Chine

Liao Yiwu : "Un deuxième Tian'anmen se prépare à Hong Kong"

Liao Yiwu - Photo Elke Wetzig - CC BY-SA 3.0

Liao Yiwu : "Un deuxième Tian'anmen se prépare à Hong Kong"

A l’occasion de la parution de deux de ses ouvrages aux éditions Globe, Livres Hebdo a rencontré l’écrivain dissident chinois, en visite en France, pour un grand entretien. Il évoque le sort de ses amis écrivains emprisonnés et sa trajectoire d’auteur percutée par le massacre de Tiananmen.

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Par Nicolas Turcev,
Créé le 08.11.2019 à 19h00

Sourcils broussailleux de Confucius, crâne rasé de bonze, le regard plein et généreux, Liao Yiwu sait user de son magnétisme. Il veut vous entraîner dans son monde, pour vous montrer les démons qui s’y sont tapis, qui sont aussi ceux de la Chine, trop longtemps ignorés. En visite en France, le dissident chinois a publié le 16 octobre Dans l’empire des ténèbres aux éditions Globe, le récit de ses quatre années passées dans les geôles de son pays, entre 1990 et 1994, pour avoir déclamé un poème sur les massacres de Tiananmen, dont on commémore cette année le 30e anniversaire. En avril, il a fait paraître chez le même éditeur Des balles et de l’opium, un recueil de témoignages des survivants de la répression du mouvement étudiant qui a fait des centaines de victimes civiles.
 
Ancien poète vagabond apolitique, admirateur insouciant des beatniks, sa trajectoire d’écrivain s’est heurtée à celle de son pays. La "sidération" qui le saisit lorsque les fusils sifflent dans la capitale fait sourdre sa dissidence, bientôt enracinée par son expérience des prisons chinoises, son "université de la vie". Il parvient à s’échapper de Chine en 2011 et se réfugie en Allemagne, où il vit depuis en exil. Marié, père d’une petite fille, il aurait aimé se consacrer, en Europe, à une littérature "plus dégagée", mais son "travail d’amitié" l’en empêche. Emprisonnés, torturés, assassinés ou menacés de l’être, ses amis dissidents et écrivains restés en Chine dirigent toute son attention vers ce pays qu’il déteste.  
 
Rencontré au domicile de son ami et traductrice Marie Holzman, il se confie à Livres Hebdo sur la manière dont il conçoit son rôle d’écrivain dissident, livre ses impressions sur la révolte du peuple hongkongais et tacle le pouvoir français, à ses yeux trop complaisant avec les dictateurs, au premier rang desquels le président chinois Xi Jinping.
 
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 Gardez-vous, malgré l’exil, des relations étroites avec la Chine?
 
Il est beaucoup plus difficile qu'autrefois de rester en contact avec mes connaissances en Chine, notamment depuis l'arrestation en décembre 2018 du pasteur Wang Yi, cible de la persécution religieuse du gouvernement. J'ai essayé d'entrer en contact avec sa femme, mais ce n'était pas possible: soit son téléphone était coupé, ou bien on me coupait le mien, je ne sais pas trop. J’ai envoyé toute sorte de messages sous toutes les formes possibles, mais personne ne m'a répondu. Je n’ai réussi à obtenir des nouvelles qu’en contactant les fidèles qui sont parvenus à fuir en Thaïlande avant le coup de filet de la police. En Chine, toutes les communications étaient complètement bloquées.
 
Il faut préciser cependant que, maintenant, la Chine ne tient plus du tout compte de ce qu'on peut dire à l'étranger. Si des personnes protestent contre les violences ou les persécutions, ils s'en fichent complètement. L’exemple de Wang Yi est particulièrement saisissant puisqu'il se trouve que le président allemand, Frank-Walter Steinmier, était en voyage à Chengdu [ville du Sud-Ouest de la Chine où s’est déroulée l’opération de police, ndlr], le jour même de cette arrestation coup de filet, et qu'il venait de quitter la ville depuis seulement deux heures lorsque l'arrestation a commencé.
 
Que pouvez-vous nous dire de la situation actuelle des hommes et femmes de lettres chinois?
 
En gros, on peut dire qu'ils sont à l'arrêt. Si un écrivain veut s’exprimer, il va devoir employer des formules très nébuleuses pour ne pas dire les choses directement. Il va cacher le contenu du texte grâce à une forme très littéraire qui sera accessible uniquement aux personnes extrêmement cultivées. Mais les auteurs sont tout de même obligés de se relire eux-mêmes pour s'autocensurer. Tout ce qui ne sera pas accepté par le pouvoir, il faut l'enlever.
 
Maintenant, beaucoup d'auteurs en Chine partagent mes idées. Mais ils ne sont pas très connus en occident et sont surtout accessibles sur le marché souterrain. Par conséquent, ils ne peuvent pas gagner de l'argent et exister grâce aux droits d'auteur issus de la vente à l'étranger. Ils peuvent parfois éditer à Taïwan, mais le marché est tout petit. Autrement dit, pour publier et exister en Chine en tant qu’écrivain, il faut désherber votre texte et faire profil bas.  
 
Vous vivez en exil depuis bientôt 10 ans, et avez trouvé un certain bonheur en Allemagne. Avez-vous complètement divorcé de la Chine et des aspirations de son peuple?
 
A l'origine, j'espérais pouvoir m'éloigner de la Chine et penser à autre chose. Mais ce n'est pas possible parce que depuis que je suis parti, ils ont arrêté mes amis et en 2017, Liu Xiaobo [prix Nobel de la paix mort en 2017 dans les prisons chinoises, ndlr] s'est fait assassiner. Maintenant, c'est Wang Yi qui vient d'être arrêté. Les Occidentaux ne sont pas au courant de ce cas. J'ai mon travail personnel d'auteur, mais j'ai aussi mon travail d'amitié, qui consiste à écrire sur ces personnes, pour pouvoir les faire connaître et les faire libérer. J'écris justement en ce moment un essai sur Wang Yi. J'aurais souhaité aller vers une littérature plus dégagée, mais je ne peux pas.
 
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Vos écrits sur Tiananmen ont été censurés et plusieurs de vos manuscrits confisqués par les autorités lorsque vous étiez en Chine. Comment le pouvoir chinois s’y prend-il pour censurer les auteurs? Quelles sont ses “techniques” pour repérer et empêcher la sortie des textes qui le dérangent?
 
Mon cas était différent puisque je suis un prisonnier politique. En Chine, prisonnier un jour, prisonnier toujours. Ils savaient que j’étais écrivain et me suivaient. C'était facile pour eux de deviner qu'il y avait des choses à piquer dans mes bureaux. A l'époque, pour parer à ces confiscations, je prenais constamment des notes pour ne pas oublier et je consignais tout ce que j'avais vécu.
 
Entretenez-vous des relations avec d’autres écrivains chinois en exil tels que Gao Xingjian ou Ma Jian?
 
Je n’appartiens pas à la même mouvance littéraire qu’eux. Ma carrière d’écrivain s’inscrit dans le sillon de Liu Xiaobo. Après Tiananmen, il a fait vivre la littérature souterraine à travers le Pen club chinois international, dans le but de rassembler tous les auteurs qui se trouvaient à la marge et de les faire connaître. Gao Xingjian et Ma Jian n'appartiennent pas à ce mouvement. Ils n'ont pas écrit par rapport à Tiananmen, même si Ma Jian est assez proche de moi dans sa perception des choses. Mais il est parti de Chine beaucoup plus tôt que moi, dans les années 1980. Comme pour Liu Xiaobo, mon succès est lié à une littérature d'opposition plus ou moins clandestine.
 
Outre vos récits, quelles formes prend votre engagement pour les écrivains persécutés?
 
En Allemagne, je participe à un programme dont le concept est de jumeler un écrivain libre et un écrivain en prison. L’écrivain libre doit aider l'écrivain en prison à devenir célèbre. Mon partenaire est mon ami Li Bifeng [activiste et poète chinois qui a passé 5 ans derrière les barreaux pour sa participation aux mouvements de Tiananmen, avant d'être condamné à 12 ans de prison en 2012 dans une affaire de vente d'appartements].
 
A Berlin, une foire littéraire propose un programme auquel je participe souvent qui consiste à prendre contact avec des gens tout autour de la planète pour lire des textes d'écrivains en difficulté. J’en profite pour lire les écrits de Li Bifeng, qui va d’ailleurs publier un roman en Allemagne, ainsi qu’un recueil de ses poèmes.
 
Est-ce que vous savez à quoi vous vous exposiez lorsque vous avez écrit votre poème sur Tiananmen?
 
Sur le coup, c'est plutôt la colère qui m'a ébranlé, le sentiment d'être dans une impasse, particulièrement lorsque j'ai déclamé ce poème. Par la suite j'ai été arrêté, j'ai été jugé. Les juges m'ont dit : "si, au moment où vous avez récité ce poème, vous aviez été pris par les soldats, vous auriez été fusillés sur-le-champ. Heureusement que vous avez été arrêtés neuf mois plus tard."
 
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Qu’avez-vous trouvé ou confronté au fond des geôles chinoises?
 
Auparavant, j'étais un poète qui ne s'intéressait absolument pas à la politique. J'aimais les beatniks, j'aimais les vagabonds, Kerouac et les chansons de Bob Dylan. Quand le massacre de Tiananmen s'est produit, j'ai été très surpris. Le son des fusillades m'a complètement plongé dans la sidération. Aujourd'hui, ce doit être la même chose pour ces Hongkongais qui se trouvent face au pouvoir chinois. Ils doivent se trouver dans la même situation de stupeur. Puis, lorsque je suis entré en prison, on peut dire que je suis entré dans l'université de la vie. Je suis entré en poète et je suis sorti en prisonnier politique. C'est cela qui a fait de moi un véritable auteur.
 
Si je n'étais pas devenu le Liao Yiwu que je suis, je serais peut-être devenu le Mo Yan d'aujourd'hui [le prix Nobel de littérature 2012, que Liao Yiwu critique régulièrement pour sa déférence au pouvoir chinois]. Ils m'auraient peut-être encensé et m'auraient fait gagner un prix Nobel de littérature, qui sait? J'aurais eu un tout autre chemin.
 
Quel regard portez-vous sur la révolte actuelle du peuple hongkongais? Des balles et de l’opium, victime de son succès, vient d’être réédité dans la péninsule: il y a-t-il un lien entre les événements décrits dans le livre et ceux qui se déroulent en ce moment?
 
J'ai beaucoup de respect pour les manifestants. Depuis qu'il y a eu le massacre de Tiananmen, tous les ans à Hong Kong dans le parc Victoria il y a une vigie avec des bougies pour commémorer les massacres. Cet événement, qui s'est déroulé à Pékin, est en train de se répéter à Hong Kong, ce n'est que le début. Nous sommes en train d'assister aux prémices du second massacre de Tiananmen. Il faut que l'occident se mobilise pour venir en aide aux manifestants. Parce que si jamais la Chine recommence à réprimer tout un peuple, s'ils gagnent la partie cette fois-ci, après ce sera Taïwan, puis le Japon… Ces pays vont tomber dans la dictature.
 
Imaginez: cela provoquerait des migrations énormes de Chinois, il y aura des réfugiés partout, l'équilibre du monde va être perturbé, ce sera terrible. N’oublions pas que la Chine est à l'origine d'une bonne partie du changement climatique et de la pollution. Si la dictature chinoise continue pendant encore une dizaine d'années, la température va monter de 3 à 4 degrés et les Européens vont mourir de chaud. Contrôler le climat ne peut se faire que dans un cadre démocratique. Imaginez si, dans un pays de 1,4 milliard de personnes, il y a ne serait-ce que 1% ou 2% de personnes qui s'enfuient, comment pouvez-vous faire face à l’ampleur de cette migration ?
 
Que pensez-vous de la relation entre Xi Jinping et Emmanuel Macron? En avril dernier, ce dernier a déclaré qu’il était "ravi" de recevoir le dirigeant chinois en France et va lui-même s’y rendre dans quelques semaines. [Cette interview s'est déroulée avant la visite d’Emmanuel Macron en Chine, début novembre]
 
J'ai l'impression que vos présidents, Sarkozy, Hollande ou Macron, sont tous ravis de recevoir des dictateurs. Evidemment, ils ont d'énormes portefeuilles. Macron a offert un cheval magnifique à Xi Jinping lors de son dernier voyage. Peut-être qu'il imagine que ce cheval va lui rapporter beaucoup d'argent ?

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