Le polar, elle a déjà donné. Sigolène Vinson a signé, depuis Bistouri blues en 2007, en collaboration avec le chirurgien Philippe Kleinmann, trois romans au Masque. "Il y en aura peut-être d’autres", dit-elle. L’autofiction aussi, avec J’ai déserté le pays de l’enfance, paru chez Plon en 2011 après pas mal de tribulations éditoriales. Elle y avait raconté sa propre enfance à Djibouti, dans les années 1980, où son père était coopérant. De là son goût pour l’Afrique, où elle a beaucoup bourlingué, pour le brassage des peuples, des civilisations et des religions ("J’ai grandi au chant du muezzin"), et pour les écrivains aventuriers, qui ont sillonné la mer Rouge et la Corne : Rimbaud, Monfreid, Leiris, Gary, ou même Hugo Pratt, qu’elle a croisé une fois là-bas.

Des feuilles ensanglantées

Alors, pas question pour elle, en dépit des sollicitations, d’écrire "à chaud" le récit de la tuerie à Charlie Hebdo, dont elle a réchappé miraculeusement. "Je n’ai pas les mots, confie-t-elle. C’est au-delà de ce que je suis capable d’écrire." Elle publie donc son premier "vrai" roman, qu’elle venait d’achever au moment du drame. "Le 7 janvier, justement, j’étais venue à la conférence de rédaction avec le manuscrit, pour le faire lire à mon ami Bernard Maris à qui je l’ai dédié. C’est ça, les feuilles ensanglantées répandues sur le sol, que l’on a vues à la télé."

Le titre de cette fiction, Courir après les ombres, prend aujourd’hui une résonance sinistre. "Je voulais l’appeler Le collier de perles, assure Sigolène Vinson, mais c’était déjà pris par Régine Deforges !" Le "collier de perles", ce sont ces positions économiques et stratégiques que les Chinois sont en train de se tailler partout, en Asie et en Afrique notamment. Le héros du roman, Paul Deville, un économiste qui a rompu avec sa vie d’avant pour torpiller à sa façon le capitalisme qu’il déteste, explore la zone pour une multinationale chinoise. Prétexte, pour ce romantique, à de belles amitiés humaines, comme avec Harg, un Afar qu’il entraîne dans ses aventures improbables. Il s’agit de renflouer LePingouin, un aviso français qui a coulé dans le port de Djibouti à la fin du XIXe siècle, ou de rechercher inlassablement les mythiques "écrits jamais écrits" de Rimbaud, le gourou de la romancière, avec le Victor Hugo des Travailleurs de la mer ou Balzac, "précurseur de Marx". Le roman est nerveux, le style superbe.

Dans une vie antérieure, Sigolène Vinson, militante d’extrême gauche, a été avocate "travailliste" pour défendre les droits des salariés. Elle plaidait aussi en correctionnelle pour des assistés juridiques. Une expérience qui lui a valu d’entrer à Charlie en septembre 2012 grâce à Patrick Pelloux, qui avait aimé J’ai déserté le pays de l’enfance, en tant que chroniqueuse judiciaire. Elle y écrit encore, sous assistance psychologique, comme les autres, mais à visage découvert, et sans protection rapprochée. " Inch Allah, comme on dit chez moi. Mais je ne comprends toujours pas pourquoi je suis en vie." Jean-Claude Perrier
 

Sigolène Vinson, Courir après les ombres, Plon, Prix : 16 euros, 200 p., Sortie le 20 août, ISBN : 978-2-259-22957-9

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