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Auteurs: le statut de la liberté

Olivier Dion

Auteurs: le statut de la liberté

Rattachés au régime des salariés mais cependant indépendants, les auteurs s’inquiètent de la dégradation de leur statut social à l’occasion de plusieurs réformes. Ils entendent susciter une prise de conscience et trouver des solutions en organisant des états généraux du livre mardi 22 mai à Paris.

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Par Hervé Hugueny,
Créé le 18.05.2018 à 10h04

"Par essence, nous sommes des solitaires, on communique peu, mais nous relevons le nez de nos ordinateurs, et nous prenons conscience que quelque chose ne va pas dans nos conditions de travail. Il n’est plus possible de rester dans son coin, c’est maintenant qu’il faut agir, ou on va tous disparaître", s’alarme Erik L’Homme. Auteur de best-sellers en littérature jeunesse (Le livre des étoiles, Gallimard Jeunesse), il ne s’estime pourtant pas à plaindre par rapport à d’autres, mais constate depuis quatre ans une nette baisse de ses droits, aggravée par des hausses de charges sociales et fiscales. Et il n’hésite plus à en parler.

Illustration de Denis Bajram pour les états généraux du livre.

Quantité négligeable

Sa situation, liée à la stagnation du marché alors que la production a sensiblement augmenté, est partagée par de nombreux auteurs et confirmée par l’étude de 2016 sur l’évolution de leurs droits (1). Or un ensemble de réformes pourrait la dégrader: celle du régime social des auteurs (retraite de base et retraite complémentaire des artistes et auteurs professionnels, RAAP), et d’autres plus générales (hausse de la CSG, impôt à la source, formation professionnelle), dont l’application risque de produire des effets non anticipés sur les premiers acteurs de la chaîne du livre, qui se sentent ignorés des pouvoirs publics. En revanche, alors qu’ils demandent depuis longtemps une révision et une simplification de la circulaire de 2011 sur les revenus connexes, ils n’obtiennent pas d’avancée.

D’où l’organisation par le Conseil permanent des écrivains, mardi 22 mai à la Maison de la poésie, à Paris, de ses premiers états généraux du livre, consacrés au statut social de l’auteur. Le dessin de l’affiche de la manifestation résume le sentiment général: une Marianne, pas mauvaise fille malgré tout car elle porte quand même ce dossier social sous le bras, émet un petit "oups" à peine désolé alors qu’elle piétine lesdits auteurs. Invitées à ces états généraux, la ministre des Solidarités et de la Santé et la directrice de la sécurité sociale ont décliné la proposition et n’ont délégué aucun représentant. Publiée le 9 mai, une "Lettre ouverte aux absents des états généraux du livre", signée de Pascal Ory, président du CPE, n’a produit aucun effet chez les responsables interpellés.

Tandis que le CNL finance les états généraux, plusieurs représentants du ministère de la Culture se dévoueront donc pour jouer les intermédiaires entre les administrations et les auteurs, qui demandent au minimum concertation, explication et adaptation des réformes à leurs particularités. Au nom d’une interprétation sociale de l’exception culturelle, ils bénéficient du statut de salariés, plus protecteur et moins coûteux que celui des indépendants, alors que les conditions d’exercice de leur activité pourraient les y rattacher, ce qui nécessite une gestion délicate de chaque changement. "C’est très préoccupant, nous n’avons aucune information sur les modalités d’application de toutes ces réformes, aucune discussion avec les ministères concernés, qui tiennent le ministère de la Culture à l’écart", regrette Marie Sellier, présidente de la Société des gens de lettres (SGDL). "Un bouleversement complet du régime social a été décidé sans concertation, malgré une promesse de travaux communs formulée en septembre dernier", ajoute Samantha Bailly, présidente de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse, une catégorie où le sentiment de précarité est exacerbé par la faiblesse du taux des droits par rapport à d’autres secteurs (5,2%, contre 8,5% en littérature). "Ces réformes sont menées sans consultation des auteurs, et sans prendre en compte les réalités du métier", déplore Marc-Antoine Boidin, vice-président du Snac-BD.

Agir au plus tôt

Unanimement regrettée, cette absence d’échanges et d’explications nourrit une impression d’indifférence, alors que des engagements sont pourtant tenus. Ainsi, comme Françoise Nyssen, ministre de la Culture, l’avait assuré fin novembre, la hausse de la CSG, passée cette année de 7,5 à 9,2%, sera bien compensée. Le ministère a exceptionnellement budgété 18 millions d’euros pour rétrocéder à l’ensemble des 260 000 artistes-auteurs le solde de 0,95% de la hausse de l’impôt qui restait à leur charge. Pour les salariés du privé, l’opération sera même positive, après suppression de la cotisation chômage, solution impossible pour les artistes-auteurs qui n’ont pas droit à cette assurance et ne cotisent donc pas. Une lacune du dispositif finalement réparée, mais exemplaire de ce que l’affiche des états généraux symbolise: Oups! "Et nous demandions juste un maintien de notre pouvoir d’achat, alors que l’ensemble des salariés bénéficiera d’une progression", souligne Marie Sellier.

La mécanique du reversement reste à définir, avec l’objectif d’agir au plus tôt, mais sans demander l’impossible aux organismes qui en seront chargés. Reste à trouver une solution pérenne pour les années suivantes. Une mission de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et de celle des affaires culturelles (Igac) doit s’en charger. Elle devrait être lancée prochainement, et les inspecteurs mobilisés auront du travail pendant l’été si leur rapport doit être prêt pour le prochain débat budgétaire. Quant au prélèvement de l’impôt à la source, sa mise en œuvre reviendrait à une mensualisation obligatoire du paiement, ce qui posera des problèmes en raison des variations parfois fortes de droits, et de leur décalage à cause du rythme annuel des redditions de comptes.

La réorganisation du système des retraites, de base et complémentaire, suscite autant de questions, toujours faute de dialogue. L’instauration du paiement au premier euro pour la retraite de base, pour tous les auteurs, simples assujettis ou affiliés à l’Association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs (Agessa), sera effective au 1er janvier prochain. C’était la première des 28 recommandations d’un rapport conjoint de l’Igas-Igac remis en juin 2013. Elle semblait oubliée, mais elle est ressortie dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, voté à l’automne. A cette occasion, la collecte de l’ensemble des cotisations sera retirée à l’Agessa (ce qui interroge sur son avenir) et confiée à l’Urssaf du Limousin, qui s’occupe depuis 2014 du recouvrement contentieux et obtient de très bons résultats.

L’objectif est d’améliorer la protection sociale des auteurs, dont une partie ne cotise pas pour la retraite faute d’un dispositif clair. Mais cette solution, qui supprimera la distinction entre assujettis et affiliés, amputera notamment les revenus des retraités qui touchent encore des droits sans améliorer leur pension. Il faudra aussi rembourser les auteurs exerçant un autre métier, déjà couverts, et au plafond de cotisation.

Un vrai statut

La réforme de la RAAP, nécessaire par rapport à la réglementation européenne, doit améliorer la retraite complémentaire des auteurs, mais elle se traduit dans l’immédiat par une augmentation des prélèvements jusqu’à 8%, soit l’équivalent d’un mois de droits, étalée jusqu’en 2020. "La Sofia abondera toujours 50 % des cotisations des auteurs, elle y consacre déjà plus de 800 000 euros par an", précise Alain Absire, président de la société de gestion du droit de prêt.

Au-delà de ces constats, ces états généraux du livre doivent aussi explorer des solutions pour envisager un vrai statut d’auteur. Côté recettes, un droit sur les ventes d’occasion, similaire à celui du droit de suite dans les reventes d’œuvres artistiques, est évoqué, de même qu’un droit sur les livres du domaine public. Une hausse des cotisations des éditeurs, limitées à 1,1%, est aussi mentionnée. Pour Samantha Bailly, "les auteurs sont à la base de toute l’économie du livre, leurs œuvres sont un réservoir pour d’autres secteurs de l’industrie culturelle, si on ne les protège pas, c’est un manque de responsabilité économique et civique".

(1) "La situation économique et sociale des auteurs du livre", DGMIC, 2016.

87 500 auteurs de l’écrit recensés par l’Agessa en 2016

Illustration tirée du Métier d’auteur, une BD très didactique qui met en images les questions techniques et la situation économique des auteurs. L’ouvrage est signé Samantha Bailly (idées, texte et scénario) et Miya (découpage et dessin), et- Photo SAMANTHA BAILLY/MIYA

L’Association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs (Agessa) constitue la principale source de données sur la population des auteurs de livres, mais celle-ci est si diversifiée qu’elle ne peut la recenser de façon exhaustive. Ses rapports annuels, dont le dernier publié en 2016, donnent néanmoins une idée de son évolution.

Les auteurs, rassemblés dans trois catégories principales - écrivains, illustrateurs (bande dessinée et jeunesse) et traducteurs -, seraient 87 500 dont les droits versés par les éditeurs ont donné lieu à des cotisations sociales, soit 4,1% de plus qu’en 2013. En réalité, le chiffre est plus important, car certains auteurs rémunérés au titre d’une autre activité principale (photographes, auteurs de théâtre, scénaristes pour l’audiovisuel, notamment) publient aussi des livres. L’étude sur "La situation économique et sociale des auteurs du livre" (DGMIC, 2016) les estimait ainsi à 101 600 en 2013. Le chiffre n’a pas été actualisé. Il faudrait ajouter aussi des auteurs-artistes des arts plastiques et graphiques, recensés à la Maison des artistes (MDA) et pour lesquels aucune estimation n’a pu être établie.

L’Agessa classe les auteurs en deux catégories: les affiliés, dont les revenus dépassent 900 fois le smic horaire (8 649 euros en 2016), ce qui leur donne accès à la protection sociale des artistes auteurs, et les assujettis, qui perçoivent des droits inférieurs à ce seuil, ou qui n’ont pas demandé à être affiliés bien qu’ils reçoivent un montant de droits suffisants, car ils exercent une autre activité leur assurant déjà une couverture sociale. Les affiliés sont bien moins nombreux (5 736) que les assujettis (81 785), mais leurs effectifs progressent plus vite: + 10,6%, contre + 3,7%.

Le rapport d’activité de l’Agessa ne détaille pas le niveau de revenu des auteurs de l’écrit. Les deux populations sont toutefois très différentes, selon l’étude de la DGMIC, avec une précarité certaine chez une partie des affiliés, et une tendance évidente à la dégradation au cours des dernières années.

Le CPE, de la coordination à la négociation permanente

 

Créé en 1979 et à l’origine du premier code des usages dans l’édition, le Conseil permanent des écrivains rassemble 18 associations, syndicats ou sociétés d’auteurs.

 

Marie Sellier. En 2012, son arrivée à la présidence du CPE en même temps que celle de Vincent Montagne à la tête du SNE, tous deux décidés à obtenir des compromis, ont permis de sortir de l’impasse.- Photo OLIVIER DION

Organisateur des états généraux du livre, mardi 22 mai, le Conseil permanent des écrivains (CPE) est redevenu le représentant légitime et reconnu des auteurs de l’écrit dans leurs relations avec les pouvoirs publics et les éditeurs. Créé en 1979, présidé depuis l’an dernier par l’historien Pascal Ory, il ne compte pourtant ni permanents, ni adhérents individuels. Mais, hébergé par le Syndicat national des auteurs et des compositeurs (Snac), rue Taitbout à Paris, il rassemble 18 associations, syndicats ou sociétés d’auteurs, y compris de gestion de droits, de sensibilités très diverses.

"L’objectif était de créer une sorte de bureau de liaison, une coordination entre les différentes composantes représentant les auteurs de l’écrit", explique Emmanuel de Rengervé, délégué général du Snac et trésorier du CPE. La composition du bureau recoupe celle de ses composantes les plus actives, ou disposant de permanents pour s’y faire représenter (Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse, Saif, Snac BD, Scam, SGDL).

Le chantier fondateur du CPE a été celui du "Code des usages en matière de littérature générale", négocié en 1979-1980 avec le Syndicat national de l’édition (SNE), qui a notamment abouti à la suppression de la "passe", une amputation systématique de 10% des droits d’auteur, se souvient Yves Frémion. Aujourd’hui retraité, celui-ci est toujours délégué du Self au CPE, où il est présent depuis l’origine et qu’il a présidé pendant six ans, jusqu’en 2007. Le Conseil avait fait aussi entendre la voix des auteurs lors de la discussion de la loi sur le prix du livre en 1981, négocié un abattement fiscal sur les droits d’auteur (supprimé en 2001), participé à l’instauration du droit de reprographie, discuté de la retraite complémentaire et de la rémunération au titre du droit de prêt. Mais, dans les années 1990, des dissensions sont apparues. Plusieurs adhérents ont pris leurs distances, notamment la SGDL, avant de reprendre contact au début des années 2000.

Obtenir des compromis

L’irruption du numérique a véritablement relancé le Conseil au milieu des années 2000. Initiées par la SGDL, les négociations sur les droits numériques avaient piétiné, jusqu’à ce qu’il apparaisse judicieux de remettre le CPE dans la boucle. Ainsi regroupés, les auteurs ont reconquis une visibilité médiatique. Le ton des communiqués est monté. La prolongation de la mission de Jean-François Sirinelli, chargé de conduire le groupe de travail entre auteurs et éditeurs, les fermes consignes d’Aurélie Filippetti, ministre de la Culture en 2012, et l’arrivée la même année de Marie Sellier à la présidence du CPE et de Vincent Montagne à celle du SNE, tous deux décidés à obtenir des compromis, d’abord dans leur organisation respective, ont permis de sortir de l’impasse.

La signature de l’accord-cadre sur le contrat d’édition à l’ère du numérique le 21 mars 2013 par Marie Sellier et Vincent Montagne a donné sa légitimité actuelle au CPE. A contrario, la numérisation des livres indisponibles, dossier sur lequel le Conseil est resté silencieux faute de consensus, a abouti en 2012 à une loi contestée avec succès par une poignée d’auteurs.

Les accords récents autour des compensations intertitres, des provisions pour retour ou encore d’un modèle de reddition des comptes ont conforté le caractère permanent du rôle du Conseil. La remise en cause de l’équilibre actuel du droit d’auteur par la Commission européenne oblige aussi les éditeurs à resserrer les rangs avec les auteurs pour constituer un front commun.

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