste » et lui ont reproché de « graves lacunes » dans le sérieux de l’enquête qu’il aurait dû mener.

Le tribunal l’a condamné à une amende de 9 000 euros. Nonobstant le fait que certains membres de la famille de Ghislaine Marchal avaient eux aussi « cherché à exprimer publiquement, au moyen de la publication d’un ouvrage, les convictions qui étaient les leurs », le tribunal a en outre accordé un total de 34 500 euros de dommages-intérêts, auxquels s’ajoutaient 6 000 euros de frais d’avocat. Enfin, Jean-Marie Rouart a dû débourser 13 500 euros au titre des publications judiciaires. La cour d’appel a néanmoins légèrement réduit le montant des dommages-intérêts les faisant passer de 34 500 euros à la somme de 20 000 euros.

Une note à 63 000 euros

Contrairement aux pratiques habituelles en matière d’action en diffamation, ni l’éditeur du livre, ni le directeur de la publication du journal n’étaient poursuivis. C’est donc en qualité de seul prévenu que Jean-Marie Rouart a été condamné à une addition qui, dépens compris, se monte à plus de 63 000 euros.

Les rapports entre écrivains et justice ressemblent de plus en plus à une mise en abîme. La littérature ne peut déjà presque plus s’inspirer des faits divers, sous peine d’être elle-même poursuivie.

La pétition est à nouveau dans l’air du temps, en particulier à Saint-Germain-des-Prés. Les causes à défendre sont multiples et l’envoi de mails  facilite désormais le travail du militant. Les risques juridiques, même théoriques, existent pourtant.

Las, comme on l’aura compris, les fulgurances d’écrivains se lançant dans les tribunes et pétitions sont par essence « problématiques » et, par voie de conséquence, risqués en pur droit.

Le risque essentiel est bien évidemment lié aux délits de diffamation et/ou d’injure, recensés dans la loi du 29 juillet 1881 et qui peuvent concerner tout texte enflammé. Le directeur de la publication ou l’éditeur sera certes la cible principale, mais tous les signataires d’une pétition peuvent, en théorie, être poursuivis comme complices de cette « infraction de presse ».

Le risque de la pétition

Rappelons encore que les règles d’actions en justice sur ces fondements ne répondent pas aux simples critères d’absence de véracité ; et qu’une pétition stigmatisant des comportements avérés mais prescrits, amnistiés ou encore portant sur la vie privée peuvent être répréhensibles.

Les délits de provocation ou d’apologie sont pour la plupart également visés dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Ils sont pénalement réprimés, de façon générale, à la condition d’avoir été suivis d'effet. En clair, il est nécessaire que l’écrit litigieux ait entraîné la commission d’actes prohibés.

Mais d’autres provocations spécifiques, comme celles relatives au vol, au meurtre, au pillage, à l’incendie, aux crimes et délits contre la sûreté de l’État, sont punies que leurs auteurs aient atteint ou non leur but. Il en est de même de l’apologie des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ou crimes et délits de collaboration avec l’ennemi.

Ainsi, la pétition, assez fantasque, ayant prôné une exception fiscale en faveur de Françoise Sagan, n’aurait pas pu tomber sous le coup du délit d’ « incitation au refus du paiement collectif de l’impôt », car elle se limitait à demander la clémence de l’administration pour une seule lettrée...

Fini le temps où l’on admettait avoir avorté illicitement, porté des valises contrariant le régime, avorté clandestinement ou fumé des herbes clandestines, voire sniffé ou avalé des formes modernes et chimiques de la muse. Désormais, les écrivains et éditeurs pétitionnaires prennent le soin d’indiquer qu’ils « ont ou auraient pu » caché un écrivain en fuite ou commis tel ou tel acte illicite.

Car, un gouvernement tatillon – et la Vème République n’en a pas manqués – pourrait s’emparer d’un tel aveu pour intenter des poursuites contre les signataires, au titre des délits et crimes qu’ils auraient, presque innocemment, revendiqués…

Quant aux appels au boycott, ils n’ont jamais été en tant que tels, en droit français, des textes susceptibles d’être attaqués. Les entreprises visées choisissaient alors d’agir sur le terrain du droit des marques. Las, les jurisprudences Danone et Total, rendues en 2003 par la Cour d’appel de Paris, ont légitimé l’utilisation de ces signes distinctifs en théorie protégés par le droit de la propriété intellectuelle, lorsque le mouvement citoyen l’emportait sur une quelconque volonté de concurrence.

Les gens de lettres peuvent donc pétitionner par mail (sic) sans trop de risques… sous réserve de connaître les limites de l’exercice.

Voilà pour la mise en garde judiciaro-littéraire.

Rappelons quand même que Jean-Marie Rouart, infatigable combattant, est retourné au palais de justice à l’automne 2021 pour soutenir une nouvelle demande en révision du procès d’Omar Raddad. Et, le 16 décembre dernier, la justice à réouvert l’enquête, donnant réellement espoir au « jardinier » devenu prisonnier durant de très longues années, à ses conseils et à ses soutiens au premier rang desquels notre mémorialiste.

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