Propriété intellectuelle

Un droit à l'image au profit des "domaines nationaux"

Un droit à l'image au profit des "domaines nationaux"

L’Etat vient de décerner le label de « domaine national » à cinq sites : le Palais de l’Île de la Cité, celui du Palais-Royal, et les châteaux de Vincennes, Pierrefonds et Coucy. Mais, que l’œuvre soit encore protégée ou non au titre de la propriété littéraire et artistique, il existe désormais un droit au profit du propriétaire matériel. Il convient alors de bien encadrer  l'usage de leur image.

L’Etat vient de décerner le label de « domaine national » à cinq sites, leur accordant un droit sur la gestion de leur image qui est ainsi monnayable.

C’est la loi du 7 juillet 2016 « relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine » qui a instauré en son article L. 621-42 une autorisation préalable du gestionnaire du lieu pour toute utilisation de l’image des immeubles inscrits dans le périmètre d’un domaine national.

L’avis du ministère de la Culture est validé par la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture en raison d’un « lien exceptionnel avec l’histoire de la Nation ». Les nouveaux sites sont ceux de du Palais de l’Île de la Cité, du Palais-Royal, des châteaux de Vincennes, Pierrefonds et Coucy. Ils s’ajoutent au Palais de l’Elysée, au Louvre, aux Tuileries, au Palais du Rhin, aux châteaux d’Angers et de Pau, sans oublier le domaine de Chambord.

Ce sont les aventures judiciaires de celui-ci qui ont motivé cette appellation. Car la Cour d’appel de Nantes a rendu, le 16 décembre 2015, un arrêt très méticuleux sur le statut des images de biens dans un litige qui opposait Les Brasseries Kronenbourg à Chambord, le château ayant servi de décor à une publicité pour la bière « 1664 ».

Le directeur général de l'établissement public du domaine national de Chambord avait indiqué à l'agence de communication chargée par la société d'effectuer les prises de vue, que l'utilisation de l'image du château de Chambord à des fins de publicité commerciale constituait une utilisation du domaine public justifiant le versement d'une contrepartie financière sur le fondement. 

Question de méthode

Mais les discussions entre les parties n'avaient pas abouti sur le montant de cette contrepartie, ; et le directeur avait transmis à Kronenbourg deux états de sommes dues ayant pour objet : «  occupation du domaine public : indemnité due au titre de prises de vue du château à des fins commerciales », puis évoquant l’exploitation notamment numérique de ces images.

Les juges ne contestaient pas le principe d’un droit à l’image des biens monnayable, mais la méthode.

Ils rappelaient en effet que, aux termes  du Code général de la propriété des personnes publiques, « Nul ne peut, sans disposer d'un titre l'y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d'une personne publique (…) dans des limites dépassant le droit d'usage qui appartient à tous »  et que « toute occupation ou utilisation du domaine public d'une personne publique (…) donne lieu au paiement d'une redevance ». 

Mais ils considéraient que « pour la réalisation des prises de vue, le château de Chambord, lequel relève du domaine public immobilier de l'Etat, aurait été, le temps de ces photographies, soustrait à l'usage de tous » et « que, par suite, en l'absence d'un usage privatif de ce domaine public, l'établissement public du domaine national de Chambord ne pouvait légalement réclamer aucune redevance domaniale de ce chef ».

Autorisation préalable

Ils soulignaient toutefois qu’« afin d'éviter à tous égards qu'il n'y soit indirectement porté atteinte de manière inappropriée, les prises de vue d'un immeuble, appartenant au domaine public d'une personne publique, à des fins de commercialisation des reproductions photographiques ainsi obtenues ou d'association de ces reproductions à des produits dans le cadre d'opérations de publicité commerciale, requièrent une autorisation préalable délivrée par le gestionnaire de ce domaine dans le cadre de ses prérogatives de puissance publique ; que cette autorisation peut prendre la forme d'un acte unilatéral ou d'un contrat ; que la décision unilatérale peut être assortie notamment de conditions financières sous réserve qu'elles aient été préalablement légalement déterminées ; que de telles conditions peuvent également être prévues par le contrat conclu entre les parties » .

En clair, tout cela relevait donc du secteur des contrats de droit privé, qui peuvent être négociés et jugés par les juridictions de l’ordre judiciaire.
Pour mémoire, aux termes de l’article L. 111-3 du Code de la propriété intellectuelle, « la propriété incorporelle (...) est indépendante de la propriété de l’objet matériel. L’acquéreur de cet objet n’est investi, du fait de cette acquisition, d’aucun des droits prévus par le présent code ». 

Cela signifie que le propriétaire du support matériel d’une œuvre (un tableau, un tirage original, etc.) ne dispose pas des droits d’exploitation sur cette œuvre, sauf s’il en est stipulé autrement dans le cadre d’un contrat conclu avec l’auteur ou ses ayants droit. 

Cette règle dite d’indépendance des propriétés intellectuelle et matérielle s’applique quel que soit le cas de figure dans lequel l’œuvre a été acquise : commande publique, vente aux enchères, etc.

Droit au profit

C’est donc aux créateurs ou à ses ayants droit qu’il faut en général s’adresser quand l’œuvre n’est pas encore tombée dans le domaine public (c’est-à-dire en général jusqu’à soixante-dix ans après la mort de l’auteur). Mais, que l’œuvre soit encore protégée ou non au titre de la propriété littéraire et artistique, il existe désormais un droit au profit du propriétaire matériel.

C’est ainsi que les musées ou certains collectionneurs monnayent une sorte de « droit d’accès » à leur propriété.

La loi de 2016 renforce ce mécanisme au profit de ces onze premiers « domaines nationaux ».

Mais les tribunaux peuvent aussi se prononcer en sa faveur dans d’autres situations d’exploitation d’images. C’est ainsi que, l e19 mai 2021, le Tribunal judiciaire de Nanterre a rendu une décision favorable à l’exploitant du Château Lafon-Rochet, surtout connu pour son… Saint-Estèphe.

Une société spécialisée dans l’immobilier de haut-de-gamme avait reproduit l’image du bâtiment, qui figure par ailleurs sur les étiquettes de ses dives bouteilles, en couverture d‘un magazine sur les tendances et perspectives de l’année.

L’exploitant estimait que cette illustration lui causait un trouble anormal laissant penser que le  château était en vente. Les juges sanctionnent cette exploitation non autorisée qui a, selon eux, déstabilisé, « au moins localement et temporairement, l’image dudit château dans la profession et ce concomitamment à la mise en vente de la cuvée ».   

Insistons enfin sur la pratique des propriétaires de biens mobiliers qui négocient en plus de ce droit d'accès un véritable droit d’auteur sur les clichés de leurs biens quand ils les ont réalisés ou fait réaliser par leurs propres photographes. Un droit à l’image ainsi qu’un droit d’auteur s’appliquent ainsi alors même que l’œuvre initiale (tableau, sculpture, etc.) appartient au « domaine public » (dans tous les sens juridiques du terme).  
 
 
 

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