Droit

Les éditeurs et la censure, In Memoriam Pierre Belfond II/III

Pierre Belfond devant sa bibliothèque. - Photo Olivier Dion

Les éditeurs et la censure, In Memoriam Pierre Belfond II/III

Première partie  

Dans Scènes de la vie d’un éditeur, Pierre Belfond affirme qu’ « un éditeur qui n’a jamais été inculpé, c’est un militaire de carrière qui n’a jamais été blessé. Sous De Gaulle – le de gaulle d’avant mai 68-, l’atteinte aux bonnes mœurs « par la voie du livre et de la presse » constituait l’un des délits majeurs. Quatre éditeurs, pionniers dans le domaine de la « libération textuelle » - Losfeld, Pauvert, Tchou, Régine Deforges – ont, plus souvent qu’à leur gré, fréquenté policiers et juges ».  

Ajoutons à ce quatuor, dans des registres divers allant de l’érotisme à la politique, les noms de Jérôme Lindon (Minuit), de François Maspero, de Maurice Girodias (Olympia Press), de Jérôme Martineau ou encore de Roland Laudenbach (La Table ronde). 

Pierre Belfond raconte aussi longuement ses conversations avec Claude Tchou, qui lui déconseillait de réutiliser, pour un livre de Salvador Dali, le texte de l’Anti-Justine de Restif de La Bretonne à propos duquel il lui dit « Malheureux (…), oubliez ce « monument de la pornographie » (…). En comparaison, la Justinede Sade ne déparerait pas la Bibliothèque rose. Ce roman – et treize autres, relativement plus anodins, encore que Le Portier des Chartreux… - a failli m’envoyer à Fresnes. Il est vrai que c’était en 1966 et que, depuis, on a débarqué sur la Lune ».

Claude Tchou, d'origine sino-belge, est né à 1923 à Bruxelles. D’abord journaliste, puis patron d’une agence de presse dans l’immédiat après-guerre, il fonde en 1949, avec André Guérin, le Club du Livre du Mois (où travaillera un temps Jacques Sternberg), qui sera le premier réseau de vente de ce genre en France, inspiré des books clubs américain, et qui consiste à proposer à des abonnées une sélection mensuelle de livres – de préférence des succès de librairie.

C’est en 1958 toujours, Tchou édite L’Anti-Justine, de Restif de la Bretonne (contemporain et contempteur de Sade, qui a voulu lui opposer une contre-œuvre, érotique elle aussi). Bien entendu (on commence connaître tout ça par cœur), le livre est interdit. Tchou risque dans cette affaire plus gros que ses confrères, puis ce sont six mois fermes qui sont requis contre lui, dont il se débarrassera heureusement en appel.

La même année (et sans doute échaudé), il crée Le Cercle du Livre Précieux, maison d’édition fonctionnant uniquement par souscription et, selon Pauvert, « pas à proprement parler une maison d’édition », mais « une entreprise commerciale fondée sur des principes très traditionnels : faire de bonnes réimpressions de grands classiques de l’érotisme, à tirage limité, sur beau papier, bien relié. » On appréciera la nuance ! Souscription ou pas, Le Cercle du Livre Précieux subit en tout cas autant que Pauvert, Losfeld et autres la persécution de la justice, et malgré les précautions oratoires dont se pare le catalogue :

« Nous n’avons pas l’intention de participer au commerce de la "littérature sous le manteau" dont la grossièreté n’égale que la mauvaise présentation et les mauvaises qualités de style. Nous n’avons choisi que les chefs d’œuvres qu’un homme cultivé se doit de ne pas ignorer. Un programme galant, certes, où le libertinage est poussé quelquefois jusqu’à la licence, mais qui sait toujours conserver ses qualités de bon goût, de préciosité raffinée et de parfaite élégance. »

En 1962 toujours, Claude Tchou crée les éditions qui portent son nom, et qui seront surtout connues pour la collection des Guides Noirs, publications folkloriques qui sortent des cadres abordés par ce livre. Il réédite en 1968 Histoire d’O, avec une interdiction à la clé. En 1970, il se fait racheter par l’Express, s’associe à une autre maison en 1979, qui existe encore aujourd’hui, et est née sous le nom de Sand & Tchou.

Poussant la logique de l’interdit jusqu’à l’absurde, il avait proposé à ses clients des années 1960 un panachage de ses meilleurs curiosa dans une cage métallique que le lecteur peut fermer et mettre à l’abri des regards immatures à l’aide d’un petit cadenas…

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