Droit

Les lanceurs d'alerte bientôt protégés en Europe (1/3)

Les lanceurs d'alerte bientôt protégés en Europe (1/3)

Le droit ne protège pas assez les lanceurs d'alerte, malgré sa longue histoire remontant au 19e siècle. Depuis quelques années, il évolue très vite, notamment en Europe.

Le statut juridique des lanceurs d’alerte va connaître d’importantes modifications en 2021, en vertu d’une directive européenne.
         
Car, à l’heure, ces citoyens avancent en terrain miné. Ils sont pas journalistes et ne peuvent invoquer le secret des sources. Pire encore, ils sont souvent liés à ceux qu’ils dénoncent par un secret professionnel ou un devoir de réserve.

Le cas Servier

Et les éditeurs qui prolongent en libraire leurs cris d’alarme prennent souvent de grands risques, principalement sur le terrain de la diffamation et du dénigrement. Mediator 150 mg, Combien de morts ?, d'Irène Frachon, a ainsi fait l’objet d’un procès en référé dès sa sortie en 2010. Le tribunal de Brest a alors estimé le sous-titre « accusatoire, grave, inexact et dénigrant ». Et ce n’est qu’en janvier 2011 que la Cour d’appel de Rennes a débouté les laboratoires Servier, après que, le 24 octobre 2010, la Cour d’appel de Paris a estimé que l’interdiction de divulguer de pièces du dossier Servier, en application de l’article 38 de la loi du 29 juillet 1881, constituait « une ingérence disproportionnée, dans l’exercice du droit à la liberté d’expression, et ne répondait pas à un besoin impérieux de protection de la réputation et des droits d’autrui ou de garantie de l’autorité ou de l’impartialité du pouvoir judiciaire et doit, dès lors, au cas d’espèce être déclarée non conforme à l’article 10 de la Convention  européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». 
         
Au final, les magistrats de Rennes ont décidé qu’« informer le public sur un sujet tel que l’affaire du Mediator, qui a trait à un problème de santé publique général (…) présente sans conteste un intérêt majeur ». 

Cette décision de justice ne doit pas faire illusion. Les protagonistes de scandales affairistes disposent d’une très grande palette de moyens juridiques pour empêcher aussi bien les simples comptes-rendus de leurs péripéties que les révélations.

Un état des lieux s’impose avant d’évoquer plus avant la nouvelle directive qui doit être transposée par tous les États membres de l’Union européenne avant le 17 décembre 2021.
 
Des États-Unis à la Cour Européenne des Droits de l’Homme
 
Les États-Unis se sont emparés dès le XIXème siècle  de la protection du whistleblower grâce au False Claims Act, qui, en 1863, a pour but d’inciter les personnes à dénoncer les actes frauduleux portant atteinte au Gouvernement fédéral, ainsi qu’à agir en contrepartie d’une partie des dommages et intérêts. Le but était alors de combattre la corruption en pleine Guerre de Sécession. 

Le même pays a donné naissance à de nombreux régimes juridiques spécifiques mais qui sont restés cantonnés à certains milieux : la loi Sarbanes-Oxley de 2002 a ainsi imposé aux sociétés cotées en bourse et à leurs filiales des systèmes internes d’alerte. 

Une dizaine de lois fédérales protectrices des whistleblowers cohabitent. A quoi il faut ajouter les textes spécifiques émanant de la plupart des États ainsi que de certaines grandes villes ont adopté leurs propres législations concernant les whistleblowers. Relevons surtout que, dans le système américain, les whistleblowers perçoivent bien souvent une rémunération. 

Au Royaume-Uni, en dépit de l’absence d’obligation de mettre en place un système de signalement, de nombreuses organisations s’y sont attelées. Et l’ « alerte » est définie par le Public Interest Disclosure Act de 1998 ayant modifié l’Employment Rights Act » de 1996, avant d’être amendé par l’Enterprise and Regulatory Reform Act de 2013. En vertu de ce statut, le lanceur d’alerte ne peut être est un « travailleur » (Worker) au sens large, allant du stagiaire à l’intérimaire. 

Le Canada, l’Afrique du Sud ou encore la Nouvelle–Zélande disposent de mécanismes juridiques assez épars.

Le premier texte international sur le lanceur d’alerte est sans doute la Convention n° 158 de 1982 de l’Organisation internationale du travail protégeant d’un licenciement ceux qui ont dénoncé ou témoigné contre leur employeur en raison d’actes frauduleux commis par celui-ci.

Et l’OCDE, dans le cadre de la lutte contre la corruption, a émis, au fil des années 1990, plusieurs recommandations afin de favoriser les pratiques de signalement dans la fonction publique. 

Au niveau européen, la protection des salariés auteurs de plaintes ou d’action en justice contre leurs employeurs est évoquée au sein de la directive du 9 février 1976 sur l’égalité hommes/femmes. La Cour Européenne des Droits de l’Homme le cadre de l’Union européenne - s’est penchée sur leur sort dans une série d’arrêts datant de 2008, 2009 , 2011 et 2013. A ses yeux, le lanceur d’alerte doit d’abord agir en interne ; et ce n’est que lorsque cette action se révèle être vaine que la voie externe peut être envisagée, en raison « des devoirs de discrétion, de loyauté et de réserve » incombant aux salariés. 
 
Du monde de la finance à la santé et à l’environnement
 
Au début du XXIème siècle, le droit de ceux qui, à la suite de la terminologie imaginée par les sociologues Francis Chateauraynaud et Didier Torn (puis reprise par le scientifique André Cicolella) ont été baptisés « lanceurs d’’alerte » s’est principalement intéressé au le monde de la finance.

En France, l’alerte est apparue dans la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique dite « Sapin II ». Elle définit dans son article 6 le lanceur d’alerte : « une personne physique qui révèle ou signale de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance ». Ce texte oblige les sociétés de plus de cinquante salariés à mettre en place un système sécurisé pour recueillir les alertes de ses employés, passant par l’irresponsabilité pénale et une garantie de confidentialité de l’identité du lanceur d’alerte. 

Quant à l’article 40-2 du Code de procédure pénale, il prévoit que « Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ».
Cet article ne permet l’alerte qu’aux autorités et agents publics et non aux particuliers. 

Le droit à l’alerte s’est invité tout d’abord dans le droit du travail. Les articles L1152-2 et L1132-1 du Code du travail sont une transposition des directives européennes qui protègent les salariés en cas de dénonciation contre leur employeur pour harcèlement moral ou discrimination. Toutefois, ce régime couvre la dénonciation d’actes illicites et non de risques liés à des signes précurseurs. 

Un droit français dense et épars

L’article L 561-1 du Code monétaire et financier dispose que « les personnes qui dans l’exercice de leur profession réalisent, contrôlent ou conseillent des opérations entraînant des mouvements de capitaux, sont tenues de déclarer au procureur de la République les opérations dont elles ont connaissance et qui portent sur des sommes qu’elles savent provenir d’infractions ». 
Les individus ne peuvent plus être sanctionnés pour violation du secret professionnel ou dénonciation calomnieuse.

Cependant, ce n’est qu’à partir de 2007 qu’ont été conçus des normes visant à inciter les membres de la société civile à prévenir des infractions ou risques à partir de constatations personnelles. 
Une première la loi remonte au13 novembre 2007 et est devenue l’article L1161-1 au Code du travail qui prévoit un régime de protection pour les salariés alertant de faits de de corruption. 

La loi Bertrand du 29 décembre 2011, votée en pleine tourmente du scandale du Médiator, concerne les mesures discriminatoires menaçant ceux qui ont informé des risques émanant de produits de santé. 
Une loi du 11 octobre 2013 qui prévoit un droit d’alerte pour éradiquer les conflits d’intérêts parmi les responsables publics ou politiques. Une autre du 6 décembre de la même année portes sur la lutte contre la fraude fiscale. 

Depuis le 24 juillet 2015, une loi encadre la dénonciation d’abus dans les services de renseignement.  La loi du 16 avril 2016 protège les personnes physiques ou morales alertant sur des risques graves pour la santé publique ou l’environnement. 
On l’aura compris : le droit français est aussi dense qu’épars. 

Et nos voisins de l’Union européenne présentent des situations tout aussi bigarrées. Ainsi, en Espagne, une trentaine de sociétés ont, de leur propre initiative, mis en place des systèmes d’alerte qui ne sont guère envisagés par la loi. Idem en Allemagne, où la vogue anglo-saxonne du « Compliance Management Program » est de plus en plus répandue
 
(à suivre)
 
 

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