Droit

Les livres reliés en peau humaine

L'exemplaire de La Philosophie dans le boudoir du marquis de Sade, relié en peau humaine au 19e siècle et vendu aux enchères.  - Photo Wikipédia - CC BY 4.0 - Wellcome Images

Les livres reliés en peau humaine

L’ouvrage intitulé Des Livres reliés en peau humaine. Enquête sur la bibliopégie anthropodermique(Editions B42) de Megan Rosenbloom vient d’être publié en français dans une traduction de Phoebe Hadjimarkos-Clarke. L’auteure, une bibliothécaire universitaire à Los Angeles, s’est prise de passion pour cette catégorie d’ouvrages somme toute assez rares.

En 2014, la maison de ventes aux enchères Pierre Bergé & Associés avait été retiré in extremis de la vacation visant à disperser la bibliothèque du grand bibliophile Philippe Zoumeroff un recueil de documents sur deux assassins, Louis-Marius Rambert et Gustave Mailly, réunis par le docteur Jean Lacassagne. L’exemplaire était relié, par l’artisan lyonnais Albert Guétant, dans la peau tatouée de Rambert, qui l’avait léguée à Lacassagne. C’est cette fois le Conseil des ventes volontaires qui a brandi l’interdiction le commerce des restes humains – et ce alors que venait de s’ouvrir au Musée du Quai Branly l’exposition « Tatoueurs, tatoués », au sein de laquelle étaient présentés plusieurs peaux humaines.

En 2020, l’émission « Une histoire particulière », diffusée sur France Culture et conçue par Olivier Chaumelle, avait abordé, avec le signataire et la participation de l’auteur de cette chronique, les tribulations d’un des exemplaires de l’édition originale de La Philosophie dans le boudoir du célèbre marquis de Sade, car ce livre singulier était proposé aux enchères en octobre 2020, sans susciter une quelconque polémique, atteignant le prix de 56 000 euros sans les frais.

Le premier contreplat de la reliure, frappée sur une pièce de peau identique à celle qui revêt le livre, porte la mention « Volume couvert en peau humaine ». Duehren écrit dans son Sade et son temps, études relatives à l’histoire de la civilisation et des moeurs du XVIIIe siècle, édité en 1901, à propos de la Terreur, une digression sur les tanneries de peaux humaines de Meudon et cite déjà cet exemplaire en deux volumes.

La libraire d’anciens Anne Lamort estime que « le décompte actuel des ouvrages de cette spécialité n’excède guère la centaine et ceux antérieurs au XIXe siècle sont excessivement rares ».

Qu’en est-il en droit ?

Aux termes de l’article 1598 du Code civil de 1804 : « Tout ce qui est dans le commerce peut être vendu lorsque des lois particulières n'en ont pas prohibé l'aliénation ».

L’article 16-1 du même code dispose que « chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable. Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l'objet d'un droit patrimonial », tandis que l’article 16-5 souligne que « les conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au corps humain, à ses éléments ou à ses produits sont nulles ». Enfin, l’article 1162 du Code civil rappelle que « le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties ».

Ainsi, en droit français, le corps humain est indisponible même après la mort de son propriétaire et prohibe donc tout commerce lucratif.

Le Conseil des Ventes Volontaires (CVV), l’organisme public chargé du marché des ventes aux enchères, bénéficie d’un arrêté du 21 février 2012 portant approbation de son recueil des obligations déontologiques des opérateurs de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques. Selon l’article 1.5. 4 de ce document, « sauf lorsqu'ils constituent sans équivoque des biens culturels, l'opérateur de ventes volontaires s'abstient de présenter à la vente tout ou partie de corps ou de restes humains ou tout objet composé à partir de corps ou de restes humains ».

Le CVV insiste dans son rapport de 2012 sur le fait que le corps humain n’est pas perçu de la même manière suivant les lieux et les époques, et par conséquent sur la nécessaire prise en compte de la dimension culturelle de l’élément humain quand il s’agira de déterminer s’il peut être offert à la vente ou non. Le CVV est donc compétent pour reconnaître la dimension culturelle d’un élément ou, à l’inverse, pour demander le retrait de la vente d’éléments de corps humain qui n’auraient pas acquis cette dimension.

Devenu objet culturel, l’élément du corps humain est susceptible d’être transmis. Resté élément de corps humain, il est exclu du commerce et plus généralement de toute cession, fut-ce à titre gratuit (encore faut-il distinguer dans cette dernière catégorie, les éléments destinés à l’enseignement de la médecine).

Affaires récentes 

Ces dernières années, plusieurs affaires ont relancé le débat sur les liens entre la culture et les restes humains. En 2009, l’Espace 12 Madeleine avait proposé une exposition intitulée « Our Body à corps ouverts » où étaient montrés des cadavres (de Chinois) et des organes humains. Deux associations, Ensemble contre la peine de mort et Solidarité Chine, ont décidé de porter le débat en justice. Le Tribunal de grande instance de Paris, la Cour d’appel de Paris et la Cour de cassation ont unanimement condamné cette exposition. Cette dernière juridiction a estimé que « les restes des personnes décédées doivent être traités avec respect, dignité et décence ; (…) l’exposition de cadavre à des fins commerciales méconnaît cette exigence ».

On connait aussi le cas des têtes maories (conservées notamment au Musée de Rouen et au Musée du quai Branly), rendues par la France 2011, de même que le corps de la Vénus Hottentote », qui était détenu dans du formol au Museum national d’histoire naturelle, a été transféré à son pays natal, l’Afrique du Sud, en 2002.

Le Conseil des ventes volontaires est aussi intervenu, en 2020, lorsqu’une vente aux enchères en ligne, organisée à Alençon, a proposé des reliques de Saint. Il y avait là un petit fragment osseux, reste supposé de « Jean-Gabriel Perboyre, prêtre missionnaire capturé en 1839 en Chine, puis, emprisonné, torturé, sans jamais abjurer sa foi, ce qui lui valut d’être canonisé par Jean-Paul II en 1996 et d’être le premier saint martyr de l’empire du Milieu ».

Cet objet était entouré d’un crâne avec un montage de fils métalliques filigranés sur fond de soie brodée de fils d’or ainsi que d’une châsse reliquaire en bois sculpté et doré à décor de feuilles d’acanthe et chutes de feuillage, abritant un riche montage de tissus brodés, perles, verroterie, paperolles et cannetilles (l’objet renfermant en fait le corps entier d’une petite martyre emmailloté de précieuses broderies) et de deux ossements de sainte Justiniae et de sainte Monique, présentés dans un médaillon.

Le président du CVV avait déclaré : « J’ai été saisi par un ecclésiastique qui m’a écrit, choqué que l’on puisse ainsi proposer à la vente des restes humains clairement identifiables comme tels, qui plus est de saints »

Rappelons enfin que des restes humains ne peuvent appartenir à l’Etat ; pourtant ce dernier est propriétaire des collections muséales, qui sont par ailleurs inaliénables et dont font partie des restes humains.

Voilà donc un micro-marché, celui des livres reliés en peaux humaines, qui s’éteint à son tour.

Les dernières
actualités