Chronique Juridique

Qui est l'auteur ? (I/II)

Daniel Druet (à droite) en 2004 - Photo AFP

Qui est l'auteur ? (I/II)

La récente affaire judiciaire ayant opposé Daniel Druet, sculpteur lauréat du Grand Prix de Rome en 1968 et modeleur du musée Grévin, à Maurizio Cattelan, artiste conceptuel italien de renommée mondiale, figure incontournable de l'art contemporain, pose, une nouvelle fois, l’épineuse question de l’attribution de la qualité d'auteur.

Le Code de la propriété intellectuelle (CPI) ne définit pas ce qu’est un auteur. A l’image de beaucoup de concepts juridiques, cet oubli a vraisemblablement été opéré à dessein par le législateur, dans le but de ne pas enfermer ce statut aux contours flous à l’intérieur d’une définition légale intangible.

L’œuvre apparaît comme étant le fruit d’un acte créateur, le résultat formel d'une création intellectuelle réalisée par un auteur. Le créateur est donc celui qui a conçu et réalisé l’œuvre, même de manière partielle. De toute évidence, la création intellectuelle nécessite une intervention humaine en ce qu’elle implique la conscience d’un résultat à atteindre, lequel se concrétise physiquement dans une certaine forme.

Ainsi, s’il n’existe pas de définition légale de ce qu’est un créateur à proprement parler, l’article L.111-2 du CPI indique que « l’œuvre est réputée créée du seul fait de la réalisation même inachevée de la conception de l’auteur ».

La création est à la fois une conception et une réalisation, et le créateur est celui qui a mené de front ces deux démarches. L’auteur est donc celui qui a imaginé l’œuvre, pour ensuite la formaliser et la concrétiser. C’est la raison pour laquelle, pour être investi de la qualité d’auteur, le créateur doit bénéficier d’une certaine liberté de création. En effet, l’auteur est celui qui, grâce à la liberté dont il dispose, est en mesure d’effectuer des choix personnels marquant l’œuvre de l’empreinte de sa personnalité. Ce postulat entraîne plusieurs conséquences…

D’une part, celui qui se borne à apporter des idées, à fournir un travail de correction, à se laisser filmer dans l'exercice de sa profession ou encore à exécuter des opérations techniques en suivant les instructions précises de l’artiste ne peut se voir reconnaître la qualité d’auteur. A cet égard, l’on citera l’affaire Être et Avoir, dans laquelle un instituteur, alors filmé dans l’exercice de sa profession, prétendait détenir les droits d’auteur sur l’œuvre documentaire finale. Or, à défaut d’avoir réalisé un apport artistique original à l’œuvre audiovisuelle, ses prétentions furent rejetées par les juges.

D’autre part, il est à noter que l’exécution personnelle, de la main du créateur, n’est pas nécessaire. A titre d’exemple, un technicien ou un artisan sont, en théorie, de « simples » exécutants matériels ne disposant d’aucune liberté créative. Dès lors, en ce qu’ils n’apportent pas de touche personnelle à l’œuvre réalisée, ces derniers ne pourront bénéficier de la qualité d’auteur.

Dans le domaine de l’édition, un artiste graveur s’est toutefois vu reconnaître par une juridiction la qualité de coauteur d’un livre consacré à l’art fantastique de la gravure, pour lequel sa spécialité lui avait valu de jouer le rôle de conseiller.

De même, le Tribunal de grande instance de Paris a jugé, le 29 janvier 2016, qu’une décoratrice d’intérieur devait voir son nom mentionné dans un ouvrage montrant notamment la conception de salons de thé parisiens. Les juges retiennent en effet que son œuvre est originale, en particulier parce que les clichés présentaient « une vision d‘ensemble de la combinaison et de l’agencement des différents éléments qui composent l’espace » et qu’il est possible de retrouver « l’empreinte de sa personnalité à partir des photographies de seulement quelques détails du décor ».

Les problèmes peuvent également surgir quand, en guise de remerciements, l’écrivain et son éditeur ont eu la faiblesse d’indiquer « avec (l’aimable) collaboration de ». Car menace au bout d’une telle imprudence la qualification d’œuvre de collaboration. Or, l’article L. 113-3 du CPI précise notamment que « l’œuvre de collaboration est la propriété commune des coauteurs ».

Et chacun sait que les amitiés ne sont pas toujours pérennes ; elles peuvent même dégénérer rapidement en une volonté judiciaire effrénée de percevoir une part des succès de librairie de ceux que l’on a tant aimés et soutenus.

De même, il arrive que les « prête-plumes » (ceux qu’on appelait autrefois « nègres » ou les interviewers – qui sont des auteurs à part entière selon la jurisprudence – assignent : ils peuvent alors aisément se servir de la mention de leur « participation » pour manifester juridiquement leur amertume.

La décision concernant la collaboration entre Maurizio Cattelan et Daniel Druet, débutée en 1999, est édifiante.

Le premier a commandé au second de nombreuses sculptures en cire, lesquelles ont rencontré un immense succès. Parmi celles-ci, l’on citera notamment Nona Ora,représentant le pape Jean-Paul II écrasé par une météorite, Him, mettant en scène un enfant agenouillé et de dos, et dont le spectateur, après s'en être rapproché, découvre avec stupeur le visage d'Adolf Hitler, Frank and Jamie, représentant deux policiers sur la tête, ou encore Now, où l’on aperçoit le président John Fitzgerald Kennedy à l’intérieur d’un cercueil.

Toutefois, les relations professionnelles entre le sculpteur et l’artiste se sont récemment détériorées. Alors que, en 2016, le galeriste Emmanuel Perrotin et la Monnaie de Paris avaient organisé l'exposition « Cattelan, Not afraid of love », Daniel Druet avait demandé à ce que son nom apparaisse en tant que réalisateur-sculpteur des œuvres de Maurizio Cattelan. Or, les organisateurs de l’exposition ont refusé d’accéder à une telle demande. C’est ainsi que Daniel Druet assigna le galeriste et l’institution en revendication de la paternité de neuf des œuvres exposées.

(à suivre)

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