Avant-portrait

C'est un drame intime qu'elle avait gardé enfoui depuis son adolescence. En 1985, dans l'un de ces dîners en ville où sa mère, attachée de presse dans l'édition et qui, divorcée, élevait seule sa fille, l'emmenait régulièrement, Vanessa Springora rencontre celui qu'elle désigne par cette simple initiale, G. Un écrivain sulfureux, admiré, contesté également, à cause de l'étalage complaisant qu'il fait dans ses livres de sa vie intime, de son attirance pour « les moins de seize ans » des deux sexes. Il a cinquante ans, des airs de bonze, des manières raffinées, et s'adresse à elle comme un homme à une femme.

Corps et âme

« Je suis tombée très amoureuse de cet homme », avoue-t-elle. Un amour fou, transgressif, qu'elle va vivre durant plus d'un an, s'offrant à lui corps et âme. Ils habitent même un temps ensemble à l'hôtel, s'affichent au Quartier latin, où vit sa mère, et où tout le monde les reconnaît. Sa mère, justement, qui croit au début à cet amour romanesque et dit à sa fille, raconte celle-ci : « Je ne t'interdis rien ». Mais l'idylle tourne au cauchemar lorsque la jeune fille découvre que son amoureux est par nature infidèle, qu'il en fait même profession, et qu'il balance tout dans ses livres. Elle se sent trahie, salie. En 1993, il fera même d'elle l'héroïne d'un roman, La prunelle de mes yeux, sous le nom de Vanessa S. « Tout le monde m'a reconnue, dit-elle, cela a été pour moi un séisme ».

Elle se tait, poursuit des études chaotiques, entame un processus d'autodestruction, une thérapie. Mais, surtout, elle conçoit un rejet absolu de l'univers où évolue celui qu'elle qualifie désormais de « prédateur » : le livre. « Il m'a dégoûtée de la littérature », dit-elle. Alors qu'elle avait grandi dans l'édition, croisé Umberto Eco, Gabriel Garcia Marquez ou Lucien Bodard chez sa « presque sœur » Ariane Fasquelle, un jour qu'elle effectuait un stage chez P.O.L., elle craque au bout de 24 heures. Crise d'angoisse. Elle ira travailler dans l'audiovisuel, la télévision (Arte), avant de partir vivre au Mexique. A son retour en France, elle réalise un documentaire, Dérive (2005, jamais diffusé) sur l'arrière-petit-fils de Jean Paulhan, devenu SDF, puis, pour des raisons alimentaires (en couple, avec un fils), finit par entrer chez Julliard comme assistante d'édition à mi-temps. Elle y est toujours, maintenant directrice littéraire.

Quant à son calvaire, elle a mis bien du temps avant d'oser le raconter, l'écrire de façon directe, voire crue, encouragée par le phénomène #metoo, la libération de la parole des femmes abusées sexuellement. Bien sûr, ainsi que le titre de son livre l'indique, elle n'a pas été forcée ni contrainte. « Consentement », donc, mais pas vraiment « éclairé ». Surtout « double prédation : de mon corps et de mon âme. Le plus destructeur, c'est de se retrouver dans un livre ». Elle a décidé de « rendre à G. la pareille », de « lui répondre par l'écriture », afin de tourner la page, dans tous les sens du terme. Son texte, dont Olivier Nora fut le premier lecteur, paraît chez Grasset, « l'un des éditeurs qui n'ont jamais publié G. ». C'était une condition sine qua non.

Maintenant qu'elle s'est libérée, délivrée, Vanessa Springora va pouvoir continuer à écrire, peut-être un livre sur sa famille maternelle, des Sudètes tchèques dont l'histoire est assez romanesque, semble-t-il. Quant à sa mère, qui « s'est rendu compte qu'elle n'avait pas fait à l'époque tout ce qu'elle aurait pu faire, elle a lu (son) livre et soutient (sa fille) à fond ».

Vanessa Springora
Le consentement
Grasset
Tirage: Array
Prix: 17 euros
ISBN: 9782246822691

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