Droit

Les lanceurs d'alerte bientôt protégés en Europe (2/3)

Les lanceurs d'alerte bientôt protégés en Europe (2/3)

Le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont initié un projet de directive, formellement adopté, le 7 octobre 2019. Cette directive couvre un champ d’application assez large. Elle concerne notamment les lanceurs d’alerte en matière de santé publique, de protection de l’environnement, de protection de la vie privée et des données à caractère personnel.

(suite de la première partie)

La protection des lanceurs d’alerte est très inégale au sein de l’Union européenne. 
         
C’est de constat, et dans le but de faire progresser l’état du droit et mettre en place des normes minimales communes, que le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont initié un projet de directive, formellement adopté, le 7 octobre 2019.

Et c’est ce texte qui doit être transposé par les États membres avant le 18 décembre 2021. L’objectif de la Directive est de « renforcer l’application du droit et des politiques de l’Union dans des domaines spécifiques en établissant des normes minimales communes assurant un niveau élevé de protection des personnes signalant des infractions ».

Cette directive couvre un champ d’application assez large. Elle concerne notamment les lanceurs d’alerte en matière de santé publique, de protection de l’environnement, de protection de la vie privée et des données à caractère personnel mai s’abstient de toute protection particulière en faveur de ceux dénonçant des agissements en lien avec le droit du travail.

La directive prévoit l’élargissement du champ d’application matériel,l’élargissement du champ d’application personnel, la création des canaux de communication (interne, externe et public) ainsi qu’un devoir de confidentialité quant à l’identité de l’auteur de signalement, et, enfin, des mesures de soutien et de protection.

Crainte de représailles

Son article 25 dispose que « les États membres peuvent adopter ou maintenir des dispositions plus favorables aux droits des auteurs de signalement que celles prévues par la présente directive ». Et le Parlement européen comme le Conseil de l’Union européenne ont estimé qu’« en signalant des violations du droit de l'Union qui portent atteinte à l'intérêt public, ces personnes agissent en tant que "lanceurs d'alerte" et jouent ainsi un rôle clé dans la révélation et la prévention de ces violations et dans la préservation du bien-être de la société. Cependant, les lanceurs d'alerte potentiels sont souvent dissuadés de signaler leurs inquiétudes ou leurs soupçons par crainte de représailles ».

La directive contraint les États membres de l’Union européenne de prendre des procédures et obligations en matière de signalement et de mettre fin aux représailles contre les lanceurs d’alerte. Son objectif est souligné dès l’article premier de la directive :  « renforcer l'application du droit et des politiques de l'Union dans des domaines spécifiques en établissant des normes minimales communes assurant un niveau élevé de protection des personnes signalant des violations du droit de l'Union ».

Le texte prévoit une procédure de signalement en deux paliers  avec une voie interne ou externe (par les autorités compétentes) ou une divulgation publique élargissant la possibilité de divulgation publique au-delà de la procédure d’urgence.

Cette latitude autorise ainsi une clarification et un amendement du dispositif français – et de la lois Sapin II.

L'impossibilité de refaire les "Panama Papers"

Précisons que « le champ personnel » est doublement limité à la personne physique et au « contexte professionnel ». Rappelons aussi qu’une directive européenne du 8 juin 2016 a instauré un secret des affaires assez liberticide. Elle nous vaut aujourd’hui le retour de cette énième forme de censure. En vertu de la directive, toutes les informations relatives au blanchiment, à la corruption ou encore au négoce de médicaments toxiques sont visées. 
         
Il existe dans cette directive des dérogations, mais très ténues. Un lanceur d’alerte doit ainsi démontrer qu’il a révélé une véritable faute professionnelle ou une activité illégale « dans le but de protéger l’intérêt général ». Selon tous les observateurs autorisés, la directive interdit, en pratique, toute publication de quelconques « Panama Papers ». 

L’ancienne ministre de la Justice, Nicole Belloubet, s’est voulue rassurante : « Le secret des affaires ne pourra être opposé aux lanceurs d’alertes et aux journalistes ». Selon elle, ce texte « n’emportera strictement aucune restriction de liberté publique. Les juridictions, gardiennes des libertés individuelles, feront la balance des intérêts en présence en veillant à ce qu’aucun lanceur d’alerte ne soit condamné ».

Et la loi française sur le secret des affaires proclame que le secret des affaires ne peut pas s’appliquer lorsqu’il s’agit d’« exercer le droit à la liberté d’expression et de communication, y compris le respect de la liberté de la presse ». En pratique, peu d’entreprises utilisent pour l’heure cette loi pour bloquer la publication d’une enquête sur… les « affaires », la finance, ou les industries polluantes ; ou ne réclament des dommages et intérêts à un éditeur de biographies de patrons de grandes entreprises. Car les procédures sur le fondement de l'article 10 de l’ordonnance du 28 septembre 1967 sanctionne l’utilisation abusive d’informations privilégiées sont toujours en vigueur, comme l’a, hélas jugé, le 22 janvier 2018, le Tribunal de commerce de Paris dans un litige en référé opposant le journal Challenges à Conforama.
Devait être également fondée une « Agence française anticorruption »,  assez éloignée de ce que demandent les ONG.

Le champ des possibles

Pour en revenir à la directive sur les lanceurs d’alerte, celle-ci envisage un « champ matériel » très large :
  • « violations du droit » (breach of law) : actes ou omissions « illicites » et ayant trait au droit de l’Union, ou « qui vont à l’encontre de l’objet ou de la finalité » des règles du droit de l’Union ;
  • « marchés publics ; services, produits et marchés financiers et prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme ; sécurité et conformité des produits ; sécurité des transports ; protection de l’environnement ; radioprotection et sûreté nucléaire ; sécurité des aliments destinés à l’alimentation humaine et animale, santé et bien-être des animaux ; santé publique ; protection des consommateurs ; protection de la vie privée et des données à caractère personnel, et sécurité des réseaux et des systèmes d’information ;
  • ou portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union (…) ;
  • ou relatives au marché intérieur (…), y compris en matière de concurrence et d’aides d’État, ou en matière d’impôts sur les sociétés ou de dispositifs visant à obtenir un avantage fiscal.

Mais les États membres peuvent élargir ce champ matériel, notamment aux droits des travailleurs.
En revanche, sont exclus les domaines dans lesquels existe « la responsabilité qu’ont les États membres d’assurer la sécurité nationale ».
Sont en conséquence exclus du champ de la directive : 
  • l’information classifiée (et plus largement « la sécurité nationale »), 
  • le secret médical 
  • le secret de la relation client-avocat, 
  • le secret des délibérations judiciaires et 
  • le secret des règles de procédure pénale.
Et la directive ne modifie en rien pas les droits des travailleurs de consulter leurs représentants ou les syndicats, et leurs droits de conclure des conventions collectives, tel que prévu par le législateur français.
L’Union européenne a encore élargi le « champ d’application personnel » : l’article 4 de la directive dispose que « La présente directive s'applique aux auteurs de signalement travaillant dans le secteur privé ou public qui ont obtenu des informations sur des violations dans un contexte professionnel ».

Ce dispositif vise:
  • les personnes ayant le statut de travailleur ;
  • les travailleurs indépendants ;
  • les actionnaires et les membres de l’organe d’administration, de direction ou de surveillance d’une entreprise, dont les membres non exécutifs, les bénévoles et les stagiaires ;
  • les personnes travaillant sous la supervision et la direction de contractants, de sous-traitants et de fournisseurs.
 
Cependant, seront également protégés :
  •  les auteurs de signalement d’informations obtenues dans le cadre d’une relation de travail ayant pris fin ;
  •  les auteurs de signalement dont la relation de travail n'a pas encore commencé ;
  • les facilitateurs (toute personne physique aidant l’auteur du signalement « dans un contexte professionnel et dont l’aide devrait être confidentielle »), les tiers en lien avec les auteurs de signalement et les entités juridiques appartenant aux auteurs de signalement ou pour lesquelles ils travaillent, ou encore avec lesquelles ils sont en lien dans un contexte professionnel.
 
Il faut donc relever que le « champ personnel » écarte la personne morale en tant que lanceur d’alerte, même si la protection peut être étendue à celle-ci grâce à « l’auteur de signalement, pour laquelle il travaille ou avec laquelle il est de quelque manière que ce soit en relation dans un contexte professionnel ».
 
(à suivre)
 

 
 

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