Droit

Deuxième partie 

Le plagiaire va s’efforcer de souligner les différences fondamentales entre les deux traitements du sujet. Pour le reste – c’est-à-dire les ressemblances - il va d’abord recourir à la notion de fonds commun. Cette rhétorique conduit souvent à se réfugier sous la bien heureuse notion de hasard (la faute à pas de chance), qui défie les lois sur la propriété intellectuelle comme de la statistique, en vertu de laquelle les chances se mesurent à l’aune  de plusieurs millions de probabilités.

Les armes du plagié sont alors simples. Si le sujet des ouvrages litigieux est assez convenu,  le plagié va s’acharner à démontrer l’extrême originalité de sa vision. Rabaisser littérairement le plagié reste encore une ruse qui n’a pas fait ses preuves. Calixte Beyala a eu plusieurs fois l’occasion de resservir la même interrogation : est-ce que quelques lignes suffisent à faire une œuvre ? Plus élégante est la formule de Patrice Delbourg selon laquelle l’emprunt est forcément un hommage.

Les récidivistes 

Il y a aussi des spécialistes, autrement dit des récidivistes. Alain Minc a été poursuivi à nouveau en 2013 pour « plagiat ». Pascale Froment, qui a signé une biographie de René Bousquet, le sinistre secrétaire général à la police de Vichy, a assigné en référé l’essayiste qui, lui, venait publier L'Homme aux deux visages - Jean Moulin/René Bousquet : itinéraires croisés.

L’avocat de la would-be plagiée a estimé que « sur les 75 pages concernant René Bousquet plus de la moitié sont empruntées à l’ouvrage de Pascale Froment, soit environ 300 passages ». L’auteure pouvait d’ailleurs agir seule sur le terrain du droit moral ; c’est-à-dire – sans le concours de son éditeur, qui détient les droits patrimoniaux. En cas de « plagiat », le droit au respect du nom et le droit au respect de l’œuvre sont tous deux violés. Or ces deux attributs du droit moral ne sont pas cessibles et sont toujours détenus par l’écrivain plagié, en dépit du contrat d’édition.

L’essai biographique est un genre qui ne réussit pas à Alan Minc – condamné, donc, en 2013 - et à ses documentalistes. Un conflit l’avait déjà opposé à Patrick Rodel à propos de la vie de Spinoza. Le 7 septembre 2001, le Tribunal de grande instance de Paris a plus qu’épinglé l’essayiste au profit de l’universitaire qui le poursuivait également pour contrefaçon.

Les juges ont d’abord pris soin de souligner que, traditionnellement, « les idées sont de libre parcours » et que, à ce titre, nul ne pouvait reprocher à Alain Minc d’avoir rappelé, chronologiquement, les épisodes de la vie de l’illustre philosophe.

Cependant, ils ont aussi détecté nombre d’anecdotes, recopiées avec les mêmes détails et surtout dans les mêmes termes qu’au sein de l’ouvrage de Patrick Rodel. Ce dernier avait en effet imaginé une correspondance mettant à jour un goût prononcé de Spinoza pour la confiture de rose, agrémenté d’une recette. Or, cette facétie – qui s’inscrivait dans une biographie revendiquée clairement comme imaginaire – avait été reproduite, sans source idoine, dans l’ouvrage litigieux…

Les plagiaires peuvent se consoler en lisant l’Apologie pour le plagiat d’Anatole France, que viennent de rééditer les délicates et subtiles éditions du Sonneur. Le futur Prix Nobel de littérature y retrace avec brio l’histoire du plagiat et ce à l’occasion du procès intenté par Maurice Montégut, auteur d‘un drame en vers intitulé Le Fou à l’encontre d’Alphonse Daudet et de son Obstacle. Le volé était en l’espèce lui-même un voleur !

Il est depuis lors apparu à nouveau utile à certains – dont la main était malencontreusement, comme celle de Jean-Luc Hennig, pris dans un sac - de hisser le plagiat au rang des Beaux-Arts. La référence aux grands écrivains plagiaires va contribuer non seulement à la défense du plagiaire mais également à sa thérapie et à son exercice d’auto-promotion. Anatole France, jamais soupçonné et réel grand écrivain, est un modèle difficile à égaler.

C’est encore la reprise inconsciente de souvenirs littéraires que va d’ailleurs invoquer le plagiaire. Il s’agit cependant là d’un exercice périlleux puisqu’il consiste implicitement à glorifier aux yeux des juges ce même plagié qui vous poursuit en justice… L’appel à l’erreur légitime (oubli, bibliographie avalée par l’ordinateur, etc.) reste néanmoins une technique de défense sobre mais souvent réductrice du montant des dommages-intérêts.

Certains biographes à la chaîne finissent d’ailleurs par confondre la vie de leur sujet et leur fourmillante documentation. Henry Troyat l’a appris à ses dépens après avoir été blanchi, au premier round, par le tribunal de grande instance de Paris, le 9 février 2000. La cour d’appel n’a pas lu son œuvre du même œil, et a sanctionné la contrefaçon, le 19 février 2003. En l’occurrence, ce sont les choix identiques de citations d’extraits de lettres, de journaux identiques ainsi que de… citations inédites qui ont entraîné la condamnation du second biographe.

Le plagiat hissé au rang des Beaux-arts

Le plagiat est aussi parfois évoqué comme un genre incontournable. Le plaideur citera alors opportunément Giraudoux, qui a déclaré que le plagiat est à la base de toute littérature.

Il est même apparu utile à certains - dont la main était malencontreusement prise dans un sac - de hisser le plagiat au rang des Beaux-Arts. La référence aux grands écrivains plagiaires - tels que recensés dans l’indispensable Dictionnaire des plagiaires du regretté Roland de Chaudenay – va contribuer non seulement à la défense du plagiaire mais également à sa thérapie et à son exercice d’auto-promotion.

D’ailleurs, apparaissent enfin d’intéressantes mises en abîme lorsque le plagiaire ou le plagié vont intenter tous azimuts des procès en diffamation, dont l’enjeu va porter sur le bien-fondé ou l’issue du procès pour plagiat. Le plagiaire devient alors à son tour un redoutable procédurier. C’est ainsi que celui qui est accusé de « plagiat » en appelle parfois à la précision juridique. Les spécialistes du droit d'auteur lui préfèrent en effet le terme de « contrefaçon ». Ils considèrent que le terme de «plagiat» stricto sensu devrait être réservé à l'exploitation suffisamment habile d'une œuvre pour ne pas être juridiquement répréhensible...

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