Chronique Juridique

Quand le droit d'auteur et la liberté d'expression s'opposent (I/III)

Sylvia Kristel dans "Emmanuelle" - Photo Capture d'écran, Youtube

Quand le droit d'auteur et la liberté d'expression s'opposent (I/III)

Le droit d’auteur est, encore et toujours, remis en cause, au motif qu’il s’opposerait à la liberté de création, et donc à la liberté d’expression.

Le Tribunal judiciaire de Nanterre a ainsi, le 31 mars 2022, rendu une décision aux termes de laquelle, « en l’absence d’atteinte disproportionnée », le droit d’informer serait plus important que le droit d’auteur.

L’affaire portait sur un cliché de Sylvia Kristel ayant servi pour la promotion du film Emmanuelle, lequel cliché avait été reproduit par le journal Marie-Claire à l’occasion d’un article sur la mort de l’actrice.

Le photographe a été débouté de ses demandes en contrefaçon « au regard du droit d’information, au regard de la nature de la publication et du traitement du fait d’actualité qu’elle sert dans une logique légitime information du public, de l’absence d’entrave réelle à la libre exploitation de l’œuvre, qui n’est en rien dévalorisée par cet usage ». Les juges considèrent que « l’atteinte au droit d’auteur du photographe était minime »

Les juges précisent que « l’illustration de l’article est en adéquation parfaite avec son contenu et ne porte qu’indirectement sur l’œuvre protégée puisque, en référence au film auquel Sylvia Kristel doit l’essentiel de sa notoriété et aux propos affectueux de son réalisateur, elle reproduit la jaquette de ce dernier lors sa sortie en DVD qui est emblématique de ce lien et du rôle joué par l’actrice défunte, non en tant que photographie constituant une œuvre originale mais comme élément d’identification d’un film résumant une carrière et une amitié ».

Mieux (ou plutôt pire encore), il ajoutent que « la parution d’une nécrologie implique une certaine urgence qui peut expliquer l’absence de recherche préalable à la publication permettant la détermination de l’auteur et l’obtention de son autorisation.

Car, en outre, le photographe s’était aussi vu opposer ses propos tenus à l’occasion de la fermeture temporaire du compte Facebook d’un tiers à raison de la diffusion, consécutive au décès de l’actrice et réalisatrice, de la Une du magazine Luide décembre 1968 constituée d’une photographie, dont il est l’auteur, de Mireille Darc nue, confirment cette analyse. : « en effet, dans des circonstances ainsi très similaires à celle du litige, la recherche de la notoriété sur un réseau social n’étant pas plus dégradante pour l’œuvre utilisée sans autorisation que celle de l’audience sur un site internet à vocation commerciale secondaire, (il) qualifiait Facebook de « pathétique et puritain » et précisait, « furieux », au Journal du dimanche, avoir « donné des instructions pour que l’image litigieuse entre immédiatement dans le domaine public, afin d’être partagée par le plus grand nombre sur les réseaux sociaux « comme icône de la liberté » ».

La Convention européenne a ainsi été invoquée à plusieurs reprises ces dernières années pour combattre un droit d’auteur considéré comme attentatoire à la liberté d’expression.

Dans un arrêt en date du 10 janvier 2013, intitulé « Ashby Donald et autres c/ France », la Cour Européenne des Droits de l’Homme a estimé que « la liberté d’expression étant d’une force plus ou moins grande selon le type de discours en distinguant la situation où est en jeu l’expression strictement commerciale de l’individu, de celle où est en cause sa participation à un débat touchant l’intérêt général, mais a également rappelé, que selon l’article 10 de la Convention européenne,, les limitations à la liberté d’expression sont admises lorsqu’elles sont prévues par la loi, justifiées par la poursuite d’un intérêt légitime et proportionnées au but poursuivi, c’est-à-dire rendues nécessaires dans une société démocratique ».

La Cour de cassation a tiré de cette jurisprudence une conclusion plutôt inédite en droit français, dans un arrêt en date du 15 mai 2015. L’affaire opposait l’artiste Peter Klasen à un photographe dont il avait utilisé trois images pour réaliser des tableaux.

Aucune autorisation n’ayant été demandée, le photographe avait assigné en contrefaçon. Et la Cour d’appel avait suivi la pente naturelle de la jurisprudence et condamné le peintre à 50 000 euros de dommages-intérêts « en réparation du préjudice résultant des atteintes portées » à ses « droits patrimoniaux » et à son « droit moral d'auteur ».

Le plasticien a alors formé un pourvoi en cassation, qui s’appuyait sur différents moyens. Et, parmi ceux-ci, il avançait que « les limitations à l'exercice de la liberté d'expression, qui englobe la liberté d'expression artistique, ne sont admises qu'à la condition qu'elles soient proportionnées au but légitime poursuivi, c'est-à-dire rendues nécessaires dans une société démocratique par un besoin social impérieux, (…) la proportionnalité doit être appréciée in concreto en tenant compte, notamment, de la nature du message en cause et de l'étendue de l'atteinte porté au droit concurrent »

Selon lui, « la démarche artistique visait à susciter une réflexion d'ordre social », pouvant primer sur des « photographies de mode.

Il plaidait que « le juge ne peut statuer par voie d'affirmation générale ». Or, « la Cour d'appel s'est bornée à affirmer, de manière péremptoire, que les droits sur les oeuvres arguées de contrefaçon ne pouvaient, « faute d'intérêt supérieur », l'emporter sur ceux des oeuvres dont celles-ci étaient dérivées (…) sans nullement justifier son affirmation ».

Les hauts magistrats ont estimé, pour casser l’arrêt de la cour d’appel, que celui-ci « retient que les droits sur des oeuvres arguées de contrefaçon ne sauraient, faute d'intérêt supérieur, l'emporter sur ceux des oeuvres dont celles-ci sont dérivées, sauf à méconnaître le droit à la protection des droits d'autrui en matière de création artistique ». Et « qu'en se déterminant ainsi, sans expliquer de façon concrète en quoi la recherche d'un juste équilibre entre les droits en présence commandait la condamnation qu'elle prononçait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé. »

 

(à suivre)

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