Entretien

Le président du Syndicat national de l'édition (SNE), Vincent Montagne, détaille les évolutions de Livre Paris après que plusieurs éditeurs majeurs ont annoncé leur absence à sa prochaine édition.

Livres Hebdo : Comment réagissez-vous à la défection du groupe Madrigall pour le prochain salon Livre Paris ?

Vincent Montagne : Antoine Gallimard m'a parlé très en amont de son intention de réduire sensiblement la présence de son groupe en se limitant au format poche. Il m'a demandé ce que j'en pensais. Je le sais très attaché à Livre Paris. En tant qu'ancien président du SNE, il a lui-même présidé le salon avant moi et a donc une idée très précise de ce qui s'y fait et de sa complexité. Une telle décision s'inscrit dans un ensemble d'arbitrages, notamment économique et humain. La multiplication des festivals et la dimension de plus en plus internationale de notre métier nous amènent à être un peu partout en même temps. Il faut donc comprendre sa décision dans la globalité d'une stratégie, alors que le salon vit en parallèle ses propres évolutions.

Quel type d'évolutions ?

V. M. : Il n'a jamais été aussi facile d'acquérir par internet n'importe quel livre de fonds des maisons d'édition historiques. Cette évolution a changé une partie de l'identité du salon, qui était historiquement une grande librairie de 6, puis de 5 et maintenant de 4 jours offrant la possibilité d'aller à la découverte des catalogues des éditeurs. Durant de nombreuses années, la tradition au Salon était que les grands lecteurs profitaient de cette manifestation pour mettre à jour leurs collections. Il est clair que nous réalisons maintenant moins de chiffre d'affaires, particulièrement en littérature, sur nos fonds. Le lectorat évolue et le public de Livre Paris aussi.

Le nombre grandissant de maisons absentes ne traduit-il pas un essoufflement de la formule, voire un désamour ?

V. M. : Ce qui s'essouffle pour l'instant, ce qui s'érode, c'est la rentabilité du secteur. Le chiffre d'affaires stable de la profession (+2% en 2019) camoufle une réelle dégradation économique. Et l'internationalisation accentue ce phénomène en défavorisant les auteurs français dont la rémunération unitaire baisse davantage. Quand vous avez une rentabilité qui s'érode, vous essayez logiquement de réduire les charges pour ne pas être en difficulté. Ce que vous appelez un désamour, est tout d'abord un arbitrage sur le plan économique. Certes, aucun éditeur ne va à Livre Paris en se disant qu'il va faire du bénéfice. C'est un investissement lourd et collectif des éditeurs. C'est leur salon, au service de la profession, de sa représentativité et de la filière livre en général. Beaucoup de professionnels reconnaissent l'utilité du Salon et réaffirment leur enthousiasme pour Livre Paris. Même si le nombre de m2 loués baisse, le nombre de participants est stable avec de nouveaux arrivants. On assiste à un rajeunissement du public. Ce qui rend compte de la progression des secteurs jeunesse et BD, quand, auparavant, la littérature adulte tenait le haut du pavé.

Rejoignez-vous donc Antoine Gallimard lorsqu'il explique, pour justifier son retrait, qu'au-delà de la concurrence avec d'autres salons, « Livre Paris est devenu un salon grand public à coloration jeunesse » ?

V. M. : Oui ! Je partage son analyse et je trouve que nous devons aussi être fiers de voir arriver en masse un lectorat rajeuni, qui parcourt les allées et vient acheter des BD et aussi des livres de 600 pages de New Romance par exemple. Cela fait partie de l'évolution de notre secteur. N'est-ce pas également une forme de littérature ? J'espère d'ailleurs que ce jeune public sera ainsi conquis pour découvrir la diversité éditoriale du Salon et les livres de poche de la maison Gallimard ! Il y a incontestablement une profonde évolution. Mais il nous faut admettre que cette dernière vient plus de la réalité des lecteurs et du marché que de l'organisation du salon.

Quelles réponses apportez-vous, en tant qu'organisateur de ce salon, à cette évolution ?

V. M. : Chaque année, nous renouvelons et améliorons l'éditorialisation de Livre Paris. Comme on peut le voir, les conférences et tables rondes font salle comble. Les allées du Salon sont noires de monde, particulièrement le week-end. Mais les professionnels sont anxieux, notamment lorsque la disparité de fréquentation des signatures d'auteur engendre un vrai spleen et que certains stands n'ont pas les fréquentations attendues. Nous allons continuer à travailler pour trouver des réponses adaptées. Nous ne sommes pas les seuls à nous poser des questions. Il ne vous a pas échappé qu'un certain nombre de salons en province font face à des difficultés.

Faire payer l'entrée ne freine-t-il pas l'achat ?

V. M. : Je ne le crois pas, ni en fréquentation, ni à l'achat. Chaque fois qu'on passe à la gratuité, à Bruxelles par exemple, cela augmente la fréquentation la première année, mais pas le volume unitaire d'achat. Et la seconde année, la fréquentation baisse à un niveau comparable. Il y a une obsession française de la gratuité. En Allemagne, la plupart des manifestations culturelles concernant le livre sont payantes et permettent de rémunérer les auteurs et ayants droit. Et n'oubliez pas qu'à Paris, l'entrée est gratuite pour les moins de 18 ans.

Foire, salon, festival littéraire : comment définiriez-vous Livre Paris aujourd'hui ?

V. M. : C'est une question difficile. Il s'agit du salon du livre en France qui rassemble le plus de visiteurs. Plus de 160 000 l'an dernier, en hausse sur 2017. Il y a donc une dimension populaire, généraliste et nationale. Et j'ajouterais politique et internationale. La défense de la langue française dans le monde est essentielle pour le rayonnement de nos auteurs et de notre culture. Durant 4 jours et grâce à plusieurs centaines de tables rondes et de conférence, le salon fait rayonner la littérature sous toutes ses formes. C'est l'une des raisons qui explique l'explosion depuis 15 ans du nombre de pays désireux de participer et d'être invités. Jean-Yves Le Drian estime que la culture n'est plus aujourd'hui du soft power, mais du hard power. Livre Paris est au cœur de la stratégie des industries culturelles et créatives.

La présence de nombreux invités internationaux, dont les stands ne cessent de grossir alors même que Livre Paris n'est pas une foire de droits, ne contribue-t-elle pas à brouiller l'image de la manifestation ?

V. M. : Comme je viens de le dire, il y a une dimension culturelle et politique forte dans cette manifestation. Et c'est très important pour les éditeurs. L'invitation de l'Italie en 2021 s'inscrit par exemple dans cette démarche. Nous avons pris cette décision avec le président des éditeurs italiens, inquiet de la désagrégation culturelle européenne et soucieux que son pays puisse resserrer les liens culturels avec la France. Une nouvelle loi votée la semaine dernière au Sénat italien vient précisément de limiter la remise sur le prix du livre à 5 %. La politique du livre en France est assez exemplaire à cet égard et souvent suivie. Je pense aussi à Shanghai, que nous avions invitée comme ville d'honneur en 2014. Son maire nous a demandé de l'aider à lancer un salon du livre jeunesse. Nous les avons accompagnés dans cette mise en place. Le salon jeunesse de Shanghai devient aujourd'hui très important. Il l'est donc aussi pour les éditeurs français qui peuvent céder et promouvoir leurs titres là-bas. (Peut-être plus difficilement en ce moment !)

Le contrat de Reed-Expositions pour l'organisation de Livre Paris arrive bientôt à échéance. Ce partenariat se poursuivra-t-il et dans quelles conditions ?

V. M.  : Le contrat avec Reed se termine après l'édition de mars 2021 de Livre Paris. Les conditions de notre partenariat ne changeront pas d'ici là. Le SNE est propriétaire de l'événement. Il appartiendra donc en temps voulu au Bureau du SNE de se prononcer sur ce qu'il attend de Livre Paris et de son évolution souhaitable. Ainsi que de la façon dont il envisage un partenariat avec un opérateur.

Certains éditeurs estiment que le coût qu'ils jugent élevé d'un stand à Livre Paris s'explique par le fait que la manifestation alimente une bonne part du budget du SNE. Quelle part de ce budget provient du salon ?

V. M. : C'est une part minoritaire. Le tarif exposant des adhérents du SNE à Livre Paris (entre 205 et 212 € le m2 selon la date de réservation) est déjà très bas comparé à d'autres événements. Les autres salons organisés à la Porte de Versailles sont plutôt entre 300 et 1 000 € le m2. La rentabilité indispensable du Salon, comme de toute activité économique, est indépendante de la vie de notre syndicat. 

Les dernières
actualités