Un homme, jeune, entre deux femmes. Avec une troisième qui attend son heure. L'homme, c'est Anton, un gars de vingt ans qui, au pied de la ligne bleue des Vosges, espère que quelque chose advienne dans sa vie. La première femme, c'est Leen, une étudiante à qui il est au moins arrivé cela : l'amour qu'elle lui porte. La deuxième est surnommée "L'Elégante", c'est une moto. Une Triumph de grosse cylindrée, de couleur "phantom black", pour laquelle Anton oubliera tout, jusqu'à la couleur des jours, pour l'heure indécise des fins de nuit où, sur les routes désertes, il est possible de filer comme le vent. Anton, qui roulait en Norton, s'est séparé de son meilleur ami puisqu'il préférait les italiennes, de son amour, faute de savoir apprécier le sourire de la vitesse, et a troqué sa vie (mais quelle vie... l'ennui d'une petite ville de province, d'un travail de bureau, l'étroitesse des songes) pour un blouson de cuir et un casque intégral. Et comme, en plus, il est possesseur d'un Smith & Wesson 357 et que rien, pas même sa Triumph, ne va plus vite qu'une balle, alors bien sûr, dans ces conditions, la troisième femme, c'est la mort.

Clichés que tout cela... Oui, mais Sylvain Coher, dont ce Carénage, requiem pour coeurs brisés et carrosserie froissée, est le sixième roman (les précédents étant parus chez Joca Seria, Naïve et Argol), sait qu'il y a une vérité du cliché. Une vérité essentielle portée par une poétique et une écriture dont le lyrisme n'exclut pas la précision. Ce pourrait être un livret d'opéra. C'est un roman, qu'importe. Il ne se passe rien dans ces pages, juste un type qui fuit dans la nuit, une femme qui attend, une odeur d'essence et de draps froissés... Depuis le très beau Route royale de Stéphanie Polack (Stock, 2007), jamais la vitesse, ce qu'elle nous apprend, n'avait été ainsi dévisagée. C'est un tour de force que le temps long de l'écriture parvienne ainsi à nous entreprendre de fulgurance, de cette pensée faite chair qu'est la vitesse. Ou son souvenir.