Entretien

Comédien populaire à la carrière bien remplie tant au théâtre qu’au cinéma, pensionnaire puis sociétaire de la Comédie-Française, Philippe Torreton est un amoureux de la littérature, des grands textes et des grands auteurs, comme Shakespeare ou Molière, fréquentés dès sa jeunesse. Du côté des contemporains, il est lecteur de non-fiction, parce que la vraie vie des vrais gens le passionne. D’où un temps, peut-être, son engagement en politique. Il écrit depuis toujours, mais ça n’est qu’en 2004 qu’est paru son premier livre, sur son métier. Celui qu’il publie à la rentrée, Jacques à la guerre, est son premier roman, un livre très personnel où il reconstitue la trajectoire de son père, récemment disparu. Pour Livres Hebdo, il revient sur son parcours et raconte l’histoire de ses livres, avec une sincérité et un enthousiasme communicatifs.

Philippe Torreton - C’était au lycée, à Rouen. Je m’étais inscrit au Club théâtre animé par mon prof de français, Monsieur Désir. Ça ne s’invente pas! C’était pour me "décoincer" plus que par envie de faire du théâtre, car j’étais timide - je le suis toujours - et je n’osais pas monter sur le plateau. En deuxième année, on avait décidé d’écrire notre propre spectacle. Je n’ai jamais cessé d’écrire depuis: poésie, paroles de chansons sur des mélodies déjà existantes, et puis plein de débuts de pièces, restés sans suite. C’est l’oralité du théâtre qui m’a poussé à écrire.

Je suis d’une famille modeste. On n’est jamais allés au théâtre, quelques fois au cinéma. Mais il y avait des disques et des livres à la maison, et la télé. Je me souviens en particulier d’"Au théâtre ce soir", dans les années 1970. Quant à devenir comédien, la question ne s’est vraiment pas posée! J’ai juste eu droit au fameux "Passe ton bac d’abord", et à une mise en garde de ma mère, institutrice, sur la précarité des métiers du spectacle. J’ai donc passé mon bac D, puis il y a eu plusieurs années où je ne savais vraiment pas quoi faire. Je ne m’imaginais pas monter à Paris. Je ne suis pas Rastignac, j’étais paralysé de trouille. J’ai songé à faire du droit, puis j’ai passé trois mois en lettres modernes, à la fac de Rouen. C’était trop technique, trop désincarné. Disséquer un poème comme on démonte une bagnole, ce n’était pas pour moi. Je préfère le prendre comme un enquêteur de police, le décortiquer.

Il avait raison. Peter Brook, lui, disait: "Quand vous jouez Hamlet, dites-vous que c’est vrai." Un acteur n’a pas à jouer la forme d’un texte, mais à s’accaparer une parole. Une œuvre se suffit à elle-même. Quand je joue un film adapté d’un livre, je ne lis pas le livre avant. Je joue un scénario, forcément différent.

C’est au Conservatoire que j’ai vécu mon premier choc littéraire, intime, avec Shakespeare. Je découvrais un monde comme un explorateur remonte l’Orénoque. Pareil avec la première scène du Misanthrope. Le théâtre fait que, poussé par le texte, on va dépasser sa timidité, investi par ce qu’on a à dire. A 52 ans, je commence à peine à le percevoir. Le théâtre, c’est le moment où ça se joue. Avant, ce n’est pas du théâtre, après c’est un souvenir.

Dès le début, j’ai pris l’habitude de noter mes impressions, d’imaginer des bouts de dialogue, des débuts de pièces. Mais c’était un soulagement, pas un but en soi.

J’ai un important déficit de lecture, encore maintenant. J’aimerais un jour avoir un temps à combler par la lecture, dans un monastère, ou en prison! Mon temps de lecture est phagocyté par mon métier. Je joue presque un film et une pièce par an. Je lis beaucoup de récits, d’autobiographies, de témoignages, de journaux de bord de grands marins, mais j’ai un mal de chien avec le roman, juste parce que ce n’est pas vrai. C’est un handicap, pas du tout un jugement de valeur. Même l’autofiction, ça ne me parle pas vraiment.

Je n’ai pas de préférence, l’alternance me plaît beaucoup. J’y trouve un vrai équilibre. Il n’y a pas, pour moi, plus de "noblesse" de l’un par rapport à l’autre. Je me sens juste acteur. C’est ce que j’ai essayé d’expliquer dans mon premier livre, Comme si c’était moi (Seuil, 2004). Un ordinateur était entré dans ma vie pour la première fois. J’avais décidé de mettre de l’ordre dans tous mes écrits. De corriger, de compléter. Un livre m’a semblé possible, celui que j’aurais aimé lire au Conservatoire, quand je me posais des questions sur le théâtre. Après, un ami d’un ami a passé le texte à Jean-Claude Guillebaud, alors éditeur au Seuil, qui l’a publié.

Oui, j’étais très ému lorsque j’ai eu mon premier livre en main. La suite, c’est souvent une question de rencontres. Mon Petit lexique amoureux du théâtre (Stock, 2009), c’était une idée du regretté Jean-Marc Roberts, pour qui j’ai inventé des définitions poétiques, drôles voire surréalistes. L’idée de Mémé est née lors de l’enterrement de ma grand-mère maternelle, en 2005. J’avais écrit un texte pour la cérémonie, comme un poème. Ensuite, j’ai eu envie de parler de toute cette vie-là, de cette femme à qui jamais personne n’a tendu un micro. Ce fut un processus d’écriture long et difficile. J’ai fait lire le texte à Guillebaud, à nouveau, qui l’a passé à Sophie de Sivry, patronne de L’Iconoclaste. Et ça a été le jackpot! Je crois que les gens se sont retrouvés dans cette histoire, dans cette nostalgie d’un monde qui disparaît. J’ai reçu des dizaines de lettres. Et même des manuscrits. On a tout le temps raison d’écrire. La vie des gens me passionne. J’ai fait beaucoup de déplacements en province, jumelés avec mes tournées théâtrales, pour signer, parler avec les gens. Mais aucune émission littéraire à la télé.

Cher François (Flammarion, 2015), c’était des petites chroniques politiques écrites pour moi seul, durant les deux heures de la séance de maquillage pour Cyrano, sur mon iPhone. C’est Thierry Billard, alors chez Flammarion, qui m’a contacté. On en a fait un livre. Quant à Thank you, Shakespeare!, c’était une "commande" de Flammarion pour ses 400 ans! Je n’ai aucune compétence particulière. Je ne suis qu’un comédien qui a joué Henri V, Richard III, Hamlet… J’écris en fonction de ce que j’ai envie de dire, je n’ai pas de plan de carrière.

Oui, né de mes questionnements d’adolescent par rapport à la guerre, à la vie de mes parents. J’avais interrogé mon père, il me répondait de façon fruste. J’ai donc décidé de reconstituer, d’inventer. Tant que mon père était vivant, je procrastinais. Le texte n’avançait pas. Puis mon père est mort, en février. C’est devenu une urgence, une nécessité. Et mon éditeur chez Plon, Thierry Billard, voulait que le livre sorte à cette rentrée. C’est un livre écrit au pouce gauche, sur mon iPhone, qui doit beaucoup aux encouragements de Sorj Chalandon. Il est dédié à ma mère, qui l’attend. Elle va avoir du mal à le lire…

J’ai deux idées. Des romans, pour faire un pas de plus dans le fictionnel.

Propos recueillis par Jean-Claude Perrier

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