3 septembre > Essai Allemagne

"La proportion de vies malheureuses dans l’histoire de la littérature autrichienne est tout sauf rassurante." Winfried Georg Sebald (1944-2001) ne cherche d’ailleurs pas à nous rassurer. Cet Allemand spécialiste de la catastrophe, mort à 57 ans dans un accident, s’est illustré par quelques livres majeurs comme Les émigrants (1999), Austerlitz (2002) ou De la destruction comme élément de l’histoire naturelle (2004), tous publiés chez Actes Sud.

Voici donc en quelque sorte une immersion dans la matrice du désespoir, la littérature autrichienne, avec Vienne qui fut longtemps une ville où l’on pensait le monde en le regardant s’effondrer. C’est ici que s’élaborèrent la psychanalyse, la transgression des limites, une culture du malaise d’où sont sortis tant de chefs-d’œuvre.

Dans ce creuset fascinant, le progrès n’est envisagé que comme un solde de tout compte. Ecrire devient une forme de résistance par la mélancolie, la dérision, l’absurde ou le rire grinçant. On n’a plus peur d’être mouillé une fois qu’on est dans l’eau. Avec la littérature autrichienne, c’est pareil. Sauf que le fleuve s’appelle Danube, qu’il charrie des histoires pas toujours très bleues, mais qu’il offre des voyages inédits. Voici donc Adalbert Stifter le morose, Arthur Schnitzler le psychologue, Robert Musil le dépressif, Thomas Bernhard le pessimiste ou Handke le fatigué. Bienvenue dans cette grande négativité triomphante que viennent traverser l’ami tchèque Franz Kafka et le bulgaro-suisso-britannique Elias Canetti, grand démonteur du passé.

Dans ce spleen, quelques thèmes se dégagent : la présence de la mort, la violence faite à la nature, la prostitution urbaine, la déliquescence de la culture bourgeoise, la femme diabolique, etc. Sebald nous montre une littérature qui prend l’histoire à la gorge. C’est aussi, et ce n’est pas étonnant de la part de cet archéologue de la mémoire, un bel essai sur l’intelligence du roman qui transforme la réflexion en récit. Les bouquets coruscants se distinguent toujours mieux sur fond noir. L. L.

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